comme Êtes-vous biobo DiCaprio ?
Le futur de la Planète les préoccupe au plus haut point. Pour elle, ils sont prêts à rouler en voiture hybride. Dernier cri. A porter un cardigan en cachemire recyclé. Mais griffé. A se passer en boucle un documentaire sur la biosphère. Signé Leo DiCaprio. Leur héros. Bienvenue dans la tribu des biobos.
Le constat est paradoxal. L’homme moderne ne cesse de mettre à mal les ressources naturelles que la planète a mis des millions d’années à générer. Et pourtant, la nature n’a jamais été à ce point présente dans les univers des créateurs. Qu’il s’agisse de s’inspirer de ses formes organiques, de ses couleurs. Ou simplement de chercher de nouveaux outils, de nouvelles technologies pour continuer à vivre le mieux possible, sans (trop) détruire. Ce courant bio, bien plus hype qu’hippie, loin de nous freiner, nous incite plutôt à consommer.
Qui sont les clients décomplexés de ce nouveau marché du vert en croissance exponentielle ? Les tendanceurs n’ont pas traîné à les labelliser. Qu’ils s’agissent des lohas ( NDLR : pour Life of Health and Sustainability, soit une vie saine et durable) au Japon, des cultural creatives aux Etats-Unis – la traduction littérale créatifs culturels a déjà été déposée en France auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle ! – ou de ceux que nous avons choisi d’appeler les biobos, ils ont tous plus ou moins le même profil. Selon une récente enquête réalisée en France et dont les conclusions font aujourd’hui l’objet d’un livre (1), ces surdiplômés, cadres au moins une partie de leur vie, plutôt jeunes (ils auraient entre 18 et 49 ans), avec une large proportion de femmes (64 %), » s’engagent au c£ur de la société pour mieux la transformer « , assure Jean-Pierre Worms, sociologue, coordinateur de l’étude (2). » Le biobo prône le retour à la nature, à certaines valeurs du passé, décrypte encore Vincent Grégoire, du bureau de tendances Nelly Rodi, à Paris. Sans pour autant renoncer à l’ADSL et aux nouvelles technologies. » De même, lorsqu’il ou elle monte son service traiteur bio, son agence de conseil en développement durable ou sa ligne de vêtements équitables, c’est en s’appuyant bien souvent sur un parcours de businessman ou de businesswoman exemplaire.
Ainsi, lorsque Bono, le chanteur du groupe U2, et sa femme Ali Hewson lancent Edun, leur label de mode éthique chic, il ne s’agit pas de charité. Mais d’un commerce viable. Dont le but est, certes, de développer des emplois durables dans des pays en voie de développement, mais surtout de démontrer que le » secteur vert » est propice aux affaires. Les vraies. Avec profits à la clé. Le look de la marque qui défile d’ailleurs à New York pendant la Fashion Week n’a rien de baba, comme le démontre la campagne de pub, photographiée par Helena Christensen, et mettant en scène Lindsay Lohan, Kate Bosworth, Naomi Watts qui se disent toutes fans.
Plus qu’un combat de la dernière chance, l’écologie est devenue une attitude. Une manière d’être et de montrer ce que l’on est. Et les people suivent, le moindre de leur fait et geste » eco-friendly » se retrouvant en tête de classement du site www.ecorazzi.com spécialisé dans la traque des biostars ! Icône du mouvement par excellence, Leonardo DiCaprio milite depuis plus de dix ans. Mais n’a pas pour autant renoncé à son statut ni à ses cachets de vedette hollywoodienne. Et celui qui partage la homepage de son site officiel avec un gorille congolais en voie de disparition, voit dans toute apparition publique une tribune de choix pour la cause qu’il défend. » Les acteurs ne devraient s’autoriser à parler que des sujets sur lesquels ils ont un minimum de connaissances, donc de crédibilité, confiait-il au magazine » Elle » (3). Je ne m’exprime pas sur la guerre, je parle seulement d’écologie. »
Le documentaire qu’il vient de produire confirme en tout cas son expertise : les 150 heures d’entretiens avec les plus grands spécialistes de l’environnement, Leo les a passées en revue, coupées, montées, enfilées pour en faire un récit cohérent aux côtés des deux réalisatrices, Leila Petersen et Nadia Conners. Un film que l’acteur est venu en personne défendre lors du dernier Festival de Cannes. » En prenant un avion de ligne et pas en jet privé « , a-t-il tenu à préciser durant la conférence de presse aux journalistes soucieux de calculer l’empreinte écologique de celui qui fut l’un des premiers à participer, dès 2002, à l’opération » Red Carpet, Green Cars » ( NDLR : littéralement Tapis Rouge, Voitures Vertes), laissant les limos polluantes au garage pour rejoindre la cérémonie des Oscars en voiture hybride.
