On les aime ou les déteste. Les jeux de société ont le pouvoir de créer du lien et d’ouvrir sur le monde, mais également, parfois, de générer des tensions. Tour d’horizon de la question, en six manches. Forcément gagnantes.

C’est l’histoire d’une maman qui ne comprend pas pourquoi ses rejetons ne veulent pas s’amuser seuls ; ils désirent qu’elle participe, là maintenant, et tant pis s’il y a le repas à préparer, le linge à trier, le salon à ranger. C’est le récit de cette veuve, mère de deux bambins, venue suivre une formation pour apprendre à mieux jouer, car il n’y a pas longtemps, quand son fils de 7 ans lui a demandé si elle l’aimait, elle a eu la sagesse d’esprit de lui poser cette question, le coeur comprimé :  » A quel moment sens-tu que je t’aime ?  » Et le gamin de rétorquer :  » Quand tu joues avec moi.  » Il y a aussi un père, dont les poils se hérissent dès qu’il entend prononcer le terme  » jeu de société « .

Alors que pour certains parents, lancer le dé ou construire une cabane dans le jardin semble tout naturel, il n’en est pas toujours de même pour d’autres. Pourtant, passer un tel moment ensemble, petits et grands mélangés, ne peut qu’être positif pour tous. La preuve, à travers six affirmations.

1. JE N’AIME PAS JOUER

En trente-cinq ans de cheminement, le Belge Pascal Deru en a vu des adultes un peu pincés par le jeu ! D’après le fondateur du magasin saint-gillois Casse-Noisettes, formateur et auteur du livre Le jeu vous va si bien (Le Souffle d’Or), ces derniers auraient difficile, et ce pour quatre raisons. Un, ils opèrent un raccourci, en pensant que s’ils n’apprécient pas les échecs, ils n’aiment pas non plus jouer.  » Mais 95 % des gens ne se retrouvent pas dans ces parties, qui voient s’affronter rois, dames, tours, fous et cavaliers, affirmait Pascal Deru, lors d’une conférence, organisée dernièrement par l’association Parents-Thèses. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe un registre très divers de distractions. Il y en a forcément une qui convient à chacun.  » Car rien n’est pire, dans ce contexte, que de se forcer ; l’entourage le ressent, et la magie n’opère pas.

Deux, les grandes personnes n’aiment pas perdre en public.  » C’est toujours une souffrance.  » (lire par ailleurs) Trois, elles ne comprennent jamais les règles.  » On est très paresseux, reconnaît le spécialiste du secteur. Or, il faut voir ces dernières comme une promesse de bonheur, il faut faire confiance à la personne qui nous a dit que c’était bien.  » Enfin, quatre, cette occupation ludique ravive des questions douloureuses, relatives à l’enfance.  » Du type mon frère trichait tout le temps, mon père ne me consacrait pas une minute, ma soeur entrait dans des colères monstres.  »

Plutôt qu’essayer de botter en touche, avec des phrases du genre  » tu ne peux pas faire cela seul ?  » ou  » amuse-toi plutôt avec ton frère « , la pédagogue Karen De Looze conseille vivement de jouir du moment présent :  » Votre vie avec vos enfants se déroule maintenant, pas après-demain. Il n’y a pas de meilleure occasion pour en profiter !  »

2. CELA NE SERT À RIEN

Contrairement à la nourriture, aux soins ou à la chaleur, le jeu n’est pas utile ou nécessaire, pour rester en vie.  » On est dans le don, dans le domaine du gratuit, explique Pascal Deru. Comme la lecture, la musique ou la contemplation, il dépose une offrande dans notre parcours.  » Certains avanceront que c’est un gadget réservé aux petits, une perte de temps pour leurs aînés, voire, pourquoi pas, un signe d’immaturité. Faux, réplique la Gantoise Karen De Looze :  » C’est important à plus d’un titre. Il est synonyme de passion et de vie.  » Et l’experte de citer une phrase du psychologue américain Lawrence Cohen, auteur du livre Qui veut jouer avec moi ? (JC Lattès) :  » Demander à un gamin d’arrêter de jouer revient à exiger d’un adulte qu’il stoppe de parler et de penser. Contrôler chaque minute de son jeu correspond à maîtriser chaque mot prononcé par quelqu’un. Mais laisser un jeune seul dans cette activité de délassement peut être comparé au fait de rester toute la journée avec d’autres adultes et ne jamais leur parler.  » Qu’importe le fait qu’il soit considéré comme un outil éducatif ou de développement, ce passe-temps est d’abord et avant tout sujet d’épanouissement. Les kids le font par plaisir ; ils réalisent ce qu’ils veulent, suivent leurs propres règles et raisonnements. Nos compatriotes l’ont bien compris. D’après les récents chiffres d’Eurostat, communiqués lors de l’élection belge du Jouet de l’Année, le pessimisme croissant des consommateurs ne les empêche pas d’acheter des jouets pour leurs mômes. Sur le territoire noir-jaune-rouge, on note même une augmentation de 5 % pour ce type d’acquisition, entre janvier et septembre 2015.  » Un exploit, quand on sait que cela tourne généralement autour de – 3 à + 3 % « , informe Christophe Portal, directeur exécutif du département Divertissement de NDP Group pour la France et le Benelux, un cabinet spécialisé dans les études de marché sur la vente au détail et la consommation.

