The Wind, sa collection printemps-été 08 pour Issey Miyake, est à la mesure de son talent : hors norme, ingénieuse et conceptuelle. Portrait d’un créateur qui ne manque pas d’air.

Ce jour-là, la chaleur est intense sous la tente plantée dans les jardins du Louvre, à Paris. Elément d’une scénographie savamment orchestrée ou vicissitude inhérente à tous les lieux bondés ? Toujours est-il que le souffle d’air frais qui s’échappe de tuyaux souples est le bienvenu. Tantôt brise légère, tantôt bourrasque, ce ballet de tubes désarticulés suit le tempo adopté par les silhouettes de la collection printemps-été 08 d’Issey Miyake, elles aussi  » expulsées  » d’un immense tube jaune placé au début du catwalk.

La mise en scène n’a rien de gratuit : sa deuxième collection, intitulée The Wind, Dai Fujiwara, directeur artistique de la maison nippone depuis octobre 2006, l’a conçue comme un hommage au vent. Ainsi, le défilé s’ouvre sur des plissés symbolisant le relief du sable caressé par le sirocco. Leur succèdent des modèles évoquant le bleu du ciel grevé par les traces d’avions, tandis qu’un troisième volet, déclinant des vêtements aux formes géométriques percés de gros £illets, s’inspire des voiles de bateaux. Enfin, la dernière partie du show propose des parkas en matériaux techniques ultralégers, faisant référence aux mouvements de l’air autour du corps qui se déplace. Un choix auquel Dai Fujiwara apporte une double justification. D’une part, la volonté, commune à bon nombre de créateurs cette saison (lire en pages 68 à 71), de conscientiser le public :  » Je voulais exprimer le récent changement climatique planétaire à travers mes vêtements.  » De l’autre, son attrait pour la nature, dont il n’a jamais caché qu’elle fait partie de ses sources d’inspiration. Adepte des promenades méditatives, il voulait  » pouvoir ressentir le souffle du vent même en ville « .

Mais la créativité de cet ingénieur de formation, diplômé de la Tama Art University de Tokyo, est aussi alimentée depuis toujours par la technologie, qui le fascine. On se souvient qu’il a d’ailleurs mis au point et développé, avec Issey Miyake, le procédé technique qui a permis au fameux concept de vêtement sans couture A-Poc (A Piece of Cloth) de voir le jour. Plein d’admiration pour celui qu’il considère comme son père spirituel, Dai Fujiwara précise que c’est  » monsieur Miyake qui a proposé le projet A Piece of Cloth, qui est un élément important pour la griffe. Il l’a appelé A-Poc sur la base d’un jeu de mots sur le terme  » epoch  » (NDLR : époque, ère). Une manière de dire que ce label a été créé à la fin du xxe siècle mais qu’il perdurera. Si A-Poc est lié à une personne, en l’occurrence, il s’agit de monsieur Miyake.  » Il est vrai que l’approche créative de ce dernier s’est toujours axée sur un subtil équilibre entre tradition et innovation : dès les premières collections, au début des années 1970, la délicate alchimie entre artisanat et technologie transparaît.

Poésie et technicité

En 1998, Dai Fujiwara, qui a rejoint le studio de création quatre ans plus tôt, est en charge de la maille pour les différentes lignes de la griffe tokyoïte. Issey Miyake, mécontent des finitions apportées aux vêtements coupés dans cette matière délicate à travailler, lui demande de mettre au point un procédé qui permettrait d’obtenir un rendu parfait. Commence alors, pour le créateur, une laborieuse recherche : il s’intéresse aux machines, se renseigne auprès des fabricants, parcourt les salons professionnels… et finit par dénicher une vieille tricoteuse à chaussettes. L’idée est née : pour un tombé impeccable, les vêtements doivent être tissés d’une pièce. Le procédé révolutionnaire sera ensuite étendu, et, de simple solution technique, A-Poc devient une ligne à part entière. Avec le succès que l’on sait : non seulement les collections se vendent, mais, en 2000, le duo créatif se voit décerner le Good Design Grand Prize. Trois ans plus tard, les créations de Dai Fujiwara pour A-Poc sont également récompensées par le Mainichi Design Award. Entre-temps, le procédé s’est imposé parmi les autres lignes de la maison de mode.

Cette attirance pour la technique a également poussé Dai Fujiwara, lors de son dernier défilé, à proposer une surprenante collaboration à James Dyson, le designer connu du grand public… pour ses aspirateurs sans sacs ! Partant du principe que  » la recherche créative est importante non seulement dans la mode, mais aussi dans le développement de n’importe quel produit « , le styliste reconnaît une similitude entre sa démarche personnelle et celle du Britannique, qui a su allier esthétique et fonctionnalité dans les objets les plus basiques. Si on ajoute à cette conception commune que James Dyson a étudié les mécanismes du vent et de la force centrifuge par fascination pour les cyclones, la collaboration ne paraît plus du tout incongrue.  » Je lui ai demandé d’imaginer un concept où la beauté de Paris serait absorbée, se souvient Dai Fujiwara. Bien qu’il ait pensé que c’était un projet risqué, il était intéressé par ce chalenge et, heureusement, a répondu positivement à mon offre.  » Le designer a donc scénographié le show printemps-été 08 d’Issey Miyake – les fameux tubes jaunes XXL, c’était lui.

Férus de physique, les deux comparses n’ignorent rien du principe des vases communicants. Si bien que Fujiwara est allé un pas plus loin, en s’emparant du célèbre aspirateur Dyson et en le disséquant pour nourrir une petite ligne intégrée à sa collection. Un exercice de style qui l’a  » beaucoup amusé « , et qui a donné naissance à des robes ceinturées de tuyaux flexibles, des cols intégrant des canules aspirantes, des chapeaux inspirés de filtres ou encore des imprimés reprenant les plans techniques de l’aspirateur… On en reste soufflés.

Delphine Kindermans

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