Des vêtements, costumes historiques et silhouettes de créateurs contemporains, des chapeaux, des chaussures, de la dentelle, des livres par milliers font les beaux jours du MoMu à Anvers. Visite très privée d’une collection avant exposition.

Personne n’entre ici, normalement. Seule une poignée de spécialistes, air pénétré, tablier blanc et gants de coton impeccables franchissent le seuil de ces archives. Au 9 de la Drukkerijstraat, à Anvers, accolée au bateau de la mode où se côtoient le Flanders Fashion Institute, l’Académie royale des beaux-arts et le MoMu pour ModeMuseum, une structure en béton noir s’étage sur six niveaux. Dedans, et rattachés au musée, des ateliers, des dépôts, une bibliothèque, 15 000 livres et 25 000 vêtements, chaussures, chapeaux, accessoires, dentelles – les plus vieux datent du xvie siècle et ne sont pas griffés, les plus récents, de la collection automne-hiver 09-10 et sont signés Ann Demeulemeester, Dries Van Noten ou Haider Ackermann. Puisque ce lieu, d’habitude, n’est pas accessible à n’importe qui, vous et moi, on savoure le privilège accordé. Le parcours n’est pas fléché, qu’importe, Kaat Debo, directrice du MoMu, fait les honneurs de ce bâtiment ultrafonctionnel, de ses trésors surtout.

Attention fragile

Ascenseur, + 3, étage  » collection historique « . Dans une pièce blanche, basse de plafond, striée de néons, cinq armoires en métal coulissent au gré des besoins. Un coup de volant et les rayonnages s’espacent, montrent leur bel ordonnancement. Tout est classé, répertorié, rangé, dans des housses en Tyvek®. A l’£il, au toucher, on dirait du papier, il n’en est rien : cette matière synthétique non tissée, fabriquée à partir de fibres de polyéthylène, protège les vêtements comme personne. Car le textile est fragile. Il déteste la lumière, honnit l’humidité et les écarts de température, hait les mites et autres insectes, ne supporte pas les manipulations, la main de l’homme, la sueur et, in fine, est toujours affreusement trahi par son âge. Ici donc, la température oscille entre 18 et 20 degrés, l’humidité entre 50 et 55 %, toute variation brusque est synonyme de petite mort. Chaque jour, ils sont trois à vérifier les hydrographes (stables), les stores (baissés), les pièges à mites (vides). Accroché aux montants d’une étagère, un petit nid en carton vaporisé aux phéromones, ces sécrétions glandulaires comparables aux hormones, qui jouent un rôle dans la transmission des messages chimiques chez les insectes. Les mites adorent. Si l’une d’elles venait à s’y vautrer, alerte, branle-bas de combat.  » Heureusement, ce n’est encore jamais arrivé « , lâche, laconique, Kaat Debo. C’est que cela coûte une fortune d’aspirer tout l’air de ce dépôt, le seul moyen de se débarrasser d’une invasion à grande échelle.

C’est cadeau

Sur les cintres recouverts de coton, des chemises de nuit, fin xixe – début xxe siècle, des sous-robes aux manches en dentelleà surtout, résister à l’envie de toucher, tout est si fragile ici. Dans une boîte en carton, une robe princesse en taffetas gris bleu, une autre datée 1840, étiquetée  » noir Damas soie Japon « . Autant de merveilles que l’on ne verra sans doute jamais exposées, en tout cas pas sur buste ou sur poupée, trop délicat. Car le textile n’aime pas non plus la lourdeur. Tous les vêtements qui pourraient se déformer à cause de leur poids sont donc soigneusement préservés dans ces boîtes parfois faites sur mesure, avec étiquette explicative et photos descriptives, histoire de ne pas trop les manipuler.  » Le but d’un tel musée, souligne sa directrice, est de conserver les pièces le plus longtemps possible, dans le meilleur état possible. Et je ne parle pas de décennies, mais de siècleà  » Un cadeau pour les générations futures.

Une robe Watteau,  » à la française  » s’apprête à sortir de l’ombre. Elle est magnifique, date de 1760 ou 1770 et est  » complète « , avec sa sous-robe et sa jupe, assorties, c’est rarissime. Car il se fait que  » le Belge n’est pas collectionneur, c’est historique, il jette ses vêtements ou les vend dans des circuits de seconde main « . Comprenez la douleur des conservateurs. D’autant que ce genre de trésor raconte une histoire, jamais insignifiante. Kim, l’une des restauratrices du musée, soulève délicatement le buste de la robe, qui reposait sur du papier de soie, du bout de ses gants blancs, elle montre le dos, les plis Watteau, la quantité d’étoffe nécessaire. Deux messages en creux : celle qui portait cette robe avait les moyens de se l’offrir et l’envie de le montrer, celui qui a tissé ce tissu était un artisan au savoir-faire sidérant. Oui, les robes parlent.

