Ils travaillent en duo et se coupent en huit afin d’atteindre leurs objectifs. Ils passent beaucoup de temps ensemble – la création vestimentaire est une  » patronne  » exigeante -, mais parviennent à conserver leurs jardins secrets respectifs.

Carnet d’adresses en page 147.

Plus unis que les doigts de la main, il leur arrive parfois de se disputer comme des chiffonniers. Mais l’estime qu’ils éprouvent l’un(e) pour l’autre est taillée dans une solide étoffe. D’ailleurs, ils se verraient mal en singleton, sachant fort bien que l’un(e) tempère ou stimule l’autre, et que l’on trouve toujours plus d’idées dans deux têtes û fussent-elles cabochardes û, que dans une seule. Weekend Le Vif/L’Express a épinglé quatre tandems stylés, quatre  » Boileau-Narcejac  » de la mode, dont chaque histoire est particulière. Et particulièrement belle.

Vava Dudu & Fabrice Lorrain : un duo haut en couleur

Elle, tout en cuir bicolore tailladé-customisé-recyclé par ses soins, lui en maille sombre qui masque sa silhouette mince perdue dans les volutes de fumée de cigarette… Avec leurs vêtements que l’on peut qualifier de haute couture punk, Valérie (32 ans) et Fabrice (31 ans) secouent la bonne conscience bourgeoise de la mode franco-française. Elle est originaire de Martinique, lui vient du nord de la France. Elle préfère les garçons, lui aussi. Chez  » Vava et Fafa  » ( NDLR : cette abréviation colorée de Vava Dudu et Fabrice Lorrain désignait une de leurs lignes vendues au Japon mais qui, faute de financier compétent, n’y sera pas reconduite), les idées se travaillent au scalpel et les vêtements au rasoir. A moins que cela ne soit le contraire, car ces autodidactes un brin rebelles ont pour le savoir-faire artisanal un respect immense. De ces quatre mains naissent donc des gestes forts et des pièces quasi uniques : un trench Burberry  » débourgeoisé  » à coups de cutter û l’imper a fait illico craquer John Galliano û, des robes  » cuttées  » à vif, û la chanteuse Björk a apprécié û, des tee-shirts aux incrustations étranges, des soies délicates taggées de mille couleurs, des sacs à main entre le doudou et le dur-à-cuir, des bricolages chics empreints d’une beauté sauvage… Leurs défilés, ou plutôt leurs performances, ont des appellations qui décoiffent (Merde 2002, Hot Show Défilé Live, Bed Perform in Barcelona, Fashion Punition et, pour ce printemps-été 2003, Vicious Survivor) et des mises en scène pas piquées des vers. Ainsi Pamela Love, l’héroïne de leur collection 2003, prend toutes sortes de positions peu catholiques dans un loft tandis que sa prestation s’entrecoupe de saynètes révélant, par le biais d’une autre jeune femme, Eve, les pensées de Pamela. Entre sexy appuyé et fantaisie bouillonnante, Vava Dudu & Fabrice Lorrain déploient une énergie immense, prouvant à deux et par deux que la mode consiste à donner de la chair au verbe et une nouvelle vie aux grands classiques.  » Si la France veut rester pointue côté créateurs, elle a intérêt à développer un réseau d’écoles de mode accessibles financièrement et dotées d’un réel suivi (partenariats avec des industriels, possibilités de fréquenter les salons du cru, ouverture sur l’étranger, aide au développement de micro PME comme la nôtre…) comme en Belgique « , expliquent-ils.

Faute de financier, Vava et Fafa se débrouillent avec des bouts de ficelle et un talent fou : bourse de l’Andam en 2001, Grand Prix de la Ville de Paris fin 2002, participation à divers événements et expos aux quatre coins du monde, présence au musée Galliera (Paris), etc.

