Dans le secret des coulisses du Festival de Cannes
Qui n’a jamais rêvé de gravir les marches les plus glam du monde ? De l’hôtel Martinez au Grand Théâtre Lumière, Weekend a suivi le sillage des stars. Frissons garantis.
L e taxi qui me dépose n’est pas encore à l’arrêt que déjà, la porte s’ouvre sur Frédéric, l’un des chasseurs de l’hôtel le plus couru de la Croisette. » Bienvenue au Martinez, Madame « , susurre-t-il en m’entraînant vers la porte tournante. Mes bagages – un petit sac en toile et la valisette plastifiée des festivaliers – disparaît sous les yeux un brin réprobateur du concierge en chef. A vue de nez, je ne dois pas peser bien lourd en pourboires potentiels. Palace préféré des stars conviées au Festival de Cannes, le rendez-vous cinéma le plus médiatisé au monde, le Martinez accueille une impressionnante concentration de people au m2. Quelques minutes passées dans le lobby, et me voilà tour à tour à deux mètres de Naomi Campbell, Emir Kusturica et le sujet de son documentaire, Diego Maradona. Dany Boon aussi, venu à Cannes pour vendre au monde entier ses Ch’tis rebaptisés Sticks pour les besoins de la cause. Dehors, sous les cris et les coups de flash des appareils photo de dizaines de curieux massés jour et nuit le long des barrières qui défendent l’entrée au citoyen lamda, Nikos Aliagas, l’animateur de la Star Ac, joue les stars à son tour et signe des autographes. Il se murmure aussi que Steven Soderbergh et toute l’équipe du Che squattent une bonne partie du 7e étage. Aurais-je donc une chance de les croiser au petit déjeuner ?
Gare à l’effet tapis rouge sur le maquillage
Arrivée quelques jours plus tôt – et logée, j’aime à le préciser, dans un hôtel bien plus modeste -, je m’apprête à passer 36 heures dans l’antre de la machine à rêve, avec en point d’orgue une montée des marches aux côtés de Doutzen Kroes et de Michelle Yeoh, toutes deux ambassadrices de L’Oréal Paris. Cela fait onze ans déjà que la marque a pris ses quartiers au sommet du Martinez. Mais la suite, dont la magnifique terrasse surplombe le studio du Grand Journal de Canal +, est plus une vitrine qu’un véritable salon, même si l’on peut y apercevoir en coup de vent, Alexis Dralet, le make-up artist des stars. Les vraies. Celles qui préfèrent se faire maquiller dans leur chambre d’hôtel ou dans la cabine de l’un de ces yachts privés qui illuminent la baie à la nuit tombée.
Plus difficile à apprivoiser qu’une diva capricieuse, la lumière cannoise joue parfois des tours aux maquilleurs. » Le soir, pour la montée de 19 h 30, nous devons faire très attention à la réflexion du soleil sur le tapis rouge, précise Alexis Dralet. Cela joue sur la couleur de la peau. Il faut éviter les teintes trop rosées pour les peaux claires, ne pas trop matifier les peaux sombres, sous peine de les rendre grises et ternes. «
Tenir compte de » la » robe, aussi, objet de convoitise de tous les grands labels de luxe rêvant de s’offrir un coup de projecteur au retentissement planétaire en habillant l’une des célébrités conviées à monter les marches un soir de gala. » Les griffes sont de plus en plus nombreuses à s’installer chez nous pendant la durée du festival et réservent d’une année à l’autre « , me confirme le service de presse du Martinez sans pouvoir, discrétion oblige, me donner la liste exhaustive de leurs fashion guests. Comme Versace, Armani ( lire notre interview en pages 16 et 18), Elie Saab et bien d’autres, Chanel a élu domicile pour deux semaines dans l’une des suites du Martinez entièrement redécorée pour l’occasion. Chaque jour, on peut y assister à un ballet de caisses remontant à Paris les toilettes et accessoires portés, ramenant sur la Croisette de quoi séduire une indécise. Le matin de ma visite, on attendait avec impatience l’arrivée – en convoi sécurisé, cela va sans dire – d’un sac en alligator à fermoir en diamant destiné à être vendu aux enchères lors de la soirée de l’AmFAR, trois jours plus tard.