De hier à aujourd’hui

Ascenseur, + 5, étage  » atelier « , même genre de pièce, les armoires et les stores baissés en moins, les mites en plus. Sur un petit bureau, un bestiaire étrange soigneusement rangé dans des boîtes translucides : une collection de larves, insectes et autres bêtes mangeuses de fibres, du beau matériel à étudier, car, ici, on part du principe que pour mieux se battre contre son ennemi, il faut le connaître par c£ur. A l’autre bout, un studio photo, un fond de couleur, un appareil sur pied, une photographe, et sur un buste, une silhouette Dries Van Noten, un cadeau du créateur. C’est le printemps-été 2008, la veste s’appelle Rubbia, est en soie, brodée de métal, verre et perles. Bientôt, elle sera entièrement répertoriée, fichée sur software, avec numéro d’inventaire cousu dans la manche gauche, toujours à cet endroit-là, ou à proximité, pour éviter toute manipulation intempestive, simple principe de précaution.

Ascenseur, + 1, étage  » collection contemporaine « . Autre saint des saints, on en reste coi. Dans les armoires, ils narguent l’éternité, Bruno Pieters, Dirk Bikkembergs, Raf Simons, Martin Margiela, Tim Van Steenbergen, Olivier Theyskens, Bernhard Willhelm, A.F. Vandevorst, Veronique Branquinho, Angelo Figus, Ann Demeulemeester et tous les autres, créateurs flamands ou assimilésà Cette collection commencée fin des années 90 par Linda Loppa, alors directrice de l’Académie d’Anvers, est d’une richesse et d’une pertinence époustouflantes. Depuis 2007, Kaat Debo préside seule aux destinées de ce trésor qu’elle enrichit patiemment. Chaque saison, deux fois par an, elle assiste aux défilés des Belges, et, en showroom, après avoir tout revu, devant, derrière, intérieur, extérieur, elle achète ce que son budget lui permet de s’offrir. Soit 25 000 euros, à partager en deux avec la collection historique. 12 500 euros, donc, ce n’est pas grand-chose.  » On ne peut pas se tromper, reconnaît-elle, il faut faire des choix, être conséquent, construire un récit avec un créateur, choisir la pièce la plus emblématique d’une collection, penser aussi aux prochaines expositionsà  » En octobre dernier, lors des Fashion Week, à Paris et à Londres, Kaat Debo a choisi une silhouette Ann Demeulemeester avec imprimé oiseaux, pour  » le print  » justement, une robe grise et une veste taillée au cordeau de Haider Ackermann,  » pour sa coupe fantastique et l’atmosphère de sa collection « , une robe avec drapé et imprimé rebrodé de Peter Pilotto, pour  » sa maturité  » et parce que, ainsi, le MoMu possède désormais deux pièces de ce jeune créateur prometteur. Jamais, elle n’achète sur un coup de tête, ni parce que c’était beau, mais parce que cela a un sens, dans l’histoire d’un créateur, dans un courant de mode, dans la cartographie du musée. Que l’on y reconnaisse sa vision, en filigrane, n’est pour autant pas fortuit.

Il arrive, fort heureusement, que ces vêtements devenus pièces de musée sortent des armoires, respirent à l’air libre, déhoussés, mis en lumière, 50 Lux maximum, posés sur piédestal mais sans jamais faire nature morte, pas ici. Pour que tous, vous et moi, puissions les admirer. Comme cette robe du xviiie siècle, vue dans les archives, et qui dans l’expo Noir – Noir magistral dans la mode et le costume (*) voisine avec une veste d’Ann Demeulemeester ou d’Olivier Theyskens. Simplement lumineux.

(*) Noir – Noir magistral dans la mode et le costume, au MoMu, musée de la mode de la province d’Anvers, 28, Nationalestraat, à 2000 Anvers. Du 25 mars au 8 août 2010. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures. Tél. : 03 470 27 70. info@momu.be et www.momu.be

Par Anne-Françoise Moyson Photos : Tomas Vandecasteele

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content