Travailler à quatre mains rend-il plus fort ?  » Nous formons une espèce de couple et entretenons une relation professionnelle intense, davantage que nos vies privées respectives, d’ailleurs ( sourires). L’existence est dure ; il faut être assez coriace pour survivre dans ce milieu-là. Dans un duo, on peut s’épauler mutuellement, se tempérer au besoin.  » Vava et Fafa cumulent les différences et les complémentarités û  » c’est ce qui nous a attirés l’un vers l’autre et nous procure des tas de sources d’inspiration pour nos collections féminines et masculines « . Ce couple de mode hors du commun s’est rencontré lors d’un Salon dévolu aux accessoires, en 1995 : à l’époque, Valérie présentait ses créations perso en perles tandis que Fabrice réalisait des objets pour le styliste Erik Halley. Electrons libres du style, ils vont faire des étincelles, en commençant par fabriquer des étuis péniens en perles de verre. Depuis lors, ils bossent sur des pièces uniques ou des séries limitées, avec l’acharnement de ceux qui veulent à tout prix prouver que la mode n’est pas prête à se calmer.

Les s£urs Spijkers, des jumelles qui voient loin

Comme le reflet du miroir et son modèle originel, Riet et Truus Spijkers (32 ans) sont parfaitement semblables. Même beauté sereine et contrastée, même comportement mâtiné d’enthousiasme et de réserve û une attitude typiquement hollandaise û, même fascination pour la planète mode et ses satellites.  » îuvrer ensemble nous rend plus fortes, c’est sûr : on peut former un bloc si le besoin s’en fait sentir, on peut agir en électrons libres aussi. Un excellent courant passe entre nous, bien qu’il soit parfois électrique. Et nous pensons que l’inspiration surgit plus vite aussi, car quand l’une n’ose pas aller au bout de ses idées, l’autre l’encourage à poursuivre. Cela dit, on ne tient pas à exploiter de façon intentionnelle notre gémellité. L’image dégagée par nos vêtements prime sur la nôtre. Nous devons toutefois reconnaître que cette dualité attire l’attention sur nous et ce que nous faisons ( sourires).  » Jolies mais pas évaporées, Riet et Truus agissent au quotidien et dans la mode avec un enthousiasme quasi contagieux.  » Petites, on savait déjà que l’on exercerait un job lié aux beaux-arts. L’envie d’étudier la mode est venue plus tard. On habitait Hardenberg, un petit village où, question habillement, c’était assez ras-des-pâquerettes. Nous avons dès lors appris très tôt à confectionner nos propres vêtements.  » Inséparables, elles ont quand même réussi à se ménager chacune une vie privée :  » Après une longue journée de travail, il nous arrive de nous téléphoner et d’encore papoter mode ! avoue Truus. Je crois que l’on est toutes deux mariées avec ce boulot.  » Ces jeunes femmes au talent prometteur ( NDLR : leur marque est présente au Japon et en Chine tandis que des points de vente en France et en Belgique figurent au calendrier de leurs projets futurs) nourrissent une passion commune envers deux grandes créatrices du début du xxe siècle, Madeleine Vionnet et Elsa Schiaparelli. Elles admirent Vionnet, la reine du biais, pour sa maîtrise technique et Schiaparelli pour sa créativité tous azimuts.

L’Art déco et ses multiples déclinaisons esthétiques représentent donc chez elles un thème récurrent. Thème qui traverse de part en part leur quatrième collection à quatre mains û le stylisme est réalisé de conserve, Riet manageant davantage l’étape du modélisme û, pour le printemps-été 2003.  » Cette saison, nous avons été influencées par les costumes des Ballets russes, la personnalité de Sonia Delaunay et par la liberté qui animait tous les artistes de ce temps-là. La soie, le coton et le cool-wool, û rien que des matières naturelles et confortables chez les Spijkers û, servent de base à des modèles au graphisme fort et aux couleurs douces. Coupes étonnantes et traitement raffiné des détails (le biais, les asymétries, les ourlets basculés et les découpes sont à l’honneur) parachèvent une collection dont le romantisme sans  » nunucherie  » dévoile, au fil des pièces, une sensualité pleine de réserve.  » Le mot  » sexy  » et les clichés qu’il véhicule n’appartiennent pas à notre vocabulaire.  »

