Blottie entre la France et la Flandre, cette entité hennuyère se nourrit de trois cultures : wallonne, française et flamande. Accueillante, tolérante et souriante, elle offre le meilleur d’elle-même. Lors du premier Samedi/Vif – le 15 juillet prochain – elle partagera avec vous les richesses de la nature et de son patrimoine monumental.

Le premier contact avec la ville ne manque pas d’originalité. Il a lieu en effet… en pleine campagne ! A Ten Brielen. Au milieu des champs, le célèbre moulin Soete,  » chouchou  » des habitants, étend ses longs  » bras  » en signe de bienvenue. Son histoire, passionnante, est riche en rebondissements. Dès 1850, plusieurs générations de la famille Soete y moulent de la farine. Hélas, tout au début de la Première Guerre mondiale, son excellente situation, un peu sur les hauteurs, telle une vigie, le met en péril. Les Allemands, dès leur arrivée dans la région, dynamitent en effet le moulin. A la fin des hostilités, on le reconstruit à l’identique, avec des éléments récupérés dans le nord de la France. Ce moulin  » d’occasion  » continue pourtant à être exploité jusqu’en 1965, date du départ à la retraite de Jean-Baptiste Soete. Délaissé, le bâtiment tombe en ruine. La ville le rachète alors au prix du bois à brûler. Il est toutefois question de le restaurer, mais le coût s’avère exorbitant. On essaie de le revendre à la ville de Bruges. La transaction est rondement menée, mais revirement de situation, le bourgmestre de l’époque et les habitants s’opposent à son démantèlement. L’affaire sera finalement portée devant le tribunal et l’édifice restera à sa place.

Racheté par le ministère de la Culture française pour le franc symbolique, le moulin est classé monument historique. Soigneusement restauré et inauguré en grande pompe en 1987, il s’érige comme pôle d’attraction du tourisme local. Le mauvais sort continue pourtant à s’acharner sur ce splendide témoin du temps passé. En 1997, des pyromanes l’anéantissent une fois de plus. Il sera malgré tout reconstruit dans les règles de l’art. Depuis 2001, ses ailes tournent à nouveau. S’élevant sur trois étages, l’un des derniers moulins à vent du Hainaut et l’un des plus grands d’Europe continue aujourd’hui à produire de la farine. Il attire la foule chaque dimanche, au printemps et en été, et constitue le point de départ des fêtes de la moisson et de toutes les manifestations folkloriques de la ville.

Comines, ville franco-belge

Après ce premier contact, plein d’originalité, nous pénétrons au c£ur de la ville, singulière, elle aussi. Ainsi, savez-vous que Comines est à la fois belge et française ? A l’origine, il n’y avait qu’une seule cité érigée de part et d’autre de la Lys. Mais, en 1713, le traité d’Utrecht détermine la nouvelle frontière entre le royaume de France et les Pays-Bas méridionaux. Elle s’établira dorénavant le long de la rivière. La séparation politique ne modifie toutefois en rien les habitudes citadines et la ville reste administrée par le même magistrat jusqu’en 1789 où les deux villes deviendront totalement autonomes.

Comines connaît son époque de gloire au Moyen Age, grâce au tissage de la laine. Vers 1900, elle deviendra la capitale mondiale du ruban utilitaire, avec une production annuelle de 400 millions de mètres ! Tout au long des xixe et xxe siècles, la Lys sera appelée la  » Golden River « . Pour deux raisons. D’une part parce que son eau était constamment de couleur ocre suite au rouissage (opération qui permet l’isolement des fibres textiles des tiges du lin, en les maintenant dans l’eau). Et, d’autre part, parce qu’elle a contribué à l’établissement de fortunes colossales. Témoin de cette période faste ? Un superbe Musée de la rubanerie qui ravira tous les passionnés de belles machines d’antan. Créé en 1985, grâce à la persévérance de Simon Vanhée, ancien rubanier, ce musée réunit une vingtaine de métiers à ruban, de nombreuses photos et souvenirs, sans oublier un vaste choix de rubans multicolores. Ces belles mécaniques, bichonnées et entretenues avec amour, fonctionnent toujours. Les anciens rubaniers sont intarissables et vous livrent volontiers toutes les ficelles du métier.

