Voici quelques mois, Déborah François était une rhétoricienne lambda. Depuis que sa route a croisé celle des frères Dardenne, son existence a basculé dans les limbes médiatiques. A la faveur d’un casting, elle est devenue Sonia, mère de  » L’Enfant  » des Frères. Avec Jérémie Renier, elle a porté le film tellement haut qu’il a décroché la Palme d’Or au Festival de Cannes. Aujourd’hui, Déborah François se verrait bien actrice à durée indéterminée. Avant d’embrasser cette hypothétique carrière, elle a accepté le rôle de mannequin exclusif pour Weekend Le Vif/L’Express, histoire de présenter six tendances phares de la mode automne-hiver 05-06.

C’est presque devenu une constante. A chaque film, Luc et Jean-Pierre Dardenne enrôlent un novice. Pour  » L’Enfant  » qui sortira sur nos écrans le 14 septembre, leurs c£urs ont buté sur Déborah François. Loin du bruissement cinématographique, la studieuse adolescente terminait alors ses études secondaires dans un collège liégeois.  » Il y avait un casting près de chez moi et j’y suis allée par curiosité, se souvient la jeune fille. Je n’avais jamais sérieusement envisagé une carrière au cinéma. C’était un fantasme comme celui de toutes les petites filles qui veulent un jour devenir actrice ou mannequin.  »

Dans la machine des frères sérésiens, Déborah a introduit le doigt, et le reste a suivi. Ecolage déroutant, tournage éprouvant au côté de Jérémie Renier, et atterrissage dans la ronde cannoise. La Palme d’Or était au bout du périple. Et si petit film est devenu grand, Déborah François pourrait, elle, suivre les traces d’Emilie Dequenne. Repérée par les Frères, récompensée à Cannes, la jeune hennuyère a en effet fini par séduire l’ensemble de la profession. Avec le temps, quelques feuilles de Palme retomberont donc sans doute sur Déborah. Au festival, elle a au moins glané une bonne volée de paillettes. Dans l’incessant défilé de toilettes scintillantes, ses mirettes ont enregistré les données.

Désormais, pour la jeune femme de 18 ans, mode ne rime plus uniquement avec fringue. Elle confesse un intérêt pour Valentino et avoue être complètement fan de Dolce & Gabbana.  » Et pour Dior, ça dépend des collections, reconnaît-elle. Parfois, elles sont très bizarres. En prêt-à-porter, par contre, c’est toujours magnifique.  » En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, Déborah n’a donc pas hésité à jouer au top model pour présenter six tendances incontournables de la mode de l’hiver prochain.

Weekend Le Vif/L’Express : Est-ce la première fois que vous posez pour des photos de mode ?

Déborah François : Non, c’est la deuxième fois, mais c’est toujours un peu impressionnant. L’exercice est supercompliqué. J’ai peur de mal faire, de ne pas bien porter les vêtements. J’ai en tête que le photographe collabore habituellement avec des mannequins, des professionnelles. Moi, je suis comédienne, je travaille dans le mouvement. Ce n’est pas mon métier de prendre la pose, de rester figée en souriant. Il est trop difficile d’avoir une intensité sans bouger. On n’imagine pas à quel point c’est fatiguant. Personnellement, j’essaye d’utiliser les techniques dont je dispose. Comme quand je joue, je me concentre sur une idée.

De toute façon, en cinéma comme en photo, il est toujours question d’objectif…

Dans les deux cas, il y a le regard d’un objectif plus celui des gens derrière. En même temps, beaucoup plus de personnes verront ces images. Durant un tournage, je ne me pose jamais cette question. Lors d’une séance photos, oui. Dans un film, je suis un personnage. Sur une photo, c’est moi. Il est beaucoup plus impressionnant de regarder l’objectif d’un appareil photo en face que de faire semblant de l’ignorer durant un tournage.

Comme toutes les filles de 18 ans, je suppose que vous vous intéressez à la mode ?

