Le  » pays du Matin clair « , demeuré longtemps terra incognita, s’est ouvert au monde. Mais, dans le sud-est de la péninsule, l’ancienne capitale du royaume de Silla offre un voyage au coeur des traditions.

Dans l’ombre fraîche du paulownia, la silhouette accroupie ne bouge pas. Seul le vent s’engouffre dans la veste de ramie blanche du vieil homme. Le visage attentif, peau tannée par le soleil, pommettes cuivrées et saillantes à la mongole, il observe la brume s’estomper sur un paysage de collines vert tendre, arrondies, rythmées de pins centenaires qui s’élèvent au-dessus d’une mer de toits de tuile, légèrement relevés aux angles, comme retenus par un fil invisible. Taenûngwôn, le quartier des tombes royales, est paisible.

Sous les tumuli hérissés de bosquets de bambous dorment, dans la profondeur des chambres funéraires, les rois chamanes de l’ancienne Corée, entourés pour l’éternité des attributs rituels : couronnes d’or martelé ornées de bois de cerf stylisés, bracelets d’or et de jade, pendants d’or et d’argent, témoins somptueux d’un chamanisme primitif, aux confins des cultures scythe et sibérienne.

Le vieil homme soupire. Aiguuu… Dans dix ou vingt ans, que sera Kyôngju, l’ancienne capitale du royaume de Silla (57 av. J.-C. – 935), aujourd’hui bourgade paisible du Kyôngsansbuk-do, au sud-est de la péninsule? Avec la démocratisation de la Corée du Sud ces dix dernières années, les permis de construire se sont assouplis. Hier encore, comme au temps du président Park Chung-hee, les lois de préservation du patrimoine interdisaient de bâtir des immeubles trop hauts et seule la tour trapue de Ch’ômsongdae, le plus ancien observatoire astronomique du monde (VIIe siècle apr. J.-C.), voulu par la reine Sôndok, protectrice des arts et des sciences, troublait la ligne d’horizon.

Kyôngju, l’ancienne Kûmsông, cité de l’or, s’éveille. Les portes s’ouvrent sur des morceaux de vie volés au temps. Des femmes, accroupies devant d’énormes jarres vernissées remplies de kimch’i rouge sang (aliment traditionnel à base de chou fermenté et de piment), préparent le petit déjeuner; d’autres, assises jupe retroussée sur le maru (balcon de bois), polissent à la poudre d’huile la vaisselle de laiton. L’air s’est empli de bruits, de cris, de l’odeur douce du riz et aussi des relents âcres des aliments fermentés. Le vieil homme ajuste les gantelets d’osier qui enserrent ses poignets et son cou pour éloigner l’étoffe de sa peau. Des vieillards comme lui, traditionnellement vêtus de blanc, il n’y en a plus guère dans la Corée d’aujourd’hui, tournée vers la modernité. Sa silhouette frêle coiffée d’un panama de paille s’éloigne sur les diguettes entre les étendues mordorées des rizières. Selon les Coréens, la plus belle saison pour visiter le pays du Matin clair (1) est l’automne, quand, dans l’air craquant et lumineux, les bottes de riz moissonné pendent en chevelures rousses le long des routes. C’est la saison des fêtes traditionnelles, avec, comme tous les ans, le Festival Silla: occasion pour les habitants de se plonger dans le passé.

Située entre les monts Sôndo et Namsan, desservie par deux voies de communication fluviale, les rivières Hyôngsan et Puk, Kyôngju devient à la suite de l’unification de la péninsule par Silla, en 676, une cité de grand rayonnement culturel, entretenant des liens privilégiés avec Chang’an, la capitale de la Chine des T’ang dont elle adopte le plan en damier. Aujourd’hui, ce  » musée sans murs « , vanté par les brochures touristiques, a gardé tant de vestiges de son glorieux passé – sépultures, jardins, palais, temples – qu’elle offre un cadre unique au festival et à ses reconstitutions historiques, toutes placées sous le signe des hwarang, un corps d’élite formé de jeunes garçons et de jeunes filles, les wônhwa. Et le soir, sous des p’ojangmach’a, les tentes de fortune dressées à chaque coin de rue, les Coréens mangent des crêpes aux huîtres, des pieds de cochon caramélisés ou des crabes d’eau douce au piment… Ils boivent aussi : du soju, un alcool populaire à base de patate douce, du makkôlli aux reflets laiteux trompeurs, ou du tongtongju, un vin de riz clair servi dans des bols en céramique. Les Coréens vont boire sans modération, selon une tradition ancestrale, ainsi que l’atteste le Posôkjong, un canal en forme d’ormeau sur lequel les nobles d’antan faisaient glisser des coupes de vin en composant des poèmes. C’est d’ailleurs durant une telle fête que la cour de Silla fut décimée par les armées ennemies, entraînant ainsi le royaume vers sa chute. En Corée, les montagnes, qui couvrent 70% du territoire, ne sont jamais bien loin. Sur les monts du Sud, Namsan, site sacré du bouddhisme, se niche une multitude de reliefs, de statues, de forteresses, de temples et d’ermitages à découvrir au gré de sentiers de randonnée sillonnant les dix vallées que domine Kûmosan, la montagne de la tortue dorée. Un univers de bouddhas souriants, étranges ou hiératiques est enfoui au coeur d’une nature foisonnante aux allures de toile nabi, érables carmin et ginkgos d’or jaune… Plus impressionnant encore : né sous le ciseau talentueux des sculpteurs de pierre du royaume de Silla, le bouddha de granit monumental de la grotte de Sôkkuram, sur la pente ouest du mont T’oham, est l’un des plus beaux sanctuaires bouddhiques d’Asie. En contrebas s’étend le temple du pays de Bouddha, Pulguksa. Des quatre-vingts bâtiments qu’il compta au temps de sa splendeur, huit ont survécu aux vicissitudes de l’Histoire, incendies, guerres et invasions. Dans sa cour intérieure s’élève Sôkkatap, une pagode de pierre où fut découvert, en 1966, un exemplaire du Sutrâ de la lumière pure, témoin précoce de la maîtrise coréenne de la xylographie, dont le développement est communément attribué aux Chinois, une étape importante dans l’évolution de l’imprimerie à caractères mobiles, technique mise au point en Corée, à Pasa Kyôngju, près de septante années avant Gutenberg (2)! Autres merveilles de l’art bouddhique, inscrites comme le bouddha de Sôkkuram sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco; les 81 253 planches de bois de bouleau gravées au XIe siècle servant à imprimer le Tripataka Koreana, la totalité du canon bouddhique, qu’abritent deux bâtiments du temple de Haein, au coeur des monts Kaya.

La région d’Andong, fief de la tradition confucéenne, au nord de la province, est l’occasion d’imaginer ce que fut la Corée telle que Pierre Loti la découvrit à la fin du XIXe siècle. Dans la ville et les villages voisins, Sôsan, Sôbu ou Hahoe, le temps s’est arrêté. Des centaines de maisons patriciennes mais aussi de hwangt’o chip, chaumières de terre jaune, ont été préservées, donnant à la campagne ces nuances d’ocre chantées par peintres et poètes. On ne peut pas visiter ces demeures toujours habitées, mais, au hasard des sentes plantées de buissons de cosmos, les occasions de surprendre des scènes insolites sont innombrables: nuées d’enfants se baignant dans les eaux du Nakdong, femmes en costume traditionnel, longue jupe flottant au vent et boléro court, yangban, nobles lettrés, vêtus de blanc et coiffés du kat, chapeau haut de forme noir en crin de cheval, assis, signe des temps, devant… un écran d’ordinateur!

(1)  » Pays du Matin calme  » est une erreur de traduction perpétuée par l’habitude et sans doute due aux premiers missionnaires occidentaux.

(2) L’original de ce manuscrit, le Chikchi Shimch’e Yoyôl, antérieur donc à la Bible de Gutenberg, est conservé dans les fonds de la Bibliothèque nationale, à Paris.

Juliette Morillot

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