Clics chics
Pendant dix ans, Jérôme Puch (photo), casting director pour la maison Christian Lacroix, s’est tiré le portrait au Polaroïd en compagnie des mannequins les plus en vue (Coco Rocha, Elise Crombez, Hannelore Knuts…). » Celles avec qui j’ai voulu m’immortaliser, systématiquement, obsessionnellement, justifient mon désir de garder une trace dans le temps, qui semble filer encore plus vite dans le monde de la mode… « , explique ce pop photographe dont le » tableau de chasse » est exposé aux Rencontres de la Photographie d’Arles (voir notre dossier en p. 16).
» Immortaliser « , » obsessionnellement « , » vite « … Des mots qui font écho au-delà du cercle restreint de la fashion. A l’heure du tout-numérique, n’est-ce pas le monde de la photographie en général qui est passé à ce régime de prises de vue hystérique, systématique, automatique ? La période des vacances est idéale pour constater ce phénomène contemporain. Il suffit d’observer les contingents de touristes armés de boîtiers de plus en plus perfectionnés tirer à tout va. Le moindre paysage a priori photogénique, la moindre scène vaguement bucolique, et voilà le Reflex (pavlovien ?) en joue, prêt à shooter. Question de gratuité, de résultat immédiatement vérifiable. D’incapacité à se déconnecter ? » Autrefois, on se moquait des touristes japonais qui passaient leur temps à mitrailler au lieu de voir, remarque Gérard Lefort dans Libération. Le monde serait-il entièrement devenu japonais ? » (1).
Par-delà la boutade, je me demande aussi si ces acharnés du cliché ne passent finalement pas plus de temps à se construire du souvenir, des preuves surlignées » J’y étais « , au lieu d’y être tout simplement. Je ne leur jette pas la bobine. Comme Julie Delpy dans Two Days in Paris (dont le DVD vient de sortir, photo), énervée grave après son homme toujours un £il à côté du réel, ma femme n’en pouvait plus que je fasse partie de cette bande d’autistes de l’image. Lors de nos dernières vacances, elle m’a donc mis dans les mains un bon vieux Minolta argentique daté 1972. Histoire de calmer le monomaniaque du clic qui sommeille en moi. Et retrouver un minimum de classe old school. Parce que y’a pas à dire, le numérique, ce n’est pas ce qu’il y a de plus chic. C’est un peu comme le bouchon à vis sur les bouteilles de vin. Peut-être plus efficace, mais vide de tout romantisme, sans grande surprise et sans chaleur. C’est pas que je veux me la jouer » le vintage c’est cool « . Enfin,… un peu quand même.
(1) Libération du 15 juillet 2008.
Baudouin Galler
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