J’adore surtout les total looks. J’aime ça parce que je capture l’esprit du vêtement. Si j’adopte par exemple le style lolita, je parlerai plus comme une petite fille. Habillée en grunge, je serai vautrée dans le canapé. Très femme, avec lunettes et cheveux tirés, je vais me tenir plus droite. Le matin, je choisis un style. C’est mon humeur qui détermine le choix vestimentaire. Ça fonctionne dans tous les sens. Quand je suis triste, je peux mettre du noir ou, au contraire, beaucoup de couleurs pour contrebalancer. Mais souvent, je me lève en ayant envie de rose. J’en ai d’ailleurs plein ma garde-robe.

Avez-vous d’autres fixettes que le rose ?

Les sacs ! J’en ai plein. En jeans, en daim ou de couleur rose, évidemment. Je pillerais les rayons ! J’aime accessoiriser. Je pense que l’accessoire donne tout. Pour aller à un entretien d’embauche, je vais m’habiller de manière très classique. Par contre, je prendrai un sac original. Ce sera ma petite touche.

Aimez-vous choquer ?

J’aime qu’on me regarde en rue, mais pas d’une manière trop insistante. Ce genre de regard est évidemment négatif, il me met mal à l’aise. J’essaie toujours de ne pas être provocante dans le sens vulgaire. Si je porte un décolleté, je vais éviter la minijupe. Avec les deux ensemble, on passe du  » Cette fille est jolie et un peu provocante !  » à carrément  » Elle est supervulgaire ! « .

Y a-t-il des vêtements que vous refuseriez de porter comme de la fourrure par exemple ?

La fourrure, ça me fait mal au c£ur. Je pourrais refuser, mais je ne sais jamais quoi faire lorsqu’on me le propose. Je n’aime pas trop le principe, mais en même temps ce ne sont pas mes vêtements. En tout cas, je n’en achèterai pas. C’est une question de choix, mais je ne vais pas non plus sauter à la gorge d’une femme qui porte une étole en lapin. ça n’est pas mon problème.

Et accepteriez-vous de poser en lingerie ?

Je ne le ferais pas. Pour le moment, je n’ai pas envie de montrer mon corps. Je ne pense pas que ce soit utile. Je suis encore un peu pudique. Poser en lingerie, ça fait un peu exibo.

Depuis  » L’Enfant « , faites-vous attention à la manière dont vous vous habillez ?

Après les Frères, j’ai évité de me mettre trop en avant. Aujourd’hui, je ne porte plus vraiment de vêtements excentriques. Je refuse qu’on pense que je m’habille comme ça depuis le film. Tout ce que je fais est mal interprété. Des gens que je ne connais pas se permettent parfois de donner leur avis sur moi. Imaginez un peu si je portais des fringues provocantes ! Pourtant, je n’ai pas envie de changer ma façon de m’habiller. Pour le moment, je suis simplement plus discrète.

Comme Sonia dans le film…

C’est terrible ce qu’elle porte ! Elle n’est ni trop jeune, ni trop vielle et pas du tout à la mode. Mais elle veut quand même être jolie. Sonia a un copain et essaie de garder un côté féminin. Choisir ses tenues fut un véritable enfer. Nous avons essayé deux cents combinaisons. Impossible de trouver ce qui pouvait lui convenir ! Quand la préparation a commencé, je n’avais pas encore visualisé le personnage. Mon idée était complètement différente de celle des Frères. A mesure qu’ils me parlaient des vêtements, que nous choisissions des couleurs, le personnage a pris forme. A la fin, je l’avais bien saisi.

Se fondre dans le rôle, c’est le c£ur du travail des Dardenne…

Leur méthode, je la vois comme de l’aide aux comédiens, pour ne pas dire de l’assistance. Un amateur est incapable de construire un personnage tout seul. En tout cas moi, je n’y serais jamais arrivée sans eux. Durant la préparation, ils parlaient de Sonia et j’enregistrais. Et puis, ils ne me lâchaient jamais. Au moindre geste, ils me montraient comment mon personnage aurait réagi.  » Là, tu prends ton café comme Déborah, pas comme Sonia !  » A force de se faire reprendre, ces attitudes finissent par rentrer.