Pas de stars en séance d’essayage
Toutefois, n’imaginez pas croiser ici Madonna, Natalie Portman ou Gwyneth Paltrow en pleine séance d’essayage. » Ce que nous avons dans la suite, c’est plutôt du dépannage, confirme-t-on chez Chanel. Pour celles qui arrivent plus tôt que prévu et qui n’ont rien pris avec elles pour une soirée à laquelle elles décident d’assister. » Elles, ce sont bien sûr les » habituées » de la rue Cambon. Les stars avec lesquelles la maison a coutume de travailler. Avec lesquelles aussi Chanel prépare Cannes depuis des mois. En envoyant à domicile plusieurs modèles pour des essayages minutieux, n’hésitant pas à bouleverser les plans en toute dernière instance en livrant un modèle tout juste sorti des ateliers, deux jours avant la montée des marchesà
En dépit de tous ces efforts, rien pourtant n’est garanti avant l’instant T. » On croise les doigts jusqu’à la dernière minute, m’assure-t-on chez Versace qui, en habillant Eva Longoria d’une robe turquoise a lancé la vague » bleu sur tapis rouge » que l’on a connue cette année. Les stars sont de plus en plus exigeantes : elles nous demandent bien sûr des robes qui n’ont jamais été portées auparavant. Mais elles sont aussi de plus en plus nombreuses à exiger l’exclusivité. » Autrement dit être les seules à porter la marque pour un événement donné. Un souhait impossible à exaucer, la griffe ne pouvant pas contrôler les tenues de tous les invités, en particulier, ceux et celles qui choisissent de casser leur tirelire – oui, oui, il en reste encore – pour s’offrir la robe ou le smoking d’un grand créateur pour leur quart d’heure de gloire.
Au détour des couloirs, il se murmure aussi que certaines égéries d’un soir, conscientes de l’impact médiatique de leur apparition sur le tapis rouge, n’hésitent pas à faire savoir par agent interposé » qu’elles aimeraient bien garder la robe « . Une envie pas toujours simple à satisfaire lorsqu’il s’agit d’un » prototype » unique que personne encore n’a eu le temps de reproduire, même une fois, pour que la robe – c’est le but final – puisse un jour être vendue. Ajoutez à cela les interférences que peuvent provoquer les » stylistes personnelles » payées des fortunes – souvent par les studios – pour looker les people, et vous comprenez que la vie de » RP en charge des célébrités « , si glamoureuse vue de l’extérieur, nécessite des nerfs d’acier.
Ma robe à moi trône sur le lit de ma chambre à côté d’une élégante besace en cuir blanc débordante de produits L’Oréal. Un bel exemple de » goodie bag » comme en reçoivent par cargo toutes les invitées du Festival. Vraies, alors, ces rumeurs de suites entières remplies de cadeaux en tout genre, allant de la paire d’escarpins au séjour d’une semaine dans un hôtel de luxe ? » Bien sûr, me confirme Alexis Dralet. Elles en reçoivent par centaines. » Dans les palaces, la liste des » arrivants » de marque est mise à jour tous les matins. Et la distribution des » petites attentions » en découle. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre d’observer le ballet des coursiers déposant boîtes enrubannées, housses et sacs frappés des logos des plus grands noms de la mode à la conciergerie du Martinez. Des objets souvent créés tout spécialement pour ces festivalières 5-étoiles.
Des collections spéciales red carpet
Dans la suite Swarovski, où sont exposés plus de 1 500 sacs et quelque 500 parures complètes, on peut aussi découvrir à côté des dix modèles de la collection » Red Carpet » créée par Nathalie Colin Roblique, les pochettes de la Star Collection. Des pièces uniques offertes en cadeau de bienvenue aux actrices les plus en vue. » Lors de la dernière cérémonie des Oscars, les dix nominées les avaient reçues, détaille Pierrick Marcoux, RP de Swarovski. Le jeune homme me montre aussi d’élégantes » baguettes » en satin blanc qui, m’assure-t-il, » si l’on nous donne un échantillon du tissu de la robe, peuvent être teintées en 48 heures maximum. On obtient ainsi un sac unique coordonné à une robe particulière. » Pour ma part, j’ai emporté une pochette, imitation serpent, assez grande pour accueillir un petit gilet noir roulé en boule. Pour en avoir fait l’expérience deux jours plus tôt, je sais que dans le Grand Théâtre Lumière, il peut faire un froid polaire. Et le film du soir – Che de Steven Soderbergh – promet d’être long : 4 h 18 au chrono !
Pas le temps de sortir mes stilettos du sac, qu’Alexander l’un des 26 maquilleurs L’Oréal qui assiste Alexis Dralet entre en coup de vent dans ma chambre, le regard noir. » Nous sommes furieusement en retard sur le planning « , gronde-t-il. A le voir, on a l’impression que c’est comme cela tous les soirs. Alex est un habitué du Festival. L’an dernier, il était déjà là, tout heureux de partager la joie de son compatriote, le cinéaste roumain Cristian Mungiu, reparti avec la Palme d’Or. Quelques heures avant d’ouvrir sa valisette remplie de pinceaux et de cosmétiques à mes pieds, il m’avoue avoir maquillé Diego Maradona et toute sa petite famille. » Nous avons beaucoup de demandes d’hommes, évidemment, confirme Alexis Dralet. Et c’est normal, ils doivent enchaîner dans une même journée des interviews, des séances photos, des télés. On cherche surtout à limiter les effets de brillance. Le teint, pour eux, c’est ce qui importe. «
Pas de quoi s’étonner finalement. On apprendra d’ailleurs, au détour d’un plan de Soderbergh, que le Che lui-même ne disait pas non à un petit coup de blush avant de passer à la télévision ! Au passage, Alex me file quelques tuyaux : » évite le rose sur les paupières, ce n’est pas pour toi. Préfère le ton sur ton « . Les brunettes, c’est vrai, ça le connaît : la veille, il maquillait Salma Hayek, illuminée par une parure du bijoutier Chopard.
