Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*)  » Les Temps hypermodernes « , Grasset, 183 pages.

Il y a les rococo, les zen, les kitsch, les rustiques, les fonctionnels, les designissimes, les minimalistes chic. Mais il y a aussi les fans des trois Louis (Louis XIV, Louis XV, Louis XVI), de l’Empire, de l’Art nouveau. Des inconditionnels qui, pour rien au monde, ne laisseraient entrer chez eux même les plus classiques des modernes, Verner Panton, Mies Van der Rohe ou Charles Eames. Leur truc à eux, c’est l’ancien, le patiné. Rien moins, parfois, que l’histoire familiale reçue en héritage : la garde-robe en chêne de l’oncle Georges, le secrétaire marqueté d’une arrière-grand-mère. Ou tout simplement le fauteuil Voltaire chiné chez un antiquaire ou gagné à l’arraché dans une vente aux enchères. L’occasion, alors de s’inventer des ancêtres que l’on n’a pas eus.

C’est que le  » bon vieux temps « , les produits  » à l’ancienne  » ont plus que jamais la cote. Une tendance reçue cinq sur cinq par les marchands, brocanteurs et revendeurs en tous genres qui, déjà, les ont réaménagés, recyclés, mis au goût du jour. Alimentation, ameublement, mode… le passé simple, composé, voire même imparfait, se veut refuge. Chaque jour, on court, on galope pour maîtriser le temps. Les objets d’autrefois permettent de s’approprier une petite part d’immortalité. Ils suggèrent le travail bien fait, la qualité, la sécurité. Ils sont, de plus, repères. Car en déco, aussi, l’accélération des modes donne le tournis. Et puis, au-delà de la nostalgie, l’engouement pour les antiquités se veut résistance à la laideur, à une certaine uniformisation fonctionnelle contemporaine.  » Il témoigne de la montée en puissance des désirs individualistes de qualité de vie d’une culture hypermoderne du bien-être « , prétend le sociologue Gilles Lipovetsky (*).

La tradition, nouvel opium des néoconsommateurs ? Etroitement mêlée au présent, elle traduit, sans aucun doute, une aspiration réelle à une vie plus qualitative, esthétique et sensorielle, une vraie exigence en matière d’ambiance et d’environnement. Pas question, donc ici de rejet et de repli sur soi. Il ne s’agit pas de se calfeutrer dans un pseudo passéisme flétri et suranné, voire même folklorique. Mais bien de réconcilier harmonieusement hier, aujourd’hui et demain.

Rien de ringard, dès lors, dans cette quête de la mémoire, bien au contraire. N’alimente-t-elle pas tout autant les créateurs et les designers les plus pointus du xxie siècle ? Pour preuve, la chaise  » Louis Ghost  » de Philippe Starck (éditée chez Kartell), et qui est rien moins qu’une interprétation très libre, mais respectueuse, d’un célèbre siège à médaillon de style Louis XVI !

Christine Laurent

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