N’est-ce pas un peu déstabilisant ?

Si, c’est superdéstabilisant. Je me demandais pourquoi ils me reprenaient alors que le tournage n’avait pas encore commencé. Car j’avais l’idée qu’un acteur devait jouer entre les moments  » Action !  » et  » Coupez !  » Or, avec les Dardenne, c’est tout le temps. J’étais Sonia même chez moi. Comme c’était mon premier film, je n’avais pas le recul nécessaire. Au suivant, je pourrai me dire  » A la maison, je redeviens Déborah « . Pour  » L’Enfant « , je voulais constamment me maintenir dans ce climat. Les Frères m’ont permis de rester dans le personnage, et ainsi d’être plus performante pendant les scènes.

Pour l’aspect maternel également ?

Pendant la préparation, j’ai rencontré beaucoup de bébés. Sur le tournage, je gardais les enfants même entre les prises. Tenir un être chaud contre soi rend plus responsable. Il faut faire attention à sa tête, ne pas le laisser tomber. Toutes ces petites précautions se ressentent quand la caméra tourne. Avec Jérémie, par contre, le contact était plutôt violent. Nous nous sommes beaucoup chamaillé, comme dans le film.

En tant que novice dans le cinéma, quel côté vous surprend le plus dans ce milieu ?

J’ai l’impression que les acteurs sont toujours un peu  » babysittés « . Dans la vie de tous les jours, je me débrouille seule. Mais quand je suis dans mon rôle d’actrice, il y a toujours quelqu’un pour me rappeler les rendez-vous ou me conduire quelque part. C’est agréable d’être chouchoutée mais il faut rester vigilant. Ça ne dure pas. A Cannes, c’était parfois lourd. Impossible d’être deux minutes sur le côté sans entendre  » Ne reste pas là Déborah ! Tu vas te refroidir ! Tu risques de froisser ta robe ! Tiens-toi droite !  » Je suis peut-être jeune mais je n’ai pas 3 ans.

Se retrouver au Festival de Cannes à 18 ans, je suppose que ça secoue.

Je me suis dit :  » Qu’est-ce que moi, petite lycéenne, je fais là au milieu des paillettes et de ces gens qui parlent cinéma ? » Je ne suis pas une cinéphile, je ne connais pas ce milieu, ni le nom des acteurs ou des réalisateurs. Autour de moi, ils étaient en train de parler de cinéma afghan ! C’est vraiment un tourbillon, ça va tellement vite. Une interview par-ci, une photo par-là, une télé là-bas. On n’a pas vraiment le temps de penser, sauf lorsque l’on se retrouve à l’hôtel.

Et aujourd’hui que vous avez le temps, songez-vous à l’avenir ?

J’aimerais bien devenir comédienne à plein temps. En attendant, je vais peut-être commencer les romanes.

Production et stylisme : Olivier Baille

Photographe : www.gaetan-caputo.com

Assistant photo : Pierre Magne

Maquillage : Olivier Baille (Close Up by IMM) pour Dior look automne 2005

Coiffure : Hedwich (Close Up by IMM) pour Farouk System USA

Carnet d’adresses en page 56.

Sylvestre Defontaine

 » C’est mon humeur qui détermine le choix vestimentaire. Ça fonctionne dans tous les sens. Quand je suis triste, je peux mettre du noir ou, au contraire, beaucoup de couleurs pour contrebalancer. Mais souvent, je me lève en ayant envie de rose.  »

 » A Cannes, c’était parfois lourd. Impossible d’être deux minutes sur le côté sans entendre  » Ne reste pas là Déborah ! Tu vas te refroidir ! Tu risques de froisser ta robe ! Tiens-toi droite !  » Je suis peut-être jeune mais je n’ai pas 3 ans.  » (ici en compagnie des frères Dardenne et de Jérémie Renier à Cannes)

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