3. C’EST COMMUNIQUER AVEC SON ENFANT

 » Il suffit de débuter une partie, pour voir que commence un travail d’ensoleillement, à travers le rire « , se réjouit Pascal Deru, qui s’interroge : combien de cousins ont appris à mieux se connaître par le Monopoly ? Car quand la partie s’arrête, vient la période d’échange. On a alors tellement de choses à se raconter, à débriefer.

Se réunir un moment autour d’un plateau, c’est avant tout tisser du lien, que ce soit entre frère et soeur, grands-parents et descendants, parents et enfants.  » Quand votre chérubin rentre de l’école ou de la garderie, il ne faut pas se contenter d’un  » bien  » lorsque vous lui demandez comment s’est déroulée sa journée « , considère Karen De Looze. Ses émotions, désirs et difficultés n’apparaîtront pas via l’usage de mots. Par contre, vous pourrez recevoir son message en jouant. Cela permet d’être en connexion, de dialoguer, de prendre la température.  » Une question d’hygiène quotidienne, en somme.

Bien évidemment, cela demande de l’engagement.  » Mais le parent est encore libre de choisir son moment « , rassure l’auteur du livre Le jeu vous va si bien. Il peut ainsi passer un contrat : dire à sa progéniture qu’il est pour l’instant occupé, mais sera disponible d’ici trente minutes, par exemple.  » En arrêtant ses activités pour lui consacrer du temps, le père ou la mère signifie à son rejeton qu’il a du prix. Et l’adulte reçoit en retour. Car non seulement ce lien lui permet de devenir complice, mais réveille par ailleurs le gosse qui sommeille en lui. Quand on investit dans cette relation, cela porte assurément ses fruits.  »

4. C’EST EXPÉRIMENTER LA VIE

Lorsqu’il fut demandé à Larry Page – cofondateur de Google, à l’origine de l’algorithme déterminant le mode de classification des pages, dans le moteur de recherche -, quelle technologie avait le plus influencé sa façon de penser, l’Américain a répondu qu’il s’agissait… des briques Lego.  » Cela lui a appris à réfléchir de façon numérique et systématique, tout en lui donnant les compétences de base pour devenir scientifique, détaille Helene Teichert, PR Manager du groupe Lego. On parle ici de créativité illimitée.  »

De ce fait, jouer permet toutes les expérimentations possibles et la familiarisation à de futures situations.  » Cela représente un fameux laboratoire, considère Pascal Deru. On peut tester des attitudes, un modèle de négociation ou d’argumentation. On peut aussi se casser la figure, sans aucune conséquence ou sanction. Il n’y a pas beaucoup d’autres endroits comme celui-ci qui offrent une telle opportunité.  » Qu’il s’agisse d’empiler des blocs ou de se lancer dans un duel stratégique, l’enfant découvre un terrain d’exploration, une promesse d’incroyables trouvailles.  » C’est une introduction à la vie « , résume la Flamande. Un loisir qui permet, en outre, de développer un large éventail d’aptitudes, valeurs et qualités : la confiance en soi et en l’autre, la curiosité, la créativité, l’indépendance, la résolution de problèmes, l’acceptation de la différence, la patience, la générosité, le goût du plaisir partagé, le respect, la joie…

5. IL/JE N’AIME PAS PERDRE

Qui n’a jamais connu une partie endiablée, qui se terminait par un claquement de porte ou des cartes lancées à tout va ?  » Il y a des gens qui jouent uniquement pour gagner. Ce sont des tyrans, je préfère les éviter « , confie Pascal Deru. Et puis, il y a ceux qui n’aiment simplement pas terminer dernier.  » Pour ceux-là, cela va leur permettre de travailler l’art de perdre.  » A ce sujet, le formateur recommande de commencer par reconnaître ses sentiments, de mettre des mots dessus. Puis de trouver des domaines où il est possible de l’emporter avec légitimité. Et, enfin, de s’initier aux jeux coopératifs, pour découvrir une façon d’être à l’unisson, de s’entraider, et de réussir ou échouer ensemble.  » La compétence de l’autre n’est plus une menace, mais un cadeau mis à disposition de tous. Et quand l’angoisse disparaît, on peut laisser apparaître sa fragilité…  »

Un point de vue que partage Karen De Looze :  » Il est important que les plus jeunes apprennent également à jouer sans devoir se mesurer à un adversaire. Ils doivent pouvoir découvrir le plaisir de faire partie de la même équipe. S’ils n’alternent pas régulièrement les moments de compétition et de coopération, ils risquent de perdre leur goût pour le jeu insouciant et sans limites, voire leur capacité à être des enfants, tout simplement.  »

6. GAGNER N’EST PAS L’ESSENTIEL

C’est souvent dur à faire comprendre aux plus petits, mais le résultat final est loin d’être le plus important.  » Plutôt que de se contenter de féliciter son bambin s’il a remporté la mise, mieux vaut se mettre à côté de lui et discuter, pour voir ce qu’il a ressenti, s’il a perçu le travail d’équipe…, conseille la pédagogue. Intéressez-vous aux points de vue riches et nuancés de votre marmot.  » Une manière de faire qui prendra toute sa valeur lorsqu’un championnat ne se termine plus par une victoire.  » Si seul le gain est mis en avant, toute la confiance en soi aura tendance à disparaître, quand ce dernier n’est plus au rendez-vous.  » D’où l’intérêt de se rappeler, une fois encore, que l’essentiel réside principalement dans le plaisir que procure cette activité.

PAR CATHERINE PLEECK

 » Votre vie avec vos enfants se déroule maintenant, pas après-demain. Il n’y a pas de meilleure occasion pour en profiter ! « 

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