Christina Ricci » J’aime faire des bêtises «
Dans » The Man Who Cried « , la plus originale des jeunes actrices américaines explore les années 1930 et 1940. Non sans rester très contemporaine…
» The Man Who Cried » est la saga mouvementée, dramatique et périlleuse d’une jeune fille juive fuyant la Russie tout enfant pour gagner l’Amérique, où a émigré son père. Elle se retrouvera en Angleterre, puis à Paris où elle prendra un emploi de chanteuse dans un choeur d’opéra… tandis que la menace nazie se répand dans toute l’Europe. Réalisé par Sally Potter ( » Orlando « ), le film offre un rôle central intense à Christina Ricci. Il permet aussi à la jeune actrice de retrouver son partenaire de prédilection, un Johnny Depp auquel elle avait déjà donné la réplique par deux fois: dans » Sleepy Hollow » et » Fear and Loathing in Las Vegas « . Si Depp campe cette fois, non sans quelque cabotinage, un gitan ténébreux, séducteur et brave, Ricci doit porter sur ses jeunes épaules (elle a tout juste 20 ans) tout le poids d’un récit mêlant l’intime et l’historique. Une tâche dont l’interprète de la série sur » La Famille Addams « , de » Ice Storm « , » Pecker » et » Buffalo 66 « , s’acquitte avec excellence. A Londres où nous l’avons interviewée, Christina ne jouait pas les stars, en jeans et baskets, une licorne d’or en pendentif brillant sur son tee-shirt noir. Celle que sa réalisatrice Sally Potter célèbre » pour sa tranquillité, son intériorité et son minimalisme » n’a que faire d’une image qu’elle veut conserver naturelle, sans masque ni maquillage trompeur.
Weekend Le Vif/L’Express: Suzie, l’héroïne de » The Man Who Cried « , rappelle un peu Wednesday Addams… Elle a une personnalité forte, elle sait qui elle est, même si elle doit se battre pour le faire accepter.
Christina Ricci: C’est vrai. Il s’agit de deux caractères fermes et posés, dénués de toute névrose. Bref, des personnages très étranges pour nos yeux contemporains tant ils sont différents de ce que la plupart des gens sont aujourd’hui… c’est-à-dire perclus de névroses, exaspérés, faibles et instables.
Aimez-vous ces personnages forts, que rien ni personne ne semble pouvoir changer?
Beaucoup, oui. Suzie, elle est si forte qu’elle ne se rend même pas compte qu’autour d’elle les gens veulent la faire changer.
On a voulu vous faire changer, vous Christina Ricci, lorsque vous avez démarré très jeune à Hollywood?
Oui, mais je suis comme Suzie: je ne m’en aperçois même pas (rire)! Sur le moment, en tout cas. Après coup, en regardant en arrière, je réalise bien qu’on a voulu m’influencer sur tel ou tel point. Mais, à l’époque, je n’ai jamais eu l’impression de devoir me battre pour affirmer qui j’étais. J’ignorais simplement les tentatives de me couler dans quelque moule que ce soit. Ma personnalité, j’avais plutôt l’impression que tout le monde l’aimait bien (rire). Alors, il n’y a avait pas de problème!
Vous n’avez pas eu des relations faciles avec votre propre père… L’héroïne de » The Man Who Cried « , elle, rêve de retrouver le sien. Cette expérience intime et ces sentiments à jouer qui se contredisent ne vous troublent-ils pas?
Non. Pour la simple raison que je suis une actrice très technique. Je ne me sers pas de mon propre vécu, et ce que je joue ne m’affecte aucunement. Je ne vois qu’une seule exception, d’ailleurs toute récente: le film » Prozac Nation « , que j’ai tourné cet été, m’a marquée du point de vue émotionnel comme je n’imaginais pas pouvoir l’être… Incarner une fille constamment très mal, baignant quotidiennement dans la dépression et les crises nerveuses, a fait de moi, au bout d’un certain temps, une véritable épave ( rire). D’habitude, les films ne me font rien. Là, je n’allais pas bien du tout: j’avais perdu l’appétit, je n’arrivais pas à dormir, j’étais devenue émotionnellement fantasque. On me ramenait à l’hôtel après la journée de tournage et je m’effondrais comme une loque…
Vous avez aussi produit » Prozac Nation « . Pourquoi ce film pour vos débuts de productrice?
Je me suis en effet occupée de près de l’adaptation du livre, de l’engagement d’un réalisateur et du choix des autres comédiens. Un an et demi de boulot, pour un sujet qui me semblait on ne peut plus contemporain et passionnant. Le pire, dans la dépression, c’est l’impossibilité de communiquer, de faire comprendre aux autres, aux amis, même aux êtres les plus proches, ce que c’est réellement, ce que l’on ressent. Quelqu’un qui n’a jamais vécu de dépression ne saurait comprendre ni encore moins ressentir ces choses. Le roman (un best-seller d’Elizabeth Wurtzel) faisait pourtant ressentir physiquement, émotionnellement, ce que vivait la narratrice. Je me suis dit que ce serait formidable, et sans doute utile, de réussir la même chose à l’écran. Et puis je ne vois pas quelle actrice ne serait pas tentée à fond par un personnage aussi riche en drame et en occasions d’en mettre plein la vue (rire)! Je précise tout de même que c’était pour moi un rôle de composition. Je n’ai jamais souffert de dépression clinique…
Ni de névroses, pour revenir à une de vos précédentes réponses?
