Des créateurs aux idées folles revisitent les traditionnels jardins pour en faire de véritables interventions artistiques, où le végétal côtoie les matériaux artificiels, sans états d’âme. Une nouvelle voie pour les espaces verts ?

Nous sommes en Californie, face à l’océan Pacifique. De gros cumulus bourgeonnent dans le ciel et jouent avec les rayons du soleil pour créer des ombres changeantes au sol… Ce décor de carte postale a inspiré le duo franco-brésilien Cao Perrot qui en a tiré un univers tout à fait particulier reproduit dans le patio de cette maison unifamiliale. Un nuage formé d’un grillage en acier inoxydable, décoré de cristaux, surplombe une zone de gazon, à facettes, où sont incrustées des vitres teintées qui réfléchissent le ciel. Lorsque la lumière est forte, cette verroterie se met à briller et projette, sur les parois voisines, les couleurs de l’arc-en-ciel. Le lieu clos et immobile devient soudain mouvant sous l’effet de ce jeu de matièresà  » Nous sommes en quelque sorte des plasticiens du paysage, synthétise l’un des auteurs de cet aménagement, Xavier Perrot. Nos projets ont certes un rôle contemplatif mais ils incitent aussi à l’expérimentation. On imagine bien les habitants de cette villa s’installer sur les pentes verdoyantes pour lireà « 

Des endroits comme celui-là – à cheval entre art et paysage – fleurissent un peu partout dans le monde. Couleurs vives, travail sur la lumière, confrontation de matériaux naturels et artificiels, charge narrative, humourà : ces  » jardins conceptuels « , comme les définit l’auteur Tim Richardson dans son livre Avant Gardeners, reposent sur des idées plutôt que sur des plantes et jettent un pavé dans la mare des poncifs traditionnels.

Génial ou has been ?

Une des pionnières en la matière est l’Américaine Martha Schwartz qui, depuis la fin des années 80, joue avec des registres décalés du paysagisme. Ses réalisations provocatrices misent sur l’intégration d’objets colorés pour  » accessoiriser  » le lieu. Une de ses réalisations les plus connues est celle pour le réaménagement de la résidence Davis, au Texas. La conceptrice y a imaginé de petites  » pièces  » à ciel ouvert délimitées par des murs colorés. Dans chacune d’elles s’épanouissent des  » folies « , soit quelques cactus émergeant du gravier, teinté par endroit. Cette mise en place, aux accents très mexicains, remonte à une quinzaine d’années et est aujourd’hui étiquetée  » postmoderne  » par certains théoriciens. Cette attitude à contre-courant est même considérée par quelques spécialistes comme déjà dépassée.  » La manière de tourner en dérision les codes du jardin de Martha Schwartz est intéressante, affirme Hervé Brunon, historien des jardins et du paysage. Mais je pense que cette démarche artistique n’est pas universellement transposable. Derrière cette tendance conceptuelle, on décrypte une volonté des propriétaires d’épater. Des lieux communs peuvent alors s’installer et cela peut tourner au kitsch. Aujourd’hui, on en arrive à la tendance inverse : le retour au sauvage, avec beaucoup de plantes, des graminéesà  » Et d’ajouter que la quasi-absence de végétaux de ces projets expérimentaux est aussi discutable dans le sens où  » le végétal apporte la notion fondamentale du temps qui passe « .

Perspectives d’avenir

Quoi qu’il en soit, si certains y voient une évolution avortée de l’art paysager, d’autres estiment que l’avenir est devant eux. Comme le bureau allemand Wes & Partner. Sa composition pour un penthouse à Hanovre est emblématique de sa démarche. L’idée est ici de former un véritable salon outdoor. On retrouve donc des allusions au séjour traditionnel : un sol poli minéral qui rappelle le revêtement utilisé à l’intérieur, un  » tapis  » engazonné et délimité par un cadre en acier, et un  » rideau  » de quatre mètres en plastique.

De leur côté, les paysagistes néerlandais de Lodewijk Baljon offrent également une vision revue et corrigée de la discipline où l’idée directrice dépasse l’attrait du végétal, sans pour autant dénigrer celui-ci. Comme dans le Rex Garden, à Amsterdam, où le sol est recouvert d’un lit de gravier et où la végétation est domestiquée pour circuler, en hauteur, sur une structure quadrillée. Ou encore pour le Patio Fonds, un arrière d’habitation mitoyenne qui a été aménagé avec des colonnes recouvertes de feuilles faisant office d’arbres et, au sol, un vitrage bleu turquoise évoquant un étang.

Les créateurs britanniques de Metagardens vont, eux, plus loin encore, en suggérant une vision complètement loufoque du jardin, avec des formes dignes de films de science-fiction, imaginées grâce aux outils de création assistée par ordinateurs, et des végétaux relégués au rang de déco ponctuelle. Sans concession. Pour eux,  » un jardin est par définition une construction créée de toutes pièces par l’homme. Il n’y a donc rien de plus artificiel. Dès lors, il est logique d’y introduire des matériaux industriels afin d’établir un dialogue entre la nature et nous « .

Petit, mais inspirant

Les jardins conceptuels – tout en étant parfois à contre-courant des préoccupations actuelles privilégiant la nature et l’écologie – semblent donc avoir de beaux jours devant euxà D’autant que, comme le souligne le concepteur belge de jardins Vincent Gillier,  » globalement, le design se démocratise. Et dans cette lignée, les gens sont plus réceptifs à ces propositions nouvelles « . Notre compatriote est, entre autres, spécialisé dans l’aménagement de petits espaces extérieurs urbains, à Bruxelles essentiellement.  » Sur ce type de site, on peut développer un concept fort, avec un budget raisonnable, et en obtenant un rendu immédiat, commente-t-il. En plus, ces jardins jouxtent généralement des maisons relativement hautes d’où l’on a une vue plongeante intéressante.  » Les jardins conceptuels pourraient dès lors devenir une solution d’avenir pour tous ces intérieurs d’îlots qui se cherchent un rôle et une esthétique, entre le carré d’herbe famélique, les micro-parterres sans âme et le macadam tristounet. Les idées germent !

Carnet d’adresses en page 104.

Par Fanny Bouvry

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