Sur les rives du lac de Côme, le chef étoilé Ettore Bocchia signe une cuisine à base d’azote liquide, d’alcool éthylique ou de sucre en fusion. Des recettes de haute technologie pour sublimer encore l’excellence des produits du terroir méditerranéen. Mamma mia !

« Lorsque l’on parle de cuisine italienne, chinoise ou fusion, les gens savent clairement à quoi s’attendre. Avec la cuisine moléculaire, c’est autre chose. La terminologie même effraie car elle renvoie l’image froide d’un travail de laboratoire « , s’amuse Ettore Bocchia, chef du restaurant Mistral au Grand Hôtel Villa Serbelloni, auréolé d’une étoile au Michelin. Une adresse d’exception, à Bellagio, en bordure du très romantique lac de Côme, où venaient flâner Stendhal et Liszt. Une sublime villa baroque transformée en hôtel 5 étoiles.

Il faut voir le maître de Bellagio préparer sa fameuse glace à la fleur de lait à l’azote. A l’extérieur, entre les tables des clients, au vu de tous. Un vrai happening… Tandis qu’il verse le lait et la crème fraîche dans un récipient métallique, un assistant recouvre la préparation d’azote liquide d’une température qui frôle les – 200 °C. Noyé dans un épais brouillard qui se répand comme un  » fog  » de science-fiction, Bocchia, fouet à la main, transforme en quelques secondes la crème en une glace consistante, prête à être dégustée.

 » Au-delà du spectacle, il y a la question du goût, souligne Bocchia. La glace à l’azote liquide, que nous avons été les premiers à tester, entraîne la formation ultrarapide de microcristaux non perceptibles par le palais. La bouche n’est donc pas anesthésiée par le froid comme avec une glace classique. Le procédé offre une onctuosité unique.  » Et de fait, au-delà de l’appellation ultratechnique, la  » gelatto  » cryogénisée accompagnée de fruits rouges du Serbelloni s’avère de très haute tenue.

C’est au contact de Davide Cassi, professeur de physique à l’université de Parme, que Bocchia découvre, il y a quelques années, la cuisine moléculaire, lors d’un stage à Erice, en Sicile. Représentée en France par le chercheur Hervé This, le chef Pierre Gagnaire, ou en Espagne, par le très médiatique Ferran Adrià, cette discipline gastronomique entend élargir le champ gustatif en poussant dans ses derniers retranchements les réactions physico- chimiques des aliments. Aux confins de l’éprouvette et de la marmite, cette nouvelle tendance des fourneaux a autant de partisans que de détracteurs.  » Il faut comprendre que toute cuisine peut être moléculaire, ajoute Bocchia avec un brin de provocation. Que ce soit un £uf sur le plat où des spaghetti bolognaise, il est toujours question d’aliments, d’ingrédients, donc de maîtrise des molécules qui les composent, non ? « 

îufs caillés au caviar cuits à l’alcool éthylique ou le turbot frit au sucre… Les recettes de Bocchia laissent néanmoins le néophyte perplexe.  » L’alcool éthylique permet d’obtenir des £ufs qui sont crus et cuits à la fois, précise avec enthousiasme le chef. Quant au sucre liquide porté en fusion à 190 °C, c’est une technique qui n’a rien de magique : elle conserve simplement bien mieux les arômes et la consistance du poisson que l’huile. « 

Face à un public encore mitigé, Bocchia préfère néanmoins parler, avec un sens très méditerranéen de la périphrase, d’une  » approche alternative de la cuisine faite de combinaisons inhabituelles de saveurs « . Les antipasti qu’il propose ne sont d’ailleurs pas exclusivement tournés vers l’expérimentation pure. Ses filets de sole sauvage avec tartare de brocolis aux anchois comme les cannelloni farcis avec légumes de saison et sauce au céleri vert, vantent les vertus d’une cuisine authentique.  » Avant toute chose, je tiens à préserver et à développer les produits de notre terroir, dit-il. Ma cui- sine repose sur la recherche de l’excellence des matières premières. Je suis un partisan de la  » slow food  » fondée par mon ami Giacomo Moioli, qui a redonné de la valeur au travail accompli par nos éleveurs et nos agriculteurs. Je me fais un point d’honneur, par exemple, à travailler avec notre pêcheur, Igor Fantoni ; l’un des rares qui continue à faire sécher le missoltino, un poisson du lac de Côme, à l’air libre, comme autrefois. « 

En accord avec un cultivateur de Bergame, Bocchia dispose désormais de 20 hectares dans la région pour y planter les semences de son choix dont certaines sont de véritables trésors gustatifs, retrouvés… à l’université de Palerme.  » C’est là que nous avons mis la main sur une semence d’aubergines tout à fait exceptionnelle. Elles ont la particularité d’être cultivées sans pesticides car elles sont le fruit d’un croisement avec une plante sauvage qui les rend extrêmement résistantes. Un bonheur !  » Entre les partisans de la tradition et les tenants de la modernité, Bocchia se plaît à emprunter une autre piste, qui emprunte autant aux premiers qu’aux seconds ; la  » troisième voie  » comme on dirait en politique .

Carnet d’adresses en page 73.

Antoine Moreno Photos : Renaud Callebaut

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content