Après la visite du musée, nous empruntons la rue du Fort, traversons la Lys (sur un pont français) et arrivons en France. La Grand-Place de Comines est toute proche, bordée par deux bâtisses étonnantes et impressionnantes. Jadis, la mairie et l’église se trouvaient côte à côte. Entièrement rasées pendant la guerre 1914-1918, elles ont été reconstruites l’une en face de l’autre, pour créer une  » vraie  » place. Pour la mairie, le célèbre architecte Louis-Marie Cordonnier (1854-1940), auteur notamment de l’Opéra de Lille, a opté pour le style Renaissance flamande. Dans la prestigieuse salle du conseil trône, au-dessus de la cheminée, l’effigie de Philippe de Commynes ou Commines (vers 1447-1511), considéré comme le premier historien moderne. Il a vécu sous Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, puis fut au service de Louis XI et Charles VIII. Les excellents Mémoires qu’il consacra aux deux souverains français demeurent des ouvrages de référence dans le domaine de l’analyse politique et historique et ont été traduits dans toutes les langues.

L’église Saint-Chrysole, elle, a été relevée de ses cendres dans les années 1920. Les architectes Maurice Storez et Dom Paul Bellot (ce dernier était également moine bénédictin à Solesmes), lui ont dessiné une silhouette singulière, de style néo-byzantin. A l’intérieur, on admire un décor sobre et rectiligne, réalisé en béton apparent, novateur pour l’époque.

Une halte à Warneton

En 1977, dans le cadre de la fusion des communes, Warneton est rattachée à Comines, ainsi que Bas-Warneton, Houthem et Ploegsteert. Dotée d’un passé prestigieux, Warneton a la qualité de ville depuis le Moyen Age. Jadis, les seigneurs de Warneton y ont établi un chapitre de chanoines séculiers, transformé en abbaye en 1138. Celle-ci disparut à la Révolution française. Par ailleurs, Warneton possédait également un château féodal qui aurait été le berceau de cette ville. A la fin du xviiie siècle, la ville fut surtout renommée pour sa brique de haute qualité. Riche et bourgeoise, elle affiche son opulence, en s’offrant une église gigantesque, dédiée aux saints Pierre et Paul. On l’appelle la  » cathédrale de la Lys « . Egalement détruite pendant la Première Guerre mondiale, elle a été reconstruite en 1925 en style néo-roman byzantin.

Sur la jolie place devant l’église se côtoient un canon allemand de la guerre 1914-1918 et le monument du Mountche (petit moine), sculpté par le Warnetonnois Bernard Verhaeghe. Celui-ci figure l’offrande traditionnelle des moines aux enfants le jour de la Saint-Nicolas et évoque le souvenir de l’ancienne abbaye (tradition toujours respectée le premier samedi de décembre). A l’intérieur de l’église on ne se lasse pas de contempler les splendides stalles baroques de la fin du xviie siècle, provenant de l’ancienne abbaye et, surtout, l’extraordinaire mobilier en céramique flammée. La chaire de vérité, les confessionnaux et les autels sont habillés de magnifiques carrelages dont les nuances grises, vertes, mauves, parme, rouges et turquoise tourbillonnent dans un chatoiement irisé et nacré. La crypte vaut également le coup d’£il. Elle abrite deux tombeaux polychromes, très rares, dont celui de Robert de Cassel, fils du comte de Flandre, mort en 1331.

Lieux de mémoire

Dès 1914, la Belgique est précipitée dans la Première Guerre mondiale. La ligne de front traverse Comines et Warneton. Les troupes britanniques sont isolées à Ploegsteert. Le front ne bouge quasiment pas pendant plus de deux ans. Le 7 juin 1917 tout s’accélère. L’explosion de 19 mines (charges explosives souterraines) marque le début de la bataille de Messines. Le 10 avril 1918, les Allemands lancent l’offensive sur la Lys et s’emparent de Ploegsteert. Le village ne sera libéré qu’en septembre 1918. Les combats acharnés et meurtriers ont fait d’innombrables victimes. L’entité Comines-Warneton compte aujourd’hui 17 cimetières britanniques, admirablement entretenus, dont les stèles toutes semblables en pierre blonde renforcent par leur sobriété le côté solennel de l’endroit. Un Mémorial rend également hommage aux 11 447 officiers et soldats britanniques disparus qui n’ont pu recevoir de sépulture. Leurs noms sont gravés à l’intérieur de cet imposant temple circulaire, gardé par deux lions de pierre. Le Mémorial a été inauguré le 7 juin 1931 en présence du duc de Brabant, futur roi Léopold III. Chargé d’émotion, ce lieu, aujourd’hui très paisible, attire nombre de visiteurs.

L’art et la nature

Les artistes sont attirés par cette région où la lumière est belle, l’air léger, l’ambiance conviviale et chaleureuse. A Comines, le sculpteur John Bulteel nous ouvre les portes de sa maison et de son atelier. Charmant et volubile, il parle avec passion de son travail qui se nourrit de folklore, de mythes et de religions. Ses personnages de plâtre ne manquent pas de poésie. Les contrastes des masses, les aspérités de la matière, les vides et les pleins acquièrent, sous la main de l’artiste, la même sensualité qu’un marbre de Carrare.

