COMBLES D’ÉLÉGANCE
Niché sous les toits de Paris, le pied-à-terre de l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch hisse le style bohème à son plus haut niveau de raffinement. Un mélange de décontraction et de dandysme éthéré.
Brummel qui s’y connaissait en dandysme au point de l’avoir inventé disait : » La véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer. » Pierre Yovanovitch pourrait sans hésiter s’approprier la maxime. » Je n’aime pas ce qui est tape-à-l’£il « , lâche ce beau ténébreux de 44 ans, ex-collaborateur du styliste Pierre Cardin, venu à l’architecture d’intérieur en autodidacte. Aujourd’hui son bureau compte 15 collaborateurs et autant de projets d’aménagement en cours, essentiellement dans les beaux quartiers de Paris où il vit.
» L’architecture intérieure doit être un miroir de l’architecture extérieure. Créer des contrastes violents entre les deux, au point de ne plus savoir où l’on est, cela ne m’intéresse pas. » ondulant dessiné par Axel Einar Hjorth.
Et, de fait, dans les combles de l’hôtel particulier que le Français d’origine yougoslave a investi pour son compte à Saint-Germain, on retrouve l’esprit grenier qui fait la singularité des lieux. À commencer par un gros plancher buriné par le temps et laissé dans son état d’origine. » Contrairement à mes habitudes, je n’ai réalisé ici aucune transformation structurelle, seulement des travaux de menuiserie. C’est avant tout un exercice de décoration. «
D’une pièce à l’autre, les poutres apparentes qui ont été conservées telles quelles tissent un réseau de droites et d’obliques qui n’est pas pour déplaire au propriétaire, amateur de géométrie bien sentie. Dans le salon où la blancheur domine, c’est une déclinaison de matières naturelles, sublimées par une collection exceptionnelle de meubles scandinaves d’avant-guerre, tel ce sofa en chêne massif et au dossier
» J’aime sa forme à la fois radicale et épurée. Mes préférences vont aux pièces uniques qui ne sont pas trop marquées par leur époque. J’adore chiner dans les galeries de Stockholm ou Los Angeles même si je reviens souvent bredouille car il est rare de mettre la main sur ce qui me plaît. «
Dans le salon toujours, l’amateur éclairé aura reconnu dans la table ronde en marbre, disposée dans l’axe d’un sofa de Otto Schultz, la patte du Belge Jules Wabbes, l’une des rares signatures qui n’appartient pas ici à l’école scandinave ni aux créateurs américains mid-century que Pierre Yovanovitch affectionne. Côté jardin, cet espace qui s’articule autour d’une bibliothèque riche en éditions introuvables de la NRF fait les yeux doux aux demi-teintes. De la table basse en liège de Paul Frankl au tapis tufté main fabriqué sur mesure par la manufacture Pinton jusqu’aux coussins sphériques en mohair dessinés par Yovanovitch lui-même, l’endroit se veut chaleureux, voire charnel.
Indifférent aux rééditions des standards du design des années 50, l’architecte ne privilégie que les réalisations uniques ou produites en série limitée. Et quand il cède, dans le salon, à l’un des classiques du genre, c’est pour mieux le détourner… Comme la (très) connue chaise Diamond de Bertoia qu’il livre dans une version dépecée – il ne reste que l’assise -, mise en apesanteur par l’artiste Franck Scurti.
Connu jusqu’aux États-Unis où il incarne la french touch rive gauche, Pierre Yovanovitch serait-il l’héritier des grands ensembliers hexagonaux des années 20 comme Paul Dupré- Lafon ? Il s’en défend. » Cela suppose un goût pour le total look que je n’ai pas. Ce qui me plaît, au contraire, c’est le mélange des genres. J’apprécie autant l’Art déco que Tadao Ando, les photos de John Coplans (dont un autoportrait aux mains orne le salon) que les peintures de Francesco Clemente. » On pourrait aussi citer l’artiste camerounais Barthélémy Toguo dont une aquarelle grand format agrémente le mur principal de la chambre à coucher. Une £uvre éclairée, comme partout ailleurs dans l’appartement, par les puissantes fenêtres mansardées qui surplombent les toits de Paris. Rythmant l’ensemble de leurs belles formes arrondies, elles semblent avoir été creusées à même l’épaisseur du bâti. Leur profondeur rappelle que cet hôtel particulier a été édifié au XVIIe siècle. Pierre Yovanovitch n’habite pas seulement un nid cosy mais une forteresse dans le ciel.
PAR ANTOINE MORENO
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