Les s£urs Spijkers habitent Arnhem, là où se trouve le fameux  » Fashion Institute  » éponyme dont elles sortent diplômée en 2000, sur les traces d’aînés prestigieux comme Viktor & Rolf.  » C’est là que le métier de styliste s’est installé dans notre esprit, dans cette ambiance où tout était original, des bâtiments jusqu’aux projets en passant par les profs et les élèves.  » Elles affûtent d’abord leurs crayons au sein de marques de prêt-à-porter commercial puis décident, en 2001, de se lancer seules sous le label Spijkers & Spijkers.  » Nous participons à beaucoup d’expositions (NDLR : au Palais de Tokyo et aux Galeries Le Printemps à Paris, au Museum of Modern Art d’Arnhem, etc.) qui ne concernent pas uniquement la création de mode. Une façon d’entretenir notre inspiration, de rafraîchir nos méninges et de tout observer avec nos deux paires d’yeux !  »

Le destin design des Fairchild

Erin (34 ans) et Stephen Fairchild (42 ans) ont tout en commun : leur business û elle s’occupe des relations publiques, il crée û, et leur vie privée û mariés en 1991, ils ont deux petites filles. Vous croyez que cette union permanente leur pèse ? Nenni ! Chaque jour qui passe permet à ces Américains adorant l’Europe ( NDLR : Erin, qui parle un français impeccable, a passé son enfance à Bruxelles, Stephen, lui, a étudié en Suisse et dans le sud de la France avant d’aller en Italie) de s’imprégner d’une culture plurielle qui rejaillit tant sur leur travail que sur leur mode de vie.  » Quand on s’est rencontrés, je finissais une licence en Communication à l’université à Boston tandis que Stephen travaillait déjà à Milan pour Giorgio Armani. On s’est fréquentés  » en longue distance  » pendant un moment û un bon moyen de tester la solidité de votre relation avec quelqu’un ! û, puis je l’ai rejoint en Italie : celui qui allait devenir mon mari y a bossé quatre ans encore, à Rome, pour Valentino. Ensuite, on est partis à New York ( NDLR : Stephen £uvrera chez Ralph Lauren et Calvin Klein) et maintenant, nous voici à Bruxelles. On y habite depuis trois ans et on s’y plaît beaucoup « , explique Erin. Pas étonnant, avec un tel tempérament à la Philéas Fogg, que Stephen Fairchild, fils de John Fairchild, le fondateur et ancien éditeur du fameux quotidien  » Women’s Wear Daily « , qualifie ses vêtements de  » mobile fashion « .  » J’aime bouger. C’est rafraîchissant pour mon couple, pour nos contacts avec la société et, bien sûr, pour mon inspiration en tant que designer.  »

Son prêt-à-porter et ses accessoires haut de gamme û la qualité est son credo û, naviguent entre l’élégance  » casual  » et la fantaisie, l’allure sage et le look sexy-nonchalant.  » On peut globaliser le business û d’ici à 2005, j’espère atteindre les 30 millions d’euros û, pas la personnalité des gens. Il faut être à l’écoute d’un public en recherche d’identité et d’individualité.  » Un brin punky û mordu de tous les genres musicaux, Stephen apprécie cette période qui marqua son adolescence û, dotée de détails très couture (découpes savantes, drapés virtuoses), la collection puise d’abord dans les voyages lointains puis dans un  » tailoring «  aussi décalé qu’impeccable.

Après avoir travaillé dix-sept ans pour d’autres û  » Je voulais acquérir une expérience sans faux plis  » û, Stephen présente sa première collection au printemps 2002, précédée d’une association en  » joint-venture  » avec le groupe italien Mariella Burani qui, outre sa ligne éponyme et d’autres griffes transalpines, produit et distribue les créations de l’Américain (chacun des deux partenaires détient 50 % du capital de la société Fairchild). Aujourd’hui, Erin et Stephen Fairchild ont 150 points de vente en Italie, quatre sur notre territoire ainsi que de multiples présences en France, Allemagne, Etats-Unis et Angleterre.  » Vous ouvrez un journal spécialisé et à chaque page, c’est un torrent de pessimisme (la mode va mal, l’économie se plante complètement, va-t-on défiler ou non quand le terrorisme nous menace, etc.) qui vous submerge. Alors qu’il vaudrait mieux proposer des solutions afin d’améliorer la situation actuelle, souligne Stephen Fairchild. Les temps sont durs mais intéressants, aussi. Parce que dans la mode, on va voir qui est valable et qui va se casser la binette.  »

 » Les gens dépensent plutôt pour leurs enfants, la bonne chère et, dans une certaine mesure, l’aménagement de leur intérieur. Fort bien : à nous de leur prouver qu’ils peuvent également encore investir dans la mode.  » Appuyé par sa jolie femme û  » Erin, ma muse, rassure l’anxieux que je suis  » û, Stephen planche d’ailleurs, entre autres projets, sur une ligne dédiée aux enfants. A malin, malin et demi.