Sculpteur et créateur de bijoux, Bernard Verhaeghe a, lui, installé son Espace Sculptural en pleine campagne. Précédemment, l’artiste bougeait tout le temps avec ses sculptures, ce qui posait parfois quelques problèmes, étant donné leur taille et leur poids. Il y a quinze ans, il a acheté un champ à Ploegsteert. Avec la complicité de son frère architecte, Michel Verhaeghe, il a conçu un bâtiment vaste et avant-gardiste dont les lignes obliques et les volumes géométriques évoquent… une sculpture. L’intérieur, baigné de lumière, fait office de galerie d’art où Bernard Verhaeghe expose ses propres £uvres, réalisées en marbre de Carrare. Elles côtoient des sculptures d’autres artistes, belges ou étrangers, pour qui le maître des lieux éprouve une affinité particulière. L’immense jardin, qui a plutôt des allures de parc, est peuplé de sculptures monumentales de Félix Roulin, d’Herman Van Nazareth, Michel Delaere, Walter Gryspeerdt, Marian Sava et tant d’autres. Le lieu est empreint de sérénité et se révèle très attachant. Il offre, aussi, une belle initiation à la sculpture contemporaine.

Partant à la découverte de la campagne environnante, on découvre une terre argileuse, très appréciée des fabricants de briques. Au fil des ans, les multiples lieux d’extraction d’argile ont créé de vastes cuvettes. A l’initiative de José Tahon, un  » ancien  » de la briqueterie, les étangs de Ploegsteert ont été transformés en une réserve naturelle de 120 hectares. Petit à petit, les marécages se sont peuplés d’une faune et d’une flore exceptionnelles. Avec un peu de chance, vous pourrez y apercevoir quelques espèces rares, tels, notamment, le râle d’eau, la sarcelle d’été, le busard ou la foulque. La réserve, chouchoutée et superbement entretenue, a été déclarée zone d’intérêt biologique et a décroché plusieurs prix, dont le premier prix Henry Ford European Conservation Awards en 1995.

Un avenir riche en projets

Témoin de violents combats en 1914-1918, Comines-Warneton est animée aujourd’hui par un vaste et ambitieux projet de développement d’un tourisme de mémoire et de paix.  » Nous avons créé l’ASBL Deulys qui réunit les communes belges et françaises, explique Jean-Jacques Vandenbroucke, premier échevin et échevin de la culture, du tourisme et des finances. Notre politique touristique est commune, liée à la commémoration de la Grande Guerre et à la mise en valeur de la Lys.  » Concrètement, cela consiste à attirer un plus grand nombre de touristes britanniques autour de la thématique de la Première Guerre mondiale. Le projet d’un Centre d’interprétation est à l’étude. Sa mise sur pied aboutira dans un an.

L’idée d’une ligne de navigation régulière sur la Lys progresse également à toute vitesse. Aujourd’hui, la navette fluviale ne fonctionne qu’au coup par coup.

Le troisième volet des activités de l’ASBL a une connotation essentiellement culturelle.  » Comines a été entièrement détruite pendant la Première Guerre mondiale, rappelle Jean-Jacques Vandenbroucke. Il a fallu un sacré courage pour y revenir vivre. Tout a été reconstruit vite et mal, nous en sommes conscients. Par ailleurs, notre région est au carrefour de trois cultures : française, wallonne et flamande. Nous venons tous de la Flandre. La population de Comines, composée de 18 000 habitants, compte 30 % d’étrangers, dont 25 % sont français. Aujourd’hui, nous nous attachons à définir notre identité. Il s’agit d’un vrai travail culturel.  » Quelques exemples ? Tous les trois ans, une pièce de théâtre, écrite par Xavier Hanotte, basée sur la mémoire collective, est jouée par des acteurs bénévoles.

Manifestation culturelle axée sur la matière première qui est ici l’argile,  » Art/Terre  » est une création biennale. A cette occasion, de nombreux artistes s’installent dans la région et réalisent des £uvres avec la terre même, qui, dans le passé, a permis la confection de milliers de briques.

Terre de métissage et de brassage culturel avant la lettre, mais aussi terre d’accueil, Comines s’ouvre au monde. Festival de musiques du monde, le  » Tournuit des Grands Ducs « , rallye musical ethnique organisé depuis quatorze ans le troisième samedi d’avril, peut d’ailleurs s’enorgueillir d’être le premier à avoir accueilli Soledad ou Zap Mama, aujourd’hui célèbres dans le monde entier. Sans oublier Bénabar. Le célèbre chanteur français a en effet fait ses premières armes au Centre culturel de Comines !

Texte : Barbara Witkowska Photos : Frédéric Sierakowski/Isopix

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