Pas facile d’éduquer ses enfants tout en construisant une relation harmonieuse avec eux ! Entre les nostalgiques de 68 et les nouveaux pères Fouettards, il existe une troisième voie que nous présente la psychologue Claude Halmos.

L’autorité est aujourd’hui au c£ur des débats. On le sait, la crise qu’elle subit est en lien certain avec l’augmentation dramatique des difficultés scolaires et les explosions de violence de la part des jeunes. Une violence qui ne cesse de nous interroger quand elle nourrit les faits divers, quand elle nous montre des enfants de maternelle forçant une petite fille à se déculotter ou un enseignant traîné en justice pour avoir claqué un ado intenable. Chaque fois, c’est comme si les parents, les enseignants, les juges étaient totalement déboussolés. Y a-t-il pour autant de quoi faire perdre le nord à la jeune génération ? A chacun à sa réponse. Mais, entre les nostalgiques du retour à l’ordre du début du siècle précédent, Aldo Naouri, qui prône l’autorité sans explication, et les babas adeptes du laisser-faire, il existe un autre point de vue, représenté par Claude Halmos, auteur d’un passionnant ouvrage : L’Autorité expliquée aux parents (NiL éd.).

Weekend Le Vif/L’Express : Avez-vous l’impression, à travers vos consultations mais aussi dans l’actualité, que l’autorité est en péril ?

Claude Halmos : Effectivement, je reçois un nouveau type d’enfants qui vont mal, non pas à cause d’une histoire familiale lourde, non pas à cause de gros problèmes, mais parce qu’ils souffrent d’un manque de repères éducatifs.

Selon vous, comment en est-on arrivé là ?

Deux facteurs peuvent expliquer cette situation. En 68, nous nous sommes battus contre l’autoritarisme. Et c’était essentiel. Le malheur, c’est que beaucoup de gens se sont mis à considérer que toute autorité était répressive. Et ceux qui ont pensé cela, en toute logique, n’ont pas voulu infliger à leurs enfants des pratiques dont ils avaient pâti eux-mêmes. Par ailleurs, on peut aussi incriminer une mauvaise lecture de Françoise Dolto. Elle écrivait, en substance :  » L’enfant est un être à part entière qu’il faut respecter  » mais elle ajoutait :  » C’est un être en construction qui a besoin de l’autorité des adultes.  » Malheureusement, on a totalement oublié la seconde partie du message !

Dans votre ouvrage, vous évoquez à plusieurs reprises une  » autorité constructive « . Comment la définissez-vous ?

L’autorité constructive, c’est celle qui aide l’enfant à se soumettre aux règles auxquelles chacun se soumet : on ne peut pas tout faire parce qu’il faut respecter l’autre. On ne peut également tout avoir. Dernière règle, enfin : pour arriver à quelque chose dans la vie, il faut fournir un effort. Le problème est que le fonctionnement naturel de l’enfant est à mille lieues de ces principes. Il est dominé par ses pulsions (je veux quelque chose, je le prends, y compris par la force), par ce que Freud appelle le principe de plaisir (je fais ce qui me plaît ; le reste, je ne le fais pas) et par le sentiment de sa toute-puissance (un petit enfant se pense le roi du monde). Il faut donc que les parents lui imposent ces règles, et c’est bien là le problème aujourd’hui ! Les parents n’osent plus imposer, car ils ont peur de traumatiser leur enfant.

On voit que l’éducation à la politesse régresse au profit de l’encouragement à l’affirmation de soi. Qu’est-ce qui est le plus important ?

La politesse, c’est essentiel, c’est le respect de l’autre. Elle est également fondée sur l’idée de la juste place, à savoir qu’un adulte n’est pas un enfant. On ne parle pas à sa mère comme à ses copains. Les parents ne doivent pas enseigner la politesse sur un mode formel :  » Tu tiens la porte à la dame parce que c’est poli.  » Mais :  » Tu lui tiens la porte parce qu’elle est plus âgée, qu’elle porte des paquets.  » Politesse et affirmation de soi ne sont pas en opposition. Il ne s’agit pas de se laisser marcher sur les pieds : un enfant que l’on attaque dans la cour de récré doit savoir se défendre.

Une règle doit-elle être expliquée ?

Si on n’explique pas, on est dans l’abus du pouvoir. Le but de l’éducation n’est pas de dresser l’enfant comme un animal pour qu’il obéisse par soumission et par peur. Il faut qu’il comprenne les règles pour réussir à se les appliquer de lui-même, sans que l’on soit derrière son dos. Dans un premier temps, on explique :  » Tu ne tapes pas ton copain dans la cour de récré parce que tu lui fais mal. C’est interdit de frapper les autres, même si on est adulte.  » L’enfant recommence, en général, car sa loi, c’est la pulsion. On réexplique deux fois, peut-être trois, puis la punition doit absolument tomber : par exemple, on quitte le square. Et, comme l’enfant est obligé d’obéir avant d’avoir totalement compris, on sera forcément contraint d’y revenir. Quand il recommence, on rappelle  » Je t’ai expliqué l’autre jour  » et on reprend le même processus. Normalement, l’enfant renonce, d’autant plus qu’il s’aperçoit vite que respecter des règles procure des avantages : ne pas taper permet d’avoir des copains. Et avoir des copains, c’est super !

Pour ou contre la fessée ?

Le parent qui n’a que la fessée comme réponse aux transgressions de son enfant est un parent maltraitant. Mais un parent qui donne une fessée une fois parce qu’il était excédé – et il a le droit de l’être quand un enfant passe les bornes – ne peut être accusé. D’ailleurs, l’enfant ne s’y trompe pas. Parlons de la gifle récemment donnée par un professeur qui a été traduit en justice pour ce geste. Il faut aussi se rendre compte que la transgression de l’adolescent était grave, en insultant le professeur ; il niait sa place d’adulte et d’enseignant. Je pense que le directeur aurait dû convoquer les deux protagonistes, signifier une sanction administrative pour le professeur et un renvoi de l’élève. Envoyer cet homme en justice, c’est signifier à l’adolescent que la loi peut le protéger quand il insulte. Ce n’est pas un service à lui rendre.

Que fait-on avec un enfant qui refuse de manger ?

Un parent ne doit pas obliger un enfant à manger. L’enfant peut exprimer aussi une angoisse ou essayer d’avoir un moyen de pression sur sa mère. Si le refus de s’alimenter dure, il est utile de consulter.

Et s’il ne veut pas se coucher ?

Après le cérémonial (on lit une histoire, on raconte ce que l’on fera demain) qui prévaut dans chaque famille, on éteint et on ferme la porte. Il veut se relever ou il appelle ? On peut dire :  » Tu joues, tu peux rallumer la lumière, mais tu ne sors pas.  » On peut lui expliquer que son corps est une petite usine qui se construit et qu’il a besoin de davantage de sommeil que les adultes. Mais il faut aussi dire que ses parents ont besoin de temps pour eux seuls. Qu’ils sont des amoureux, même s’ils ont toujours leurs enfants dans leur c£ur.

L’autorité est-elle forcément masculine ?

Une mère peut avoir autant d’autorité qu’un père, parfois plus. Mais, aux yeux de l’enfant, elle a déjà un pouvoir énorme ; si elle détient l’autorité en plus, elle devient l’image du pouvoir absolu. Et, si elle occupe cette place, l’enfant ne peut plus la quitter. Il risque aussi de s’identifier à ce pouvoir absolu. Devenir un chef omnipotent, c’est ce que cherchent à faire beaucoup de délinquants dans leur bande. Lors d’un conflit, une mère a donc intérêt à dire :  » Tu ne veux pas obéir. Très bien, tu verras avec ton père. « 

Est-il vrai que tout se joue dans la petite enfance ?

A l’adolescence, les parents récoltent ce qu’ils ont semé dans la petite enfance. Mais l’adolescence est un tel remaniement psychique qu’il est toujours possible d’intervenir pour  » fixer  » ce qui ne l’a pas été. Il n’est jamais trop tard pour aider un enfant !

Propos recueillis par Marie-Christine Deprund

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