D’autres, depuis, ont embrayé, rejoignant la tribu chaque jour plus vaste des biobos médiatiques. George Clooney s’affiche en Tango électrique. Tom Hanks et Julia Roberts en Prius. Egérie de Lancôme, Elettra Rossellini choquée par le taux d’émission de CO2 dû à ses déplacements professionnels, a convaincu la marque de cosmétiques française de financer le replantage d’un nombre suffisant d’arbres pour ramener ce taux à zéro. Sharon Stone, Gwen Stefani, Paris Hilton et Demi Moore préfèrent s’arracher les créations de Deborah Lindquist, la créatrice environnementaliste qui mêle, depuis 2004, matières biologiques (chanvre, coton, bambou, laine…) et matières nobles recyclées (écharpes en soie anciennes, cachemires, kimonos…) et a même créé une ligne de robes de mariée…
La demande des consommateurs biobos allant grandissant, le nombre de labels durables ne cesse de se multiplier. Rien qu’en France, les analystes du secteur du prêt-à-porter ont vu leur nombre tripler en moins d’un an. Aux côtés des marques de niche, comme Monsieur Poulet ou Makabu, de plus en plus de majors, Levi’s, H&M ou Etam en tête, cèdent aux chants des sirènes vertes… Cette percée inquiète pourtant autant qu’elle ne réjouit les défenseurs de l’environnement pas toujours 100 % convaincus de la sincérité de ces nouveaux croisés de l’écologie dont les campagnes publicitaires parfois mensongères ont même été qualifiées de » greenwashing » ( NDLR : littéralement lavage de cerveau vert) par un comité d’experts réunis à Davos lors du Forum économique mondial en janvier dernier (4).
A ce titre, l’impact sur l’environnement de l’industrie textile qui brasse chaque année des milliards… de milliards d’euros est moins innocent qu’il n’y paraît à première vue. Un simple tee-shirt blanc peut mettre à mal la Planète. De la culture du coton pas toujours » propre » au coût énergétique de sa mise en forme en passant par celui de l’entretien du vêtement qu’il faudra laver et sécher, les choix se posent à chaque pas. Dans un récent rapport intitulé » Well Dressed ? » ( NDLR : bien habillé ?), les chercheurs de l’Université de Cambridge fustigent ce qu’ils appellent les » fast clothes « , ces vêtements modeux et bon marché, aussi néfastes à leurs yeux que les fast-food. Les conclusions de l’étude sont sans appel : » Pour réduire les émissions de carbone et rendre la mode plus durable, il faudra posséder moins, acheter moins de choses, et les garder plus longtemps. » (5) En un mot, le biobo sincère devra accepter d’être vu plus souvent avec la même tenue sur le dos… Une idée pas facile à vendre mais qui commence pourtant à faire son chemin chez les industriels, les designers et les consommateurs. » Au final, c’est la qualité qui fera la différence, nous confiait, en janvier dernier, le créateur allemand Konstantin Grcic, invité d’honneur du salon Maison & Objet, à Paris. Il ne suffit pas de travailler à partir d’un matériau recyclable pour que le produit soit durable. S’il est mal conçu, on devra quand même le jeter demain. Mais si les choses sont bien faites, les gens les aimeront et voudront les garder. »
Quant aux biobos fashion victimes, il leur restera toujours le plan B imaginé par les chercheurs britanniques : la garde-robe de leasing. » Comme pour un livre de bibliothèque, on emprunte un vêtement pour un mois, suggère encore le rapport de Cambridge. Puis on le ramène pour que quelqu’un d’autre puisse ensuite le porter. » Une sorte de troc grand luxe. Pour le nouvel Homo Biobo Ecologicus.
(1) » Les Créatifs culturels en France « , Association Biodiversité culturelle, éd. Yves Michel, 131 pages.
(2) In » L’Express Styles « , 3 mai 2007.
(3) In » Elle « , 27 novembre 2006.
(4) In » The International Herald Tribune « , 27-28 janvier 2007.
(5) In » The International Herald Tribune « , 24 janvier 2007.
Isabelle Willot
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