Les chefs du cour du Cameroun ouvrent désormais leurs royaumes aux visiteurs étrangers. Une occasion unique de découvrir les rites et la culture d’une tradition qui remonte au xvie siècle. C’est un Cameroun hors du temps qui se dévoile sous nos yeux. Ici, pas de klaxons intempestifs ni de foule oppressante, de marchands ambulants ou d’affiches publicitaires vantant des téléphones mobiles. Mais un village blotti dans un écrin de verdure, entre palmiers et bananiers, coupé du monde et de la modernité. Derrière ses murets crénelés, la chefferie Bafut, au nord-ouest du pays, ne laisse deviner qu’une infime partie de ses trésors. De part et d’autre de l’entrée : des petites maisons carrées, parfaitement alignées, dont les murs rosés se fondent par intermittence avec la couleur de la terre battue. Non loin de là, des chants d’enfants viennent troubler la quiétude matinale. C’est l’école du village. Tous ont revêtu leurs uniformes bleu turquoise. Perchée sur ses talons et parée de ses plus beaux habits, la reine Constance nous accueille avec cordialité. Tout juste âgée de 40 ans, elle en paraît 20 avec sa superbe robe brodée, sa large étole dorée et ses cheveux coiffés en pompons. Difficile d’imaginer qu’elle est, depuis deux décennies, la 3e femme du roi et la mère d’une ribambelle de gamins. Aujourd’hui, c’est elle qui a été choisie pour nous guider au cour du palais du  » Fon  » (chef coutumier). Une tâche qu’elle accomplit avec aisance et sérieux dévoilant, tour à tour, le tam-tam traditionnel, la chambre des femmes enceintes, le cimetière des reines mères, la forêt sacrée où seuls les sociétés secrètes ont accès, puis, au centre du village, l’étonnant musée royal, construit par les Allemands à la fin du xixe siècle, et renfermant quelque 1 500 pièces telles que masques, instruments de musique, peaux d’animaux, armes de combat et costumes de cérémonie.

Une fois atteint son sommet, le bâtiment se révèle un superbe promontoire d’où l’on embrasse toute la cité. Sans lui, nous n’aurions jamais distingué la case royale surplombée de son immense toit de chaume.  » Autrefois, explique la princesse, c’est ici qu’avaient lieu l’initiation du chef et les sacrifices humains.  » La dernière immolation remontant seulement à 1924… Au pied de l’édifice, l’ambiance est à son comble. Une dizaine de danseuses vêtues de jupes en paille, de bustiers colorés, de bandeaux de perles et de grelots aux chevilles s’élancent sur la piste, tournoyant et tapant des pieds au rythme du xylophone et des tam-tams. Elles sont bientôt rejointes par un groupe d’hommes arborant des masques d’animaux et d’effrayantes parures en plumes. Tandis qu’un équilibriste sur échasse bondit et tournoie dans les airs, tel un grand oiseau. Du haut de son trône royal, le chef Abumbi II, 52 ans et garant de la 13e dynastie de sa chefferie, assiste au spectacle. Solennel.

Un authentique art de cour

Des royaumes traditionnels comme celui-ci, le Cameroun en compte des centaines, pour la plupart concentrés au nord et à l’ouest du pays. Véritables entités indépendantes, fondées pour certains au xvie siècle, elles épousent les contours des micro-Etats précoloniaux et jouent, aujourd’hui encore, un rôle fondamental dans la vie politique et culturelle du pays, soutenant les populations locales contre la pauvreté, la maladie ou le chômage et sollicitant, çà et là, des capitaux pour la construction d’une école, d’un dispensaire ou d’une pompe à eau… Tous s’organisent autour de la figure emblématique du chef qui, du palais, exerce son pouvoir au c£ur d’un système ultracompétitif et hiérarchisé où gravitent adjoints, notables, dignitaires, grands serviteurs et sociétés secrètes. Bref, un authentique art de cour auquel participent également ses innombrables femmes et enfants. Ils sont des dizaines à déambuler dans les rues de la chefferie et à vous interpeller, en catimini :  » Je suis le 5e fils du roi !  » s’enorgueillit l’un d’eux.  » Oui, mais moi, je suis le 3e !  » renchérit un autre. Mais peu importe le rang : seul le chef choisit celui qui lui succédera et dont le nom sera dévoilé le jour de son décès. Njitacq Ngompe Pele, 39 ans et 97e roi de la chefferie Bafoussam, dans la superbe région des Grassfields à l’ouest, s’en souvient encore. Lorsque le  » couperet  » tombe, il est âgé de 23 ans et suit une formation d’ingénieur électronique à l’Université de Yaoundé. Du jour au lendemain, le jeune étudiant est propulsé à la tête de 45 000 sujets, d’une soixantaine d’épouses et, bientôt, de 72 bambins !  » On m’a chargé d’une mission sacrée que j’assume pleinement. Mais ce n’est pas toujours une réjouissance « , confie-t-il à demi-mot. A ces heures perdues, sa majesté lit, joue au tennis et regarde les matchs de foot à la télé. La journée, il nourrit pour sa région des desseins bien plus ambitieux :  » Avec sa longue histoire, ses paysages montagneux et son climat tempéré, le pays Bamiléké dispose d’un attrait touristique indéniable. Nous travaillons d’ailleurs avec les pouvoirs publics et les agences spécialisées afin de mettre en place les moyens nécessaires à son développement.  »

