Aujourd’hui, le coeur du Cambodge bat autant à Phnom Penh que dans les jungles du Nord-Est et les temples magiques, où résonne toujours la gloire d’autrefois. Notre itinéraire en trois étapes.

Berceau de l’Indochine, le Cambodge – ce verdoyant jardin d’eau – se relève du génocide et offre au tourisme un nouveau visage, largement inconnu. Phnom Penh, la capitale, y retrouve sa place d’honneur. Elle est aussi le point de départ idéal vers le Nord, en empruntant le Mékong, ou jusqu’à Angkor dont la fascination demeure intacte, en suivant des chemins buissonniers vers des temples méconnus.

PHNOM PENH, LA VILLE DES RÉSURRECTIONS

Incendiées par le soleil de mai, les flèches d’or des pagodes dominent une mer de klaxons qui fermente dans les rues droites ombragées de flamboyants fluo