Avec son style authentique et subtil, son avant-gardisme modéré, son allure rigoureuse mais sexy, Costume National mute ses vêtements en vecteurs d’émotions douces. Rencontre avec Ennio Capasa, un artiste touche-à-tout et touchant.

E nnio Capasa (43 ans), le directeur artistique de Costume National, est un artiste touche-à-tout, un pluridisciplinaire curieux qui évolue dans un univers où s’entrecroisent mode, design, architecture et communication. Styliste pour l’homme et la femme, il a aussi créé des costumes pour le théâtre et le cinéma, s’est frotté aux expositions les plus prestigieuses, a conçu des chaussures révolutionnaires ( les  » divisible shoes  » pour les nouveaux nomades urbains), a lancé une ligne d’accessoires, a imaginé l’installation des bureaux de Costume National dans la banlieue de Milan, a pensé le packaging du fameux parfum Scent inauguré par la marque en 2002 et a supervisé l’image et les campagnes de ses produits. Présent sous forme de flagship stores à Milan, à Paris (à deux pas de chez Chanel, rue Cambon) mais aussi à Rome, à New York, à Los Angeles, à Tokyo et peut-être bientôt à Londres, Costume National élargit encore son audience en lançant C’N’C, une deuxième ligne de vêtements et d’accessoires moins chère, tournée vers un public plutôt jeune. L’objectif et le challenge du designer, avec cette ligne  » bis « , consistaient à transposer sa vision personnelle dans de nouvelles contingences en termes d’âge, de prix et de style.

 » Je n’ai pas peur que mon style soit en décalage avec l’esprit du temps, déclare Ennio Capasa. Ce qui est stimulant dans la carrière d’un créateur de mode, c’est de capturer les tendances et les évolutions nouvelles afin de les traduire dans son style à lui. Je suis sans cesse en train de regarder plus loin, de me repositionner dans des situations neuves en me disant que ma prochaine collection sera la plus époustouflante.  »

Pour l’été 2004, Ennio Capasa s’attache à resituer les classiques du vestiaire féminin (cuir brossé à la main, brocard de satin, daim et soie pour des trench-coats, tops, vestes de tailleur, robes et blousons courts et pantalons droits) dans une logique presque poétique :  » Ma vision de la femme est simultanément gracieuse mais aussi passionnée, énergique et pugnace. Les tops et les microrobes s’inspirent des ailes du papillon, les robes transparentes imitent les nervures de la feuille, les voiles de soie offrent une palette d’ombres obtenue grâce à des pigments naturels.  »

Emballé par la démarche créative et l’univers du créateur Yohji Yamamoto chez qui, après avoir étudié la peinture et la sculpture aux Beaux-Arts de Milan, il a appris, deux ans durant, le b.a.-ba de la technique vestimentaire en appréhendant une certaine vision conceptuelle de la mode. Il est vrai que la mode, Capasa y baigne depuis sa prime jeunesse à Lecce (sur la côte Adriatique, dans le sud de l’Italie), puisque ses parents possèdent des boutiques haut de gamme où ils sont les premiers à vendre, par exemple, les créations d’Yves Saint Laurent dans les années 1970. Ennio Capasa fera d’ailleurs ses premiers pas dans le métier en agençant les étalages et les vitrines des magasins parentaux. En 1987, après son retour du Japon, ce grand fan de Coco Chanel lance Costume National ( NDLR : ce nom vient d’un livre ancien sur les uniformes français offert à Ennio par son frère Carlo) avec une collection complète pour la femme. A l’époque des victimes de la mode où les designers confèrent un pouvoir exagéré au vêtement par rapport à la personnalité de celles qui le portent, Ennio Capasa oublie le power dressing et les carrures démesurées pour se focaliser sur une allure beaucoup plus douce et humaine où les lignes caressent le corps de près sans l’harnacher. Dans la foulée, il choisit de présenter ses collections à Paris plutôt qu’à Milan où des blockbusters tels que Versace ou Armani règnent quasi en maîtres.  » Quand j’ai démarré dans la mode, Milan était très conservateur et presque vieux jeu tandis qu’à Paris, je pouvais partager mes idées avec des gens de ma génération, explique-t-il. Là-bas, j’ai toujours été accueilli à bras ouverts et mon travail y a immédiatement trouvé sa place. Lorsqu’est venue la renommée, on m’a demandé de défiler à Milan mais je demeure fidèle à la Ville lumière parce que c’est là que je dois être. En outre, l’idée de féminité est, selon moi, davantage attachée à Paris qu’à Milan « , raconte ce perfectionniste qui dessine tout lui-même et essaie chaque prototype qui sort de ses ateliers.

Six ans plus tard, Ennio Capasa démarre une collection masculine û  » nous ne trouvions pas sur le marché les vêtements que nous aurions voulu porter  » û, puis crée des chaussures, de la maroquinerie, de la lingerie, des lunettes en collaboration avec le spécialiste de l’optique Marcolin et enfin un parfum, Scent, présenté sous licence avec le groupe japonais Kanebo.  » Une façon différente et particulière de  » sentir  » ce que représente Costume National « , précise Ennio Capasa.

Très vite, sa façon de repenser les classiques de la garde-robe d’une façon simultanément sobre et sexy avec une propension pour les silhouettes fines et taillées près du corps démontre qu’Ennio Capasa adapte la dimension conceptuelle propre aux Japonais à l’univers typiquement latin où priment la sensualité et la sublimation de la femme. Cette allure à la croisée de différents chemins de mode débouche sur des vêtements au design épuré û le tailoring léché illustre à merveille la  » patte  » de Capasa û où l’intemporalité des genres fusionne avec un chic sans chichi mâtiné de noir et de blanc, une énergie urbaine qui transforme la garde-robe coutumière en  » street couture  » très contemporaine et confère au quotidien du prêt-à-porter une indéniable note de mystère. Pour Ennio Capasa, l’élégance, qu’il ne désigne pas comme telle, consiste à séduire les gens que l’on veut captiver et en revanche à tenir éloignés ceux qui ne nous intéressent pas.  » J’aime ce que les vêtements peuvent nous apporter ; finalement, ce sont des instruments de plaisir, de formidables vecteurs d’émotions qui n’attendent que d’être partagées avec les autres « .

Marianne Hublet

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