De Xian à Kashgar, laissez-vous envoûter par le parcours chinois de la légendaire Route de la Soie. Hautes chaînes montagneuses, steppes désertiques, plaines infinies, ÉTOFFES chatoyantes, épices parfumées, scènes de la vie quotidienne hautes en couleur composent un fabuleux périple en 4×4.

I ls sont près d’un millier, tous debout, dans une attitude attentive, certains les lèvres serrées et le regard droit, les poings fermés sur le vide car leurs lances ont disparu, désintégrées par le temps. Cette grande armée souterraine prête à s’ébranler représente la garde impériale du lointain souverain Qin Shin Huang. Nous sommes à Xian, à 1 300 kilomètres à l’ouest de Shanghai, où débute l’aventure. Douze fois capitale, la ville de Xian mériterait d’être reconnue au même titre que Rome ou Constantinople. Berceau de l’Empire, elle était aussi le point de départ des grandes caravanes commerçantes de la Route de la Soie. Autrefois, cette traversée mythique n’était qu’une piste de près de 8 000 kilomètres qui reliait l’Empire du Milieu à l’Inde, à la Perse et à Rome. D’innombrables marchands s’aventuraient dans ces régions désertiques jalonnées d’oasis pour transporter vers l’Occident de précieux rouleaux de soie qui émerveillaient autant les peuples d’Asie que d’Europe. Supplantée au VIIIe siècle par la voie maritime, elle fut fermée plus tard à cause des invasions mongoles. Aujourd’hui, la légende reprend vie et plus rien n’interdit le parcours de cette ancienne piste caravanière. L’aventure au volant d’un 4X4 est belle et audacieuse, mais il est impossible d’entreprendre ce voyage sans un guide chinois, surtout si l’on ne sait ni parler, ni lire la langue, ce qui pour un Chinois nécessite parfois toute une vie.

Depuis la découverte de la Grande Armée, les nombreux tertres semés de céréales qui arrondissent la campagne aux alentours de Xian font dire aux Chinois qu’ici, les paysans cultivent les empereurs. Première étape d’un voyage qui se déroule sur des milliers de kilomètres, Xian, dès l’arrivée, déconcerte. Le choc du tintamarre ininterrompu des klaxons des voitures et des tintements aigrelets des timbres de bicyclettes signe l’agitation qui règne dans la ville. Notre 4X4 semble happée par le flot incessant des milliers de vélos qui avancent dans un désordre confus.

Les uns roulent à droite, les autres à gauche, sans pourtant provoquer de collision avec les hordes de piétons qui traversent la chaussée en s’engageant sans hésiter entre les véhicules.

Le contraste est impressionnant entre la ville trépidante et les 2 500 kilomètres de route qui la séparent de Turfan, dans la province du Xinjiang, à l’Ouest de la Chine. Tianshui est la première ville étape de l’aventure. Cinq cents kilomètres dont 300 de piste. Souple et fiable, la voiture s’accroche allègrement dans les lacets de la route qui, à chaque détour, offre des perspectives fascinantes sur une nature entièrement apprivoisée par l’homme, sculptée en terrasses dédiées aux cultures de céréales et de riz. Ici, la montagne appartient au paysan qui en a exploité chaque affleurement de roche, élevant des murets pour retenir les terres, creusant des canalisations d’irrigation, dessinant des sentiers qui donnent à ces pentes abruptes des airs de pyramides incas.

La montagne verdoyante cède rapidement la place à la plaine, aussi plate que les tables de billard qui réunissent les Chinois au coin d’une rue, au fond d’une cour, à l’ombre d’un arbre. L’espace immense, distribué en une multitude de petits lopins de terre cultivés, incite à la mélancolie. Les villes couleur brique se confondent avec le paysage d’argile. La route se déroule au c£ur d’un chaos de collines pelées, roses et ocres. De loin, Lanzhou apparaît comme une cité assoupie, à cheval sur les rives du Fleuve Jaune. Autrefois, c’est ici que se faisait le transbordement des marchandises à l’aide de radeaux faits de peaux d’animaux gonflées. Aujourd’hui, les chameaux se font rares et les caravanes sont ferroviaires. Le c£ur de la ville est un champ de bataille livré au vacarme des compresseurs, marteaux piqueurs et coups de pioche. Lanzhou est la plaque tournante d’un réseau de communications qui achemine le pétrole et les richesses minérales des provinces lointaines vers la capitale.

Le corridor de Gansu, une étroite bande de terres coincée entre le désert de Gobi au nord et la chaîne de montagnes du Qilian au sud, dont les sommets enneigés alimentent en eau les quelques oasis qui autrefois accueillaient les caravanes, compte pas moins de 1 200 kilomètres. C’est en ces moments privilégiés, traversant la nature grandiose, que notre périple prend tout son sens. Ici et là surgissent de maigres troupeaux de chameaux, de chèvres ou de moutons paissant une herbe rare. Le désert change constamment : parfois il se couvre de dunes, le plus souvent de tas de cailloux où gisent des buissons grisâtres. Pas âme qui vive le long de cette route qui s’enfonce au c£ur d’une étendue désertique et rocailleuse, balayée par un vent décapant. On comprend mieux comment le Gansu ait pu être un lieu de détention pour les prisonniers politiques; une Sibérie chinoise dont on ne revenait généralement pas.