Je ne suis pas névrosée, je n’ai aucune angoisse, aucune phobie. J’ai un peu peur du noir, mais bon, rien de grave à ça. Je suis assez solide… En fait, je suis tout bonnement une fille un peu sotte (rire)! J’aime faire des bêtises et je défends radicalement le droit que j’ai d’en faire. Après tout, je n’ai jamais que 20 ans. Même si j’ai débuté très jeune, il me reste des choses à apprendre, il me reste à grandir. Ne soyons pas trop pressés (rire)…
Le succès vous a-t-il changée d’une manière ou d’une autre?
Il n’a rien changé à ce que je suis. Mon nom est plus connu, les gens m’apprécient plus, j’ai plus de liberté, de contrôle, sur ce que je fais de ma carrière. Mais ce n’est pas arrivé d’un coup, cela m’a pris une dizaine d’années. En fait, ma carrière s’est développée en même temps que moi je me développais en tant que jeune fille, occupée à grandir. Serais-je une personne différente s’il n’y avait pas eu tout ça, le cinéma, etc.? Allez savoir! Je n’avais après tout que 8 ans lorsque j’ai débuté…
Vous vous êtes vue grandir dans les films en même temps que vous grandissiez dans la vie réelle. Quel effet a eu sur vous ce phénomène?
Je ne sais pas. Ma soeur dit que n’importe quelle personne qui entre dans ce business du cinéma garde à jamais l’âge qu’elle avait en y entrant (rire). Je pense que c’est en partie vrai. Certains aspects de votre personnalité sont comme préservés, du fait que vous pénétrez dans un monde qui vous autorise à vivre – dans une certaine mesure – dans votre imagination… J’ai conservé de l’enfance une grande faculté d’imagination, qui se tarit d’ordinaire avec l’âge adulte. Mieux vaut garder cela, quand vous êtes acteur. Sinon, ne vous sentiriez-vous pas stupide de passer vos journées à prétendre être quelqu’un d’autre?
Etes-vous donc restée gamine?
A plusieurs égards, oui. Avec mes amis, par exemple, il nous arrive de pratiquement vivre ensemble, simplement parce qu’on s’amuse tellement qu’on ne veut pas se quitter… C’est assez gamin, sans doute. C’est le genre de personne que je suis!
Les contraintes des tournages nuisent-elles à votre vie sociale, et surtout affective?
Pas vraiment, non. Comme j’ai commencé très jeune, mes contrats prévoyaient toujours la faculté d’inviter ma mère et ma famille à venir me rejoindre aux frais de la production. J’ai toujours un contrat de ce type. C’est mon petit ami du moment qui profite désormais des billets d’avion gratuits ( rire). Le reste du temps, il y a le téléphone…
Songez-vous à devenir sérieuse, amoureusement parlant?
Déjà? Je blague… En fait, sortir avec quelqu’un est une chose si bizarre! Un processus étrange, vraiment. Un homme vient vous chercher, vous emmène au restaurant et ainsi de suite… Je ne suis pas à l’aise avec ce rituel. En fait, je suis carrément contre!
Les garçons que vous attirez sont-ils intimidés par vous?
Non, je ne crois pas. D’abord parce que les gens qui sont attirés vers moi sont généralement… comme moi (rire)! Nous ne vivons pas selon les règles en vigueur pour la majorité des gens.
Un tabloïd anglais vous a prêté une liaison avec Johnny Depp…
C’est mon premier grand article dans un tabloïd, et j’en suis assez fière (rire)! Ils ont écrit que Johnny et moi nous étions dans ce bar, et que nous flirtions tellement fort que nous ne prenions qu’à peine le temps de respirer entre deux baisers. C’était drôle à lire, un peu glauque aussi. Parce que Johnny, je l’ai connu lorsque j’avais 9 ans. Il dit en plaisantant que nous devrions affirmer que nous couchons ensemble depuis que nous nous connaissons (rire)…
La plupart des jeunes femmes de votre âge sont très attentives à l’image qu’elles projettent, aux vêtements qu’elles portent. Qu’en est-il de vous?
Tout un temps je m’interrogeais aussi sur ce qu’il convenait de porter pour me mettre en valeur. A présent je m’en fiche totalement. Je vis dans mon pyjama (rire)! Il y a bien des moments, dans l’industrie pour laquelle je travaille, où il faut que je me maquille, que je m’habille convenablement. Mais j’ai vite réalisé que personne ne se souvient pour autant de ce dont j’avais l’air ainsi apprêtée. Alors je ne m’en fais plus, mais alors plus du tout. Je joue une dépressive comme dans » Prozac Nation » et je maigris salement, puis je joue une fille pleine de joie de vivre comme » Pumpkin « , que je viens de finir, et je reprends plein de kilos. Du moment que je ne suis pas carrément horrible, le reste m’indiffère…
Propos recueillis par Louis Danvers
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