Dans le film éponyme de Bernard Bellefroid, elle incarne Melody, une jeune coiffeuse prête à devenir mère porteuse. Une jolie révélation.

Porter l’enfant d’une autre et le lui  » rendre « , ensuite. En langage technique, on appelle ça la GPA (gestation pour autrui). Le sujet est sensible. Autant que le vide juridique qui l’entoure en Belgique, où la pratique existe mais reste rare, à peine une cinquantaine de cas répertoriés en vingt ans. Le Sénat en débat, en ce moment. A l’écran, Bernard Bellefroid préfère aborder la question sous l’angle plus large de la filiation – un point de vue qu’il avait déjà choisi dans La Régate, en 2009. De l’abandon, aussi, tel qu’il a lieu en France où il est permis d’accoucher sous X. Melody est l’un de ces bébés largués dans la vie sans attaches, amputés de leur passé. Pour 50 000 euros, l’argent dont elle a besoin pour changer de vie – elle ne demande pas la lune, son souhait ce serait d’ouvrir un vrai salon, elle qui coupe et coiffe à domicile -, elle accepte d’être mère porteuse. De reproduire, autrement, son destin à elle, finalement.

Il ne reste pas grand-chose de cette jeune femme dure, déterminée, aux cheveux courts peroxydés dans Lucie Debay, qui cache derrière son sourire la timidité des actrices pas encore (trop) rompues à l’exercice de l’interview promo. A la voir si menue, on a du mal à croire que son truc, ado, c’était le basket –  » j’avais un super dribble pour une fille  » – au point d’intégrer le section sports-études de son lycée, le temps de décrocher un bac S tout de même –  » pas par goût, j’étais bonne en sciences, c’est tout, c’était carrément absurde quand j’y pense  » – avant de tomber dans le théâtre, un peu par hasard. Un stage de cinéma et un concours d’entrée réussi au Conservatoire de Bruxelles plus tard, Lucie en passe un autre, pourtant, et choisit l’Insas,  » une école où l’on demande davantage aux acteurs d’être un peu créateurs « . Armel Roussel est son professeur. Il la remarque, lui offre un rôle dans Si demain vous déplaît, au Varia, alors qu’elle n’a pas encore son diplôme en poche. Les engagements se succèdent : Falk Ritcher, Vincent Hennebicq, Claude Schmitz, Jean-Baptise Calame la réclament. Une liste qui a de la gueule, c’est peu de le dire.

Sur les planches, elle aime  » cette traversée qui dure un temps, avec ses recherches, ses hésitations, ses tâtonnements « . Le cinéma la rattrape pourtant. Bernard Bellefroid l’a vue sur scène, lui propose de passer le casting pour le personnage de Melody, qu’elle  » foire complètement « . Du moins le croit-elle, mais c’est elle qu’il voudra quand même. De Lucie, il dira :  » Son visage est capable de nous désemparer en une fraction de seconde, avec un jeu minimal. Un visage sans triche.  » D’ailleurs, c’est ce qui lui plaît à elle, ce tango serré avec la caméra.  » Elle chope tout, lâche-t-elle. Il faut savoir chercher l’intime, ces petits moments de vérité, jouer subtilement sur les émotions, sur l’instant.  » Accepter, aussi, de n’être qu’un maillon. De se laisser piller, un peu. Cela fait partie du jeu. Celui qui l’a amenée à choisir ce job qui vous précipite sans cesse dans d’autres vies que la vôtre.

Pour préparer ce rôle de mère par procuration, Lucie lit des témoignages tout en se disant qu’il est impossible d’appréhender un choix pareil rationnellement.  » Finalement, je me suis mise dans sa peau scène par scène, rappelle-t-elle. Au cours de la semaine de répétition où l’on a tout enfilé dans l’ordre. Pour moi, elle devait se sentir invincible. Sacrément désespérée aussi pour accepter de faire une chose pareille.  » La détresse, même larvée, pétrit également le personnage d’Emily, la Britannique riche en mal d’enfant. Car ce qui a tout, dans les premiers plans, du drame social  » à la belge  » tourne très vite au duel, puis au duo, entre ces deux femmes seules, chacune à leur manière. Une performance qui a valu à Lucie et à l’Australienne Rachael Blake le Prix d’interprétation féminine du Festival des films du monde de Montréal, l’an dernier. En attendant la sortie en juin de son prochain film – Un Français, de Diastème, dans lequel elle incarne une militante du Front National -, Lucie bouquine des scénarios et apprend à choisir.  » J’ai même dû refuser plusieurs projets en théâtre afin de rester disponible pour le cinéma, au cas où… C’est un peu dingue ce métier quand on y pense. Un jour on te propose un premier rôle, puis plus rien. Tout peut arriver. Demain. Ou jamais.  »

PAR ISABELLE WILLOT

 » Au cinéma, il faut savoir chercher l’intime, les petits moments de vérité. « 

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