Le projet du roi de Bafoussam n’est qu’un exemple parmi d’autres. Partout, dans l’ouest, les chefferies ouvrent leur patrimoine aux touristes passionnés de culture et de traditions. Comme le superbe musée du Sultanat de Foumban, en pays Bamoun (région à dominante musulmane) regroupant, selon Oumarou Nchare, directeur des affaires culturelles, près de 3 000 objets accumulés ces 600 dernières années :  » Notre chefferie a bon nombre d’atouts, se félicite-t-il. Le dix-septième roi Njoya Ibrahim y a en effet créé un palais, une écriture, une langue secrète ainsi qu’une religion inspirée de la Bible et du Coran « . Aux visites organisées s’ajoutent aussi les grandes manifestations populaires dont la célèbre fête du Ngondo (fête de l’eau) – initiée par la chefferie Sawa – qui brasse, chaque année en décembre, sur les berges du fleuve Wouri à Douala, près de 200 000 personnes venues applaudir danses traditionnelles, défilés carnavalesques, courses de pirogues et rites sacrés. Le tout, en présence des plus grands médias nationaux et continentaux.

L’essence des chefferies franchirait-elle désormais les frontières ? Beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine, semble-t-il. Pour le vérifier, tapez www.bafou.com sur Internet et vous voilà connecté à la chefferie Bafou – historique, musiques locales et photos des cérémonies à l’appui ! Comme si vous y étiez… –  » Il ne faut cependant pas s’y tromper, tempère Jean-Pierre Warnier, ethnologue, professeur à l’université René Descartes – Paris V et spécialiste de la province Ouest du Cameroun depuis trente ans. Si les Occidentaux y voient l’expression de l’authenticité et de la perpétuité, cette spectacularisation des chefferies est la conséquence directe du retour des rois qui, avec le délitement de l’Etat suite à l’indépendance, sont devenus, ces vingt dernières années, l’unique pilier stable de la société et de la politique nationale.  »

La vie d’un chef n’en reste pas moins troublée et, parfois même, périlleuse. Notamment lorsque son accession au trône ne fait pas l’unanimité. Honoré Djomo Kamga, roi de Bandjoun, ne dira pas le contraire depuis l’incendie criminel de sa chefferie, en janvier 2005, par quelques dignitaires influents. Les portes de son palais demeurent grandes ouvertes. En attendant que la case royale qui trônait encore, ici, il y a deux ans, renaisse un jour de ses cendres… Marqué à vie, lui aussi, Victor Kana iii, 32 ans, ne se débarrassera sans doute jamais de la balafre qui barre son visage suite aux coups de machette assénés, il y a dix ans, par un notable jaloux. Malgré l’agression, le jeune roi de Bafou s’attelle encore à d’innombrables projets. Comme celui d’alimenter en eau ses 80 000 sujets. Un investissement évalué à près de 300 millions de francs CFA (soit environ 458 000 euros). Encore faudra-t-il trouver les fonds. Mais, cette fois encore, ce sera sans compter sur le soutien de l’administration… Tel est, désormais, le quotidien d’un roi. Preuve que les chefferies ne sont pas uniquement le reflet des traditions et du passé camerounais. Elles sont aussi – et surtout – l’occasion d’appréhender l’Afrique d’aujourd’hui.

Carnet de voyage en page 88.

Marion Tours

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