Je n’ai nul besoin de vous convaincre que notre petit pays regorge de spécialités culinaires toutes plus exquises les unes que les autres. Je tiens cependant à faire ici honneur à l’une d’entre elles qui a ceci de spécifique qu’elle ne ressemble à rien d’autre au monde. En effet, si nos frites sont internationalement galvaudées, si les moules marinière s’ouvrent autant dans les casseroles bataves ou françaises que dans les nôtres, si les chicons au gratin grésillent hors de nos frontières ou encore si nos carbonnades sont de lointaines cousines du b£uf à la bière des îles Britanniques, la croquette aux crevettes, c’est autre chose ! Absolument rien à voir avec les scampi fritti, la tempura, les beignets de crevettes chinois ou louisianais ou même les toasts aux crevettes frits à la thaïlandaise. Non, notre croquette, à ma connaissance du moins, ne trouve au monde (je n’ai pas peur des grands mots) aucun équivalent. Et je dirais même plus, elle n’a jamais fait l’objet d’une copie, même japonaise ! Je suis bien entendu sidérée par cette exclusivité, parce que la croquette aux crevettes, c’est si bon et raffiné, mais c’est aussi susceptible de plaire aux papilles de nombreux pays, parce que ça n’a rien de bizarroïde comme des cuisses de grenouilles ou des cancrelats grillés. Bon, bien sûr, elles requièrent des crevettes grises de la mer du Nord. Mais on pourrait en faire d’honnêtes avec des crustacés plus exotiques. Quant aux autres ingrédients, on les trouve même à Novossibirsk, alors !
Toujours prête à me plier en dix-huit comme une pâte feuilletée six tours pour vous plaire et vous être utile, je vous livre mes constatations empiriques pour repérer, rien qu’à voir sa frimousse et ses dessous, une croquette digne de ce nom. D’abord, elle doit ressembler à une bossue de Notre-Dame. Trop régulière, méfiance ! Cela indique un usage abusif de farine pour en faire une béchamel plus facile à rouler en croquettes mais alourdissant la texture de l’ensemble et empêchant la légère et appétissante gonflette à la friture. Et dans votre assiette, une fois sa carapace déflorée par votre fourchette gourmande, son contenu doit déferler comme une vague sur un fort et révéler une abondance de crevettes qui ne nécessite pas de cuistax pour se déplacer de l’une à l’autre. Si votre Quasimoda répond à ces critères, vos larmes de bonheur viendront s’évaporer sur les bouquets brûlants de persil frit tandis que vous la savourerez, égayée d’une giclée de citron. n
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