La perle de la Route de la Soie

Surgi au milieu de nulle part, le poste frontière qui sépare les provinces du Gansu par où Marco Polo a pénétré en Chine et celles du Xinjiang apparaît. Un vent glacial conduit dans l’une des rares gargotes qui assurent une restauration acceptable : un poulet pimenté arrosé d’un thé clair brûlant. L’itinéraire parsemé de poteaux du téléphone se poursuit le long de chaînes de montagnes qui se profilent d’est en ouest. Des oasis de culture apparaissent pour disparaître l’instant d’après, happées dans un tourbillon de sable blanc. Quand enfin surgit Turfan, tache verte au c£ur de cette immensité. Cette ville au pied du Tien Chan, les Montagnes Célestes, la barrière où se brisent les vents et les nuages glacés qui viennent de Sibérie a tout pour séduire. Ses saules, ses cordons de peupliers, ses vergers et ses ruisseaux d’eau claire font la joie du visiteur. Son raisin blanc sans pépin et ses vins doux et moelleux réchauffent les c£urs. Ses maisons basses, aux murs blanchis à la chaux, dont certaines s’ouvrent encore sur des portiques en stuc s’alignent joliment. Ses terrasses occultées par la vigne grimpante permettent aux habitants de disposer des lits de fer recouverts de tapis de laine aux couleurs vives pour se reposer ou deviser à l’aise. Ses ruelles invitent à la détente. Dans cette cité où les arabesques et les minarets sont légion, se tient un marché animé et coloré où les étoffes chatoyantes côtoient les épices parfumées. Toute l’âme de la Route de la Soie semble émaner d’ici.

Au-delà de Turfan, l’itinéraire bifurque vers le sud. Le trajet devient éprouvant. La route étroite et parsemée de nids de poule serpente tout en surplombant des gorges encaissées. C’est par ici que s’est infiltré le bouddhisme comme en témoignent les ruines des monastères qui entourent la ville de Kuqa. Plus de 5 000 moines y vivaient. La plupart des vestiges conservés sont des temples à sanctuaires rupestres dont les plus grands sont les Grottes des Mille Bouddhas de Kizil. Sur environ 2 kilomètres, les parois rocheuses sont creusées de 236 sanctuaires avec près de 10 000 m2 de fresques composées d’un réseau de losanges qui représentent chacun une histoire. Certains racontent la vie du Bouddha, d’autres décrivent des scènes de la vie quotidienne de l’époque : chasseurs armés de flèches poursuivant des singes ou encore caravaniers vêtus d’une longue jupe ample ceinturée à la taille et chaussés de hautes et souples bottes.

Cinq cents kilomètres de désert de pierres séparent Kuqa de Kashgar. Des tourbillons de poussière noient la route dans une brume ocre. Toutes les Routes de la Soie bifurquaient jadis vers Kashgar, le point de passage obligé pour accéder en Asie centrale, en Inde ou au Pakistan. Au confluent de la chaîne du Pamir et des Tianshan, porte d’entrée du désert du Taklamakan, le plus aride du monde, Kashgar a sauvegardé intacte l’ambiance d’autrefois. Chaque dimanche, des milliers de paysans arrivent de la campagne environnante pour échanger leurs marchandises : légumes frais, selles travaillées, montures fringantes, peaux de mouton tannées, £ufs de 100 ans, paniers d’osier, carpettes de feutre, yaourt frais… Les échoppes du bazar sont installées sur la place, en face de la mosquée qui peut abriter jusqu’à 10 000 fidèles. La ville prend alors les allures d’un gigantesque souk avec ses ruelles ponctuées çà et là de petites boutiques où s’activent forgerons, cordonniers, barbiers, tailleurs, bottiers, herboristes,…

Le charme de Kashgar réside aussi dans le spectacle de la rue où se croisent de multiples minorités nationales car il y a eu de tout temps un brassage continuel de populations provoquant un mélange d’ethnies des plus surprenants. Pour s’y retrouver, il suffit d’observer les calottes que portent les hommes. Les bonnets de feutre triangulaires sont kirghizes, les hautes toques en mouton noir bouclé sont tadjiks, les calottes carrées vertes brodées de fils d’or sont ouïghours, les turbans de laine blanche désignent les imams.

Le parcours chinois de la Route de la Soie se termine ici, au pied du plateau du Pamir. Fin du voyage au terme de trois semaines éprouvantes mais riches en découvertes et en émotions. On n’y croise plus de longues caravanes de chameaux qui convoient perles et étoffes. Pourtant l’éblouissement est bien réel. Au fil du voyage, au gré des dunes couleur safran et des falaises roses, par delà les déserts lunaires et les oasis luxuriantes, la magie de cette route mythique agit sur chacun, laissant des souvenirs forts et impérissables.

Christiane Goor

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