Wendy & Jim : le double  » je  » de l’allure

Quand Wendy (28 ans) éternue, Jim (37 ans) tousse. Et j’exagère à peine, tant ce tandem viennois  » roule  » sans dérapage sur les chemins souvent caillouteux de la mode pointue. Ils se sont rencontrés à l’ Academy of Applied Art de Vienne où ils étudiaient sous la houlette de profs prestigieux comme Vivienne Westwood, Helmut Lang ou Jean-Charles de Castelbajac.  » Nous sommes contents d’avoir eu des maîtres comme eux mais nous ne nous y référons guère car nous tenons avant tout à être remarqués pour notre propre démarche créative.  »

Wendy (Helga Schania dans le civil) et Jim (en réalité Hermann Fankhauser) ont démarré leur ligne en 1997 et défilent pour la première fois deux ans plus tard à Paris. Ils envisagent la mode d’une manière ludique bien que toujours réfléchie, ce qui explique leur manie marrante d’apparaître incognito dans leurs shows, à l’instar d’Alfred Hitchcock dans ses longs-métrages.  » Nous aimons que les gens se posent des questions par rapport à ce que nous leur montrons dans nos défilés. Nous voulons qu’ils continuent à s’intéresser, après le show, au vêtement et à ses diverses interprétations. Enfin, nous tenons à véhiculer certains messages à travers nos modèles « , déclare le duo autrichien.

Férus d’arts contemporains û ils privilégient l’interpénétration des disciplines artistiques et l’organisation d’expos mettant la mode à toutes les sauces û, ce couple en affaires mais pas dans le privé pratique le détournement du vêtement avec une élégance partagée entre l’ironie et la lucidité.  » Nous parlons beaucoup  » boutique  » même après les heures de travail qui ne sont déjà pas légères. Cependant, nous avons choisi ce boulot dont nous sommes réellement mordus « , racontent ces fans du créateur germano-belge Bernhard Willhelm dont ils partagent la même vision de mode, empreinte de modernité acérée. Leur collection printemps-été 2003 prend quelques libertés avec les codes classiques de nos garde-robes qu’elle décale sans virer dans l’importable, sur fond de tons monochromes habilement mixés. Voilà pourquoi un blouson mute en pantalon, un trench-coat suit le même processus tandis qu’une robe se coupe en deux afin de mieux se répéter, telle les figurines des cartes à jouer. Ce qui sert habituellement de top se porte désormais sur les jambes et inversément. Les capes reprennent le rôle de la robe grâce à un savant système de Zip et les sarouels prônent l’allure unisexe.

 » On ne s’arrête pas à la formule selon laquelle on trouve plus d’idées dans deux têtes que dans une seule ; pour nous, il ne s’agit pas seulement de multiplier les inspirations ou le produit. En fait, c’est un troisième cerveau, celui de Wendy & Jim, qui nous stimule et nous pousse à réaliser des collections pour les deux genres, quitte à réunir les vêtements masculins et les vêtements féminins au c£ur d’un lifestyle identique « , souligne Wendy-Helga.

Wendy & Jim û une appellation qu’Hermann et Helga ont élue pour son côté joyeusement abstrait û, ressemble à un enfant qui aurait accumulé les qualités et les spécificités respectives de ses parents.  » Nous sommes très fusionnels, nous ne pourrions pas agir avec la même intensité si nous étions en solo. Ainsi, nous pêchons des idées même dans nos malentendus (l’un de nous deux dessine quelque chose et l’autre y trouve une interprétation totalement inattendue, par exemple), voire dans nos prises de bec.  » Tout un art, ces prestations à quatre mains…

Marianne Hublet n

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