comme Zuber

La prestigieuse griffe du papier peint orne en panoramique les murs de la célèbre Maison-Blanche ou du mythique hôtel George V. Un fabuleux savoir-faire perpétué dans une manufacture d’un autre temps, en Alsace. Weekend s’est faufilé dans les ateliers de la maison Zuber.

Carnet d’adresses en page 99.

Quand le matériel disparaîtra, nous disparaîtrons aussi « , prédit avec fatalisme Giselle Chalaye, la directrice de la manufacture de papiers peints Zuber, installée depuis deux siècles dans une superbe bâtisse néoclassique à Rixheim, en Alsace. Dans son bureau du rez-de-chaussée, encerclé par de gigantesques catalogues d’échantillons, cette pétillante petite femme au look rock and roll, peu raccord avec le décor, argumente :  » Les planches qui servent à la réalisation des motifs ont plus de 100 ans et ne sont plus reproductibles ; quand elles seront hors d’usage, nous devrons fermer . » A l’aide de ces fameuses planches – sortes de tampons grand format, classés  » monuments historiques  » – les artisans imprègnent motif après motif les rouleaux de papier vierges jusqu’à composer les paysages panoramiques qui ont rendu célèbre la maison Zuber.

La renommée de ses vues format 16/9

date de Napoléon Ier, et restera en vogue jusqu’au Second Empire. Entre 1804 et 1860, Jean Zuber, le fondateur, composera des centaines de dessins mais seulement 25 paysages alanguis, le  » must have  » de la société toujours à l’honneur. Les salons de l’hôtel L’Aigle Noir, à Fontainebleau, ou le prestigieux spa du George V, à Paris, se sont parés récemment de ces fresques en 2D.  » Depuis que Jacqueline Kennedy en a commandé pour la Maison-Blanche au début des années 1960, les Etats-Unis sont l’un des pays les plus demandeurs, avec le Moyen-Orient « , précise Gisèle Chalaye. Et l’Elysée ?  » Non, s’étonne encore la directrice, mais, en revanche, beaucoup d’ambassades en possèdent.  » Peut-être pour compenser le mal du pays car les thèmes ont le goût du voyage…

Vues rêvées d’Hindoustan avec éléphants et maharadjahs, composition orientaliste pour pyramides et coucher de soleil sur profil de sphinx, triptyque de collines toscanes baignées d’un vaporeux sfumato ou mystérieuse orée qui fleure l’eucalyptus… Les panoramiques Zuber puisent leur inspiration dans la plus pure veine romantique. Le Cinémascope avant l’heure :  » Les jardins français « , créés par Pierre Mongin en 1822, l’un des concepteurs phares de la manufacture, se déploie en 20 lés (bandes de papier peint d’environ 60 centimètres de largeur) sur 4 m de hauteur et 13 m de longueur.

Au deuxième étage de la manufacture, dans un décor boisé digne d’une fabrique de tabac cubain, une petite équipe en bleu de travail se concentre sur l’impression d' » Isola Bella « , un classique du panoramique paysagiste dessiné en 1842, long de 8,5 mètres et composé de 742 impressions successives. Du cousu-main facturé environ 15 000 euros à un client dont l’identité reste ultraconfidentielle… Dans le laboratoire vitré qui jouxte l’atelier, quelques fragments du papier peint d’origine, usés jusqu’à la corde, servent de modèle sous un alignement de pots de peinture décapsulés.  » Les couleurs sont préparées à partir d’un mélange de craie, de colles et de pigments pour résister à la lumière, explique un spécialiste maison. « Isola Bella », avec ses 80 couleurs distinctes, est un exercice assez pointu.  » Dans un coin de l’atelier, des registres vermoulus recèlent les ultimes secrets de fabrication.  » On y trouve des notes précieuses sur le rendu chromatique car c’est ce velouté et cette transparence proches de l’aquarelle qui singularisent les panoramiques. Pour le reste, il n’y a pas de formule magique ! Le procédé à la planche est mécanique et assez rudimentaire. On commence par la couleur de fond puis les grandes surfaces, ensuite les teintes les plus foncées, puis les plus claires et enfin les détails.  »

Penchés au-dessus de leur établi, les imprimeurs encrent méthodiquement leur planche. Par simple transfert et pression, le motif en relief est décalqué sur les fibres du papier.  » Il faut veiller à juxtaposer correctement chaque motif, mentionne un des techniciens qui affiche dix ans de maison. Après on peaufine par une petite retouche au pinceau, pour raccorder les motifs. Il faut que ça fasse joli !  » Les bandes fraîchement enduites sont ensuite accrochées aux étendages pour sécher naturellement à l’air libre. Suspendues depuis le plafond en rang serré, elles transforment pour quelques heures les lieux en un étrange labyrinthe de papier, aussi romanesque et décalé que les paysages panoramiques qui font la gloire de la manufacture.

Antoine Moreno

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