Fasciné par les bulles, Bernard Dance a mis son talent au service

de l’effervescence. Il nous livre, en exclusivité, trois recettes gourmandes fraîches comme le printemps.

Le regard tendre et la voix douce de Bernard Dance feraient presque oublier une évidence : ce chef-là incarne le fabuleux destin de la gastronomie française. Un art de vivre qui a des certitudes – une histoire glorieuse et des traditions prestigieuses – mais également des doutes – la montée en puissance des cuisines du monde et le deuil d’une hégémonie à l’heure de la mondialisation des saveurs. Et deux options : la crispation ou l’intégration.

QUARANTE ANS DE CARRIÈRE

Bernard Dance débute en 1972, à la Maison Pic, restaurant triplement étoilé à Valence, dans le sud de la France. Aux côtés de Jacques Pic – le père d’Anne-Sophie -, il apprend les ficelles du métier tout en assimilant les bases de la généreuse cuisine régionale du Rhône. Après neuf années de bons et loyaux services, il s’embarque pour d’autres horizons culinaires en devenant le second d’un autre ponte de la cuisine hexagonale, Louis Outhier, à qui l’on doit L’Oasis, à La Napoule, sur la Côte d’Azur. Il n’en faut pas plus pour que le répertoire du jeune chef se frotte aux embruns et prenne le large.

En 1983, nouveau changement de cap, Bernard Dance rejoint Georges Blanc, à Vonnas, dans l’Ain… comme s’il était écrit que son parcours ne connaîtrait rien d’autre que l’excellence des adresses à trois macarons. Pendant une année entière, il s’ouvre à la Nouvelle Cuisine par le biais d’harmonies éthérées qui ont la légèreté en ligne de mire. C’est ainsi qu’il s’initie au champagne, vin aérien dont il découvre le potentiel gastronomique.  » Les bulles sont agitatrices de particules dans le palais, elles excitent les papilles, les rendent sensibles à la moindre nuance.  » Cette révélation le mène tout naturellement à entrer, en 1984, au service de Moët & Chandon.

OUVERTURE ET TRADITION

Vingt-neuf ans plus tard, Bernard Dance est toujours en poste, officiant également pour Dom Pérignon, autre label champenois prestigieux, au sein du même groupe. En charge de la Résidence de Trianon à Epernay, et du Château de Saran, à Chouilly, les lieux de réception attitrés des deux marques, il a pour mission d’imaginer une cuisine au plus proche de l’effervescence. Pour un surdoué, habitué à cheminer au sommet de la gastronomie, serait-ce là la voie d’une retraite dorée sur tranche ? Nullement ! Bernard Dance perçoit sa fonction comme une planche de salut créative.  » Les champagnes millésimés sont une bénédiction pour un chef. En perpétuelle évolution, ils requièrent sans cesse de nouvelles harmonies. A priori, aucun mets n’est exclu de leur sphère gustative : on peut ainsi réaliser un lièvre à la royale sur un vieux millésime. Même le chocolat, autrefois tabou, peut se marier au champagne. Pour mettre au jour les meilleures alchimies, je travaille avec un £nologue. Nous décortiquons ensemble les notes marquantes d’un flacon et ma cuisine s’appuie sur cette analyse pointue des arômes et des saveurs. Après, l’imagination est la seule limite. Je me souviens d’avoir signé une glace au cigare qui soulignait à merveille les notes fumées d’un vieux millésime. « 

D’autres éléments contribuent à rendre le métier du chef de cuisine passionnant. Parmi ceux-ci, les voyages.  » Nous recevons énormément d’hôtes étrangers, il faut donc être en mesure de proposer des harmonies mets-vins qui s’accommodent de leurs spécificités culturelles. Comment vendre du champagne dans un pays s’il n’y a pas d’association gourmande possible ? Mon rôle est de résoudre des équations de ce type. Dans ce contexte, je voyage beaucoup. J’ai longtemps effectué deux tours du monde par an. Cela m’a permis d’ouvrir grand les yeux sur notre planète… et parfois de me sentir tout petit. Quand on mesure qu’il y a 5 000 ans de tradition gastronomique au Japon alors que la France en compte 2 000, on opte pour la modestie. Les cuisines asiatiques m’inspirent énormément, surtout l’Inde et son rapport aux épices. La gastronomie chinoise m’a également beaucoup enseigné, notamment dans l’organisation du travail. Sans parler de l’Amazonie dont on n’a pas encore exploré toutes les richesses…  » Autre avantage indéniable de la fonction de Bernard Dance : l’approvisionnement.  » J’ai une totale carte blanche quant au choix de mes fournisseurs, je ne suis pas coincé par un budget étriqué. L’idée est de trouver les meilleurs produits et d’entretenir avec eux une relation de long terme. Bien sûr, il y a une attention toute particulière aux producteurs locaux. Rien de tel que l’association de produits qui ont été portés par le même terroir. « 

Si les bulles l’ont ouvert au vaste monde, elles ont également permis à Bernard Dance de rester en contact avec la tradition française dans ce qu’elle a de plus immuable. C’est flagrant quand on le rencontre dans les cuisines de la Résidence de Trianon, dont se sert Moët & Chandon pour accueillir ses hôtes. Tout récemment rénové, l’endroit est une réplique du célèbre palais de Versailles commanditée par Jean-Rémy Moët en vue d’accueillir Napoléon, ami de la famille. Avec ses papiers peints et ses dorures, cette demeure dont l’atmosphère évoque les films de Chabrol cultive le goût d’un passé français glorieux, depuis le service au guéridon – qui consiste à présenter les plats aux yeux des hôtes avant de les placer sur un guéridon pour la préparation et la découpe – jusqu’aux menus imprimés en l’honneur des convives. Une preuve éblouissante, en forme de leçon, pour la gastronomie hexagonale, parfois repliée sur le terroir, qu’enracinement et ouverture n’ont rien d’antinomique.  » Il n’y a pas de frontières et pas de passeport en cuisine « , résume Bernard Dance fidèle en cela à sa vision d’une gastronomie sans cesse à repenser.

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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