Un make over pour la Palme d’Or
Partenaire officiel du Festival depuis qu’il a offert à la Palme d’Or, il y a onze ans, un splendide make over, le joaillier suisse profite de l’écrin cannois pour présenter chaque année une collection de bijoux exceptionnels tout spécialement créés pour les plus grandes stars. » Bien sûr nous recevons des demandes de prêt que nous devons refuser, reconnaît Dagmar Huber, RP du bijoutier. Surtout des animatrices de la télévision. Elles ont beau être très connues, ce ne sont pas des stars. Ce sont des travailleuses, comme vous et moi. » Car à Cannes, même si tout le monde foule pour quelques instants la même moquette, plus qu’ailleurs, on ne mélange pas les torchons et les serviettes. C’est sans doute pour cela aussi que les marches se montent à temps et à heure donnés. Pas avant, pas après.
Alex a à peine eu le temps de remettre tous ses petits pots dans sa valisette que Nicolas de chez Dessange déboule à son tour. Son truc à lui, c’est le cinéma. D’ordinaire, il travaille sur les plateaux de tournage. S’est essayé déjà à deux courts-métrages. Pendant qu’il sort sa bombe de laque je supplie : » Pas de chignon, surtout pas de chignon please, le plus naturel possible. » Je n’ose pas lui dire qu’avec le maquillage, j’ai déjà du mal à me reconnaître dans le miroir, alors, la choucroute à bouclettes, non merci ! Me reviens alors à l’esprit cette petite phrase de Lou Doillon picorée dans un vieux Vanity Fair. » Si tu ne fais pas gaffe, avec un mauvais brushing, tu te prends dix ans dans la vue facile. » Nico, heureusement n’insiste pas. A Cannes, le client est roi. Et difficile ? » Parfois, reconnaît-il. Surtout les top-modèles. Elles te demandent avec quel photographe connu tu as déjà bossé. Si ce que tu réponds ne leur plaît pas, elles te jettent comme un Kleenex. » Quatre jours de présence ici m’ont vite appris que jeter les autres et se faire jeter est un véritable sport national. Que le culot paie. Cash. Et qu’il vaut mieux en arrivant laisser son amour propre à la consigne de la gare maritime.
Avant de descendre, j’applique le conseil que m’a donné, la veille, Roberta Armani : » Regarde-toi dans le miroir et enlève trois choses avant de partir. » J’ai déjà refusé le chignon. J’estompe le trop plein de rouge à lèvres, avant d’abandonner l’un de mes bracelets. A peine le temps de rejoindre les invités de L’Oréal pour une coupe de champagne au pied de la piscine du Martinez qu’il faut déjà embarquer dans les voitures officielles. Dehors, des dizaines de curieux se collent littéralement aux vitres de la voiture pour mieux dévisager ses occupants. La course le long de la Croisette ne dure que quelques minutes. La berline tatouée d’une petite Palme dorée dépasse les files d’hommes et de femmes en smokings et robes longues qui attendent, le précieux carton d’invitation à la main, rangés entre deux barrières Nadar, de pouvoir à leur tour approcher le célèbre escalier paré d’une nouvelle robe de feutre rouge changée tous les soirs.
Un écran bleu azur magique
Des marches, qui paraissent – hélas – moins majestueuses vues de près, les photographes se massent par centaines. Côté rue, les » non-accrédités » juchés sur des escabelles ont attendu là toute la journée. Face à eux, la presse photographique badgée en tenue de soirée. De part et d’autre, ça hurle le prénom des stars. » Doutzen (Kroes) ! Michelle (Yeoh) ! Mélanie (Laurent) ! » Toute perdue dans sa robe noire signée Louis Vuitton, cette dernière est visiblement arrivée trop tôt. Les moins timides s’attardent volontiers sous la pluie des flashs, vite poussés dans le dos, s’ils ou elles ne sont pas assez connus, par la sécurité omniprésente qui a un timing à tenir. Pour les habitués, le rituel est immuable : première photo en rang d’oignons » à mi-marches « , dernier signe de la main avant d’entrer dans la salle. Sur l’écran géant du Théâtre Lumière, les montées se suivent en direct. Ponctuées quelques instants plus tard par l’arrivée de Steven, Benicio, Natalie, Sean (*) et tous les autres.
Le lieu, plus que les marches, est magique. Sur un écran bleu azur, des marches rouges semblent sortir de l’eau au son du générique officiel qui, chaque fois que je l’entends, me donne des papillons dans le ventre. Pour suivre, quatre heures et des poussières de guérilla portée par la présence d’un Benicio Del Toro XXL. Une plongée dans la jungle, la vraie, sans glamour ni paillettes…
(*) Soderbergh, Del Toro, Portman et Penn, bien sûr !
Isabelle Willot
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