COUPE COUTURE

Des robes culottées, des coupes au millimètre près, une collection à son nom et deux déclinaisons, version bis et Mademoiselle. Depuis dix ans, Anne Valérie Hash écrit son histoire de mode. À même le corps.

Il n’y a qu’à Paris que des portes banales s’ouvrent sur des ateliers renversants légués par les siècles précédents avec un certain sens de la démesure et un chic fou. Prenez l’ancien hôtel Marguery, 36, boulevard Bonne-Nouvelle, Xe arrondissement, là où crèche Anne Valérie Hash, créatrice impétueuse. La porte à peine entrouverte et l’air de ne pas y toucher, le hall d’entrée fait déjà assaut de magnificence – escalier, colonnades, marbre en trompe-l’£il, miroirs du sol au plafond, ne pas se laisser impressionner surtout, car la suite de la visite va crescendo. Petits soupirs d’émerveillement, sûr qu’Anne Valérie Hash a poussé les mêmes en dénichant cet endroit fabuleux daté 1888, tombé en désuétude entre les deux guerres mondiales puis peu à peu laissé à l’abandon – les détritus, les fientes de pigeons et la couche de poussière ne l’ont guère rebutée, les challenges, elle aime ça, et puis  » boulevard Bonne-Nouvelle « , ça sonne bien, non ?

En 2006, elle installe donc sa petite équipe ( » 20, en tout « ), dans ce bâtiment énorme qui change de style selon les humeurs et les pièces : flamande gothique pour le showroom, mauresque pour le bureau du nouvel administrateur niché tout en haut, miroirs et moulures pour le studio, contemporain sobre pour l’atelier. Ce matin, le showroom ne ressemble guère à la photo, dans cette ex-salle de bal, avec vraies mosaïques, vagues en relief et cheminée blasonnée, règne un joyeux désordre. Sous les nouveaux lustres seventies à peine accrochés, on zigzague entre les caisses en carton, les portants croulant sous les vêtements automne-hiver et printemps-été mélangés, dans ce parfum inimitable que l’on respire uniquement dans les lieux puissamment habités. Par leurs occupants contemporains, cela va de soi. Et par les fantômes de cet hôtel-restaurant très couru au XIXe siècle où se croisaient les stars du moment, artistes, musiciens, écrivains – Emile Zola y avait ses habitudes -, et où les messieurs se retiraient parfois en charmante compagnie, dans l’un ou l’autre salons chinois ou égyptien, ainsi le veut la légende. C’est ici aussi qu’Anne Valérie Hash fait défiler ses créations, son prêt-à-porter et sa haute couture. Comme en janvier 2010, ce travail magique titré  » Confidences « , opéré sur des vêtements de seconde main empruntés à quatorze personnalités – Jean Paul Gaultier, Alber Elbaz ou Charlotte Rampling – puis désossés, repensés, réinventés, transformés à sa façon. Avec elle, il faut s’attendre à tout.

UN VOCABULAIRE

Tout, pour ce printemps-été 2011, cela ressemble à des robes culottées, des pantalons faux semblant, des jumpsuits référentiels et des tutus en tissu mémoire, déclinés dans sa deuxième ligne qui se joue des abréviations, AVH BY Anne Valérie Hash, ou en version fillette, qui porte son nom avec un joli Mademoiselle accolé. Y ajouter quelques pièces en maille entièrement faites main et des sandales avec plateau et Lurex crocheté nées d’une collaboration avec la créatrice autrichienne Michaela Buerger et appelée Hand in Hand, un vrai programme. Mais sans chichi, on est bien chez Anne Valérie Hash, la voilà justement, pantalon baggy kaki foncé, pull gris clair, écharpe violine, vernis nacré même ton, cheveux longs, maquillage option nude, et baskets compensées d’Isabel Marant, sa copine. Elle porte rarement ses créations, à part sa robe-pantalon, éternellement belle, éternellement elle. Et si aujourd’hui elle s’est habillée sport, c’est pour aller chercher ses filles à l’école tout à l’heure, ce sera sans doute la seule et unique fois de l’année, ça la déchire, la culpabilise, c’est la vie, la mode et son rythme infernal qui veulent ça. Elle n’avait d’ailleurs pas compris cela, Anne Valérie, quand elle lança sa première collection il y aura bientôt dix ans.

