De cet ancestral besoin de lumière

© karel duerinckx

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Cet automne, j’ai la chance d’être invitée dans plusieurs festivals littéraires en dehors des frontières belges: Paris, Marseille, Beyrouth, Genève, Lille… C’est du pain béni pour écrire cette chronique, tous ces déplacements, toutes les péripéties des voyages, les lumières particulières, les lieux-amis, les rencontres d’exception. J’écris à l’aube, à l’hôtel, encore imprégnée des bonnes ondes de la veille ou dans le train, sur le chemin du retour vers mon nid. J’écris avec légèreté, tant la matière neuve se donne à voir, à entendre, à sentir.

Aujourd’hui, en relisant et en compilant mes notes prises lors des différents événements de septembre et d’octobre, je remarque la présence entêtante et presque miraculeuse du soleil, à chaque fois. Ça change tout pour les corps, pour les humeurs, pour la circulation des énergies, pour les taux de fréquentation, pour les rentrées financières, un temps clément. J’ai vu des organisatrices remercier la météo, bras levés vers le ciel, j’ai vu des organisateurs trinquer à des forces supérieures, bienveillantes avec les poètes. Ces personnes m’ont fait penser aux protagonistes du dessin animé Les mystérieuses cités d’or, que j’adorais regarder dans les années 80. C’est beau de s’imaginer que, depuis la nuit des temps, les visages des humains s’illuminent de la même manière aux retours des éclaircies.

‘Nager avec d’autres femmes, sublimes, naturelles, intelligentes, de bons conseils, soutenantes et espiègles.’

Je me dis que chaque halte en festival est une occasion de métamorphose douce. La rencontre avec le public, la découverte d’autres voix, l’accueil qui fait se sentir attendue, tout concourt à ce que, au moment du départ, le cœur palpite différemment du jour précédent. Ce n’est jamais tout à fait la même personne qui rentre au bercail. L’expérience a été si dense, si chargée qu’il est parfois difficile de partager son ressenti avec ses proches, avec des personnes étrangères à la sphère artistique. Emballé, c’est pesé. Sur papier, ça reste un métier. On parle juste de boulot et on n’est même pas obligés de parler boulot après journée. J’imagine la dissociation que doivent vivre les stars internationales, les pétages de plomb, la déconnexion du réel. Comment mettre des mots sur de telles intensités, sur de telles décharges émotionnelles? Comment dire la descente, le ressac, la rétractation? Comment exprimer la solitude et le silence de la chambre d’hôtel?

A Paris, au festival Empow’her, les deux pieds sur terre, bien ancrée, j’ai découvert une ruche de femmes engagées, des entrepreneures, des militantes féministes, des artistes, des artisanes, des libraires, des journalistes… J’ai dédicacé et fait dédicacer des livres, j’ai slamé en extérieur et me suis laissée emporter par des chanteuses et des musiciennes d’autres pays, j’ai été interviewée et ai interviewé. Sur les deux rives. Actrice et spectatrice, en don et en accueil, en paroles et en écoute.

A Genève, j’ai pris le temps de me ressourcer le lendemain de ma lecture performée, avant d’enchaîner avec un spectacle à Bruxelles. Hammam, sauna, nager dans le lac. Nager nue. Me sentir totalement libre et connectée avec l’environnement, l’eau, mon âge, ma pulsation intérieure, les difficultés du moment, les aspérités des fins de cycle, la promesse de nouvelles opportunités. Nager avec d’autres femmes, sublimes, naturelles, intelligentes, de bons conseils, soutenantes et espiègles.

A Marseille, j’ai logé dans un ancien cloître, devenu par la suite une maison de repos, avant d’accueillir des artistes en résidence. J’ai vu les toilettes aménagées pour les fins de vie. J’ai pensé à la fragilité des existences et je me suis promis de plus célébrer le simple fait d’être là, en bonne santé et sensible. J’avais dit oui, sur un coup de tête, à un shooting photo. J’ai plongé, comme dans certains baptêmes d’adultes, avec une robe blanche dans les eaux de l’Île du Frioul. J’ai découvert des paysages magnifiques, liquides et lunaires. Je n’ai pas encore vu le résultat de cette séance. J’appréhende les marques de fatigue sur mon visage mais je retiens déjà qu’il y a eu rencontre. Je retiens cette discussion à bâtons rompus entre deux femmes que dix ans séparent, entre deux artistes, entre deux espérances d’amours égalitaires.

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