Après avoir longtemps couru le champignon, Philippe Emanuelli et le photographe Frédéric Raevens apprivoisent les fruits du bord de mer à travers un nouvel ouvrage. Avant-première iodée.

La dernière fois que l’on avait croisé Philippe Emanuelli, c’était en septembre 2011. Ce sommelier hors pair et cuisinier autodidacte publiait, en compagnie du photographe Frédéric Raevens, Une initiation à la cuisine du champignon. Farci de bonnes idées, le livre dépoussiérait un genre qui avait pris la mauvaise habitude de donner dans la carte postale – non, tout le monde ne vit pas à l’orée d’une forêt ; oui, le champignon est un produit fragile qui a tendance à se raréfier. Alors qu’on imaginait Philippe Emanuelli le nez pour toujours dans l’humus et les feuilles mortes, le voici qui revient, moins d’un an plus tard, avec un nouvel opus. Cette fois, l’ex-patron du Café des Spores, à Bruxelles, a pris sa pelle et son seau pour se lancer dans des aventures plus littorales. Serait-ce une fascination à la Gainsbourg, l’obsession du  » c « , qui aurait fait passer cette tête chercheuse gustative du champignon au tandem coquillages-crustacés ? Bien sûr que non : c’est bien sous le signe de la cohérence que s’est effectué le passage d’un univers à l’autre. Dès le préambule, ce fondu du bivalve théorise le sens de sa démarche :  » Le bord de mer a toujours joué ce rôle particulier de portail fantasmagorique vers ce qui semble être aujourd’hui l’un des derniers retranchements du sauvage.  » L’état sauvage, l’indompté, voilà la clé en même temps que le lien avec le champignon qui lui aussi participe de cette profusion mystérieuse. La nature donne, l’homme ramasse, humblement courbé vers la terre.  » Chassez le naturel, il revient par la plage « , ajoute l’infatigable cueilleur dans sa préface. D’autres raisons ont poussé Emanuelli vers les côtes. Parmi celles-ci, on peut identifier la nostalgie, celle de sa Bretagne natale mais également celle, plus populaire, des pêches familiales sur l’estran. Sans oublier qu’avec ses 89 000 kilomètres de côte européenne, le littoral concerne beaucoup de monde.

Si ces produits de la mer sont à portée de main pour la plupart d’entre nous, ils restent difficiles d’accès pour bon nombre d’amateurs pourtant de bonne composition. Oursins, huîtres, poulpes, couteaux, pouces-pieds… il y a là tout un bestiaire – entre apparence protohistorique et tentacules monstrueuses – qui pique, qui coupe, qui résiste, qui ravive des peurs premières. Sans parler de l’épreuve qui consiste à jeter un homard dans l’eau bouillante. Dans ce contexte, nombreux seront les lecteurs à appréhender Coquillages et crustacés comme une bible pour en finir avec  » la crainte de ne pas y arriver « . Conscient du fait que le genre  » nécessite d’y mettre les mains « , l’auteur a pris le parti du didactisme pour déminer le terrain, il détaille par exemple l’anatomie des tourteaux et autres céphalopodes pour que le cuisinier en herbe comprenne et respecte le produit qu’il a devant lui. Au passage, il désamorce quelques traumas bien ancrés – ainsi du fameux  » cri  » du homard qui  » est en fait un bruit provoqué par l’expansion des gaz contenus dans la carapace lorsqu’on plonge le crustacé dans l’eau bouillante « . Dans la foulée, il explique comment cuire des langoustines en casserole sans qu’elles souffrent et est allé jusqu’à passer un crabe au scanner afin d’en repérer les centres vitaux pour  » l’occire sans qu’il s’en aperçoive « , en lieu et place d’une lente agonie,  » un classique quand on s’y prend mal « .

DU BON USAGE DU LITTORAL

Les recettes, quant à elles, sont au nombre de 150. Des lignes de force les traversent. Géographiquement, celles-ci sont davantage tournées vers l’Atlantique que la Méditerranée.  » Ce n’est pas qu’une attirance personnelle. C’est aussi qu’il ne reste plus grand-chose dans la Mare Nostrum…  » Le cuisinier refuse d’ailleurs tout élitisme. Pas question pour lui de s’en tenir aux classiques haut de gamme façon 50 recettes autour de la langoustine et du homard. Face à la raréfaction généralisée des produits, celui qui avoue avoir été  » élevé au bigorneau  » s’est attelé à présenter de  » nouveaux débouchés gastronomiques  » qui font la part belle à quelques oubliés de la cuisine du bord de mer : patelles, crépidules ou bernard-l’hermite. Autant de produits que l’on trouve à bas prix.

Dans cet esprit, il refuse aussi d’évoquer les espèces menacées – la cigale de mer – et celles dont la pêche se révèle barbare –  » la datte de mer est encore braconnée à la dynamite en Méditerranée « . Pas de doute, Coquillages et crustacés possède un petit côté  » Du bon usage du littoral « . Cette approche décalée qui est sa marque de fabrique, l’auteur l’accole à une bonne dose de créativité et de drôlerie pour engendrer des recettes clins d’£il en forme d’antidote à l’esprit de sérieux : BLT pour Bigorneau-Laitue-Tomates, Pattes – comprendre  » pinces  » – aux £ufs, îufs coques vinaigrette ou encore Homard américain frites. Mais on trouve aussi dans l’ouvrage de rafraîchissantes Praires crues et granité mojito, un très  » surf & turf  » Porc aux palourdes sautées, une intrigante Terrine de troques, un délicat Risotto aux oursins… Le tout garanti sans traficotages et mauvaises surprises,  » après avoir été photographiée, chacune des recettes pouvait être mangée telle quelle « .

Si la plupart des coquillages et crustacés se trouvent dans les poissonneries des villes, certains produits sont une invitation à se rendre sur place.  » Il y a des crustacés qui ne supportent pas le voyage, des vacances à la mer sont une bonne occasion pour s’offrir cet exotisme.  » Le lecteur désireux de s’approvisionner de cette façon trouvera tous les conseils pour glaner au fil des plages et des rochers. Regroupés sous l’intitulé  » Si j’aurais su, j’aurais pas venu « , plusieurs paragraphes détaillent avec beaucoup d’humour les dangers qui guettent au coin de la dune, depuis la pêche  » tranquille  » qui consiste à décoller les berniques jusqu’à la pêche dite  » pour les garçons  » où il s’agit de marées avec un coefficient supérieur à 100 et de chasse au crabe… avec gant de circonstance. Bien vu également, un chapitre,  » La cuisine des plages « , dit comment improviser un pique-nique littoral et se servir de ce que l’on trouve sur place dans la perspective d’une royale économie de moyens : bois flotté pour faire du feu, boîte de conserve pour cuire des bigorneaux ou aiguilles de pin pour improviser une éclade, cette préparation de moules typique de l’île d’Oléron. Pas de doute, 300 pages plus loin, on en pince pour les fruits du bord de mer. Tsoin, tsoin.

Coquillages et crustacés, par Philippe Emanuelli, photographies de Frédéric Raevens, Marabout. Parution mi-juin prochain.

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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