UN CHEMIN

Car tout a commencé en 2001. Un peu avant même : pour mieux se lancer, deux mois durant, Anne Valérie Hash, 30 ans, noircit les pages d’un cahier, y couche un chapelet de mots qui font sens –  » soie, laine, coupe, couleurs, noir et blanc, détails  » – et  » sans projeter très loin parce que je n’avais pas les finances, je n’avais pas non plus l’ambition d’avoir un business plan sur trois ans, je voulais faire une collection, j’étais complètement inconsciente « . Une seule chose est sûre : elle veut  » y aller « , avec cette idée pas si saugrenue, qui ne la quitte pas –  » raconter une histoire, autour de la coupe, celle d’une petite fille qui va dans le placard de son père pour s’habiller… « . Plus tard, en 2007, dans un livre de  » souvenirs « , titré Moments in time, elle écrira a posteriori :  » Soudainement il m’est venu l’envie d’exprimer la création à travers la déconstruction des vêtements d’homme. Je n’étais pas la première à déconstruire pour reconstruire ni la première à me servir de vêtements d’homme. Mais cette démarche est devenue singulière car je l’ai faite à travers le corps d’une enfant.  » Car cette envie de masculin-féminin avec tours et détours, elle la modèle  » in vivo  » pratiquement sur une fillette qui lui sert de mannequin, des séances de travail qui se terminent en séance photo devant l’appareil de Fabrice Laroche et avec l’incandescence candide de Lou Lisa Lesage, plus tous  » ses gestes qui pouvaient inspirer des mouvements, des mots, des moments « . Ceux qui ont quelques notions de coupe, couture, patronage et autres décalage de volume savent combien il est difficile de bâtir une collection de cette façon-là, avec dépeçage et ossature réinventée, Anne Valérie Hash aime les chemins sauvages que peu empruntent. Les matins d’école qui la voient se déguiser en dame parce que c’est ainsi – sa fille Elise, 4 ans, fait pareil aujourd’hui. Les études à Duperré, Paris, section coupe, puis à l’école de la Chambre syndicale de la Couture parisienne. Les cours d’histoire de l’art, de psychologie et de nutrition à Philadelphie, interlude américain. Les débuts chez Nina Ricci, comme retoucheuse,  » j’étais dans les coulisses du vêtement, c’était dingue, j’ai beaucoup appris, comme si un architecte apprenait à construire en démolissant « . Là, elle se promet juré qu’un jour, dans sa maison de couture(s), son atelier sera  » le c£ur, le poumon « , qu’il y fera bon travailler,  » hors de question que ce soit la mine « . Résultat, la veille du défilé, chez Anne Valérie Hash, c’est massages pour tout le monde – dans la joie et la bonne humeur.

UN PASSÉ

En attendant, dans notre chronologie, on est encore en juillet 2001 : elle est prête, en avance même, elle montre sa toute première collection, mais n’a pas les moyens de défiler, juste d’exposer au musée Galliera les photos  » très belles  » de Michelangelo di Battista avec la Belge Guinevere en mannequin dessillante. Elle s’en souvient  » comme si c’était hier « , s’amuse de sa naïveté folle,  » je n’avais pas réalisé que je devais enchaîner avec la collection suivante « , sait aussi qu’elle a eu beaucoup de chance,  » si je l’avais montrée en octobre, après le 11 septembre, il n’y aurait pas eu de deuxième collection « . Et puisqu’il a fallu enchaîner, elle le fait, emportée par son élan poétique qui lui fait revisiter une robe-pantalon, un costard, une veste militaire, un jupon. Elle remporte le prix de l’Association nationale de développement pour les arts de la mode (ANDAM, 2003), connaît une année de grand bonheur (2005), celle de son mariage avec un importateur de viande bovine, elle qui n’en mange pas,  » c’est un terrien qui a épousé une extraterrestre « . Suite logique : deux bébés, Elise (2006) et Tal (2007), plus de féminité, un déménagement avec installation à l’hôtel Marguery, un livre pour clore le chapitre avec Lou Lisa Lesage, la naissance de sa ligne AVH Mademoiselle, pour fillette (2008),  » des répétitions des classiques qui ont existé chez Anne Valérie Hash, c’est doux à faire, c’est simple, ce n’est que du plaisir « , l’insigne de Chevalier des arts et des lettres (2009) et depuis l’été dernier, une deuxième ligne, AVH by Anne Valérie Hash, qui va droit au but.

UN PRÉSENT

Anne Valérie Hash convoque les poètes du métier, Yohji Yamamoto et Azzedine Alaïa, rappelle combien elle reste très attachée à la coupe,  » au millimètre près « , sent qu’elle est  » en chemin  » et qu’elle n’est plus pressée par le temps, dix ans de mode, cela finit par compter. Elle précise que le star-system la saoule, qu’elle n’est pas Donatella Versace, on l’avait remarqué, qu’elle déteste  » la mode sexy, les robes Marilyn, bustier-corps-taille serrés hanches marquées, j’ai horreur d’être moulée « . Pareil dans ses collections, Femme ou Enfant, elle ne veut pas que l’on marque la taille, elle ne transigera pas –  » même quand c’est tricoté, c’est tricoté droit « . Elle concède :  » Il a fallu que j’aie plus confiance en moi pour commencer à alléger le discours, la coupe et les couleurs, les tonalités… Je me souviens, au début, tout était très noir, très épais, construit, camisole, protecteur, et avec le temps, pff, on lâche.  » Pas plus tard qu’hier, Anne Valérie Hash, créatrice désormais solaire, est tombée par hasard sur un jeu de tarot. Sur une carte, une femme très belle dans un immense manteau de fourrure et une autre, tout simplement allongée sur un divan – elle mime la posture, comme en apesanteur -, l’été sera léger.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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