En marge du Salon international du meuble, la création belge était à l’honneur avec Confronting the Masters, une expo inédite réunissant nos dix Designers de l’année. Face à cette dream team, les oeuvres classiques d’un sculpteur italien, et, pour diriger les débats, Danny Venlet, scénographe mais pas que.

Né en Australie de parents néerlandais en 1958, Danny Venlet revient en Europe au cours des années 60, d’abord aux Pays-Bas, puis à Bruxelles, qu’il quittera bientôt pour mieux y revenir. Diplômé de l’école d’art Sint-Lukas en 1984, il succombe à l’appel des grands espaces et retourne  » down under « , c’est d’ailleurs là qu’il se fera connaître, exerçant ses talents de scénographe au Powerhouse Museum de Sydney avant de fonder l’agence Daffodil avec son compatriote Marc Newson en 1988. Deux ans plus tard, il crée VIA, Venlet Interior Architecture, et s’impose en roi de la nuit avec son mobilier pour bars et clubs. Mais il finit par poser à nouveau ses valises en Belgique  » momentanément « … depuis 1996.

Deux décennies après son retour chez nous, il aura multiplié les collaborations avec des éditeurs belges et internationaux et réalisé nombre d’aménagements d’espaces publics et d’installations pour des marques allant d’Illy à Mini. Peu importe le domaine d’activité, Danny Venlet parvient à exprimer ses qualités, au premier rang desquelles on pointe sa foi inébranlable en l' » homo ludens « et son attentive observation de tous nos petits rituels ; en témoigne l’une de ses pièces les plus emblématiques, le fauteuil Easy Rider, classique instantané offert à Bulo en 2002. Designer et architecte d’intérieur, mais aussi juré, prof et directeur artistique de MAD Brussels, Danny Venlet avait déjà officié sous la bannière Belgium is Design, et semblait tout indiqué pour arbitrer la rencontre entre les dix lauréats du prix du Designer de l’année depuis sa création en 2006 (lire par ailleurs), au coeur de l’un des centres névralgiques du programme off, la Pinacoteca di Brera. Nous l’avons rencontré, en amont de l’événement, dans son studio bruxellois, basé dans une ancienne boutonnerie du XIXe siècle, où il vit et travaille, à deux pas de la place Sainte-Catherine.

Comment l’expo est-elle arrivée à Brera ?

Alors que Belgium is Design prenait ses quartiers à la Triennale de Milan depuis plusieurs années, il a fallu trouver un autre espace d’exposition parce que l’endroit était réquisitionné pour l’Exposition universelle. C’était donc un nouveau challenge, qui s’est révélé des plus compliqués ; même si j’admets tout à fait que nous avons, nous-mêmes, cherché les difficultés. L’emplacement choisi à Brera est très beau mais aussi très complexe, cette Sala Napoleonica abrite une vingtaine de statues, dont certaines valent des centaines de milliers d’euros, que l’on a décidé d’intégrer à la scénographie plutôt que de les cacher derrière des panneaux.

Vous dites  » on « , c’était donc une idée commune ?

Tout repose sur un travail collectif, donc je ne dis jamais  » moi « , même si j’ai effectivement proposé le concept. Dès le départ, nous étions au moins trente autour de la table, il était inutile d’espérer recevoir un briefing précis. En tous cas, l’initiative ne venait certainement pas de l’Accademia, à Milan, et personne n’avait encore osé un tel dialogue entre les oeuvres anciennes et les objets exposés. Lors de ma première visite des lieux, j’ai pu voir ces caisses en bois  » protéger  » les précieuses sculptures anciennes, et j’ai immédiatement su que les cacher était malheureux. Cela a demandé beaucoup d’aménagements et de diplomatie, le fait de voir du design côtoyer des oeuvres antiques n’a pas immédiatement plu à tout le monde, mais cette confrontation m’intéressait, d’où le titre, Confronting the Masters.

Quels étaient les écueils ?

Le principal problème fut évidemment la sécurité des statues. Mais j’avais vraiment envie de les valoriser, de jouer avec les éléments présents dans la salle, et ça n’a pas été facile d’obtenir toutes les autorisations. De plus, les designers étaient obligés de montrer de nouveaux produits, et tous ne savaient pas exactement ce qu’ils allaient être en mesure de présenter. Cela a donc pris du temps, mais on a fini par trouver un compromis. C’est un très bon emplacement, très fréquenté, mais contrairement à d’autres, il ne suffit pas d’y poser son éclairage pour que tout soit prêt.

N’est-ce pas plus stimulant pour vous ?

Oui, mais les responsables milanais ont tellement changé d’avis qu’on a dû modifier nos plans au moins cinq fois ! C’était de la folie. A un moment, ils ont encore refusé que l’on utilise les statues alors que le titre avait déjà été fixé. Les Masters confrontés n’auraient alors plus été que les dix Designers de l’année…

C’est aussi un peu le cas, non ?

Evidemment, et j’en joue, mais j’aime l’idée que les maîtres sont les grands artistes classiques. Un Italien m’a dit :  » Un master, ce n’est pas nécessairement quelqu’un qui a eu une grande carrière, c’est quelqu’un qui peut partager sa connaissance.  »

D’où vient votre intérêt pour la scénographie ?

On apprend beaucoup en mettant les objets en valeur, en réglant les questions d’angle, de lumière, etc. Et en tant que designer, on compare inévitablement les objets à exposer aux siens, mais il faut pouvoir mettre certaines idées de côté. J’ai appris à prendre ce recul il y a déjà longtemps, c’est sans doute pourquoi on me demande régulièrement de faire partie de jurys internationaux, comme celui des Red Dot Awards en Allemagne. Il faut savoir oublier certains aspects personnels, mais néanmoins appliquer ses valeurs  » design  » sur les choix portés, et pas se limiter à  » j’aime/j’aime pas « . C’est à peu près la même démarche quand je donne cours : je n’explique jamais exactement comment les étudiants doivent faire, si un élève arrive chez moi avec une question, je m’arrange pour qu’il quitte mon bureau en s’en posant dix ou vingt. C’est à eux de trouver une solution, sinon les objets qu’ils réalisent seraient les miens.

Pour en revenir à Confronting the Masters, n’a-t-il pas été trop difficile de rassembler en une exposition des créations aussi disparates ?

L’ensemble s’avère plutôt éclectique, mais ce sont justement les sculptures anciennes qui forment un fil rouge et apportent une dimension supplémentaire à la composition. C’est une belle expo, qui dépasse le cadre strict du design ; le décor bénéficie d’un cachet exceptionnel, car outre les statues, il y a aussi des tableaux et des bas-reliefs, l’endroit n’a rien à voir avec un showroom tout blanc. Il y a de tout, des chaises, des tables, des luminaires mais aussi le baby-foot d’Alain Gilles, et les Italiens ont très peur que les visiteurs aient envie d’y jouer. Personnellement, j’aime beaucoup observer la réaction du public, ça ajoute une dimension behavioriste à mon travail, mais son kicker est très tentant, donc je comprends aussi leur inquiétude.

www.venlet.net

Pinacothèque de Brera, 28, via Brera, à 20121 Milan. Tél : +39 02 7226 3264. www.belgiumisdesign.be

PAR MATHIEU NGUYEN

 » Personne n’avait encore osé un tel dialogue entre les oeuvres anciennes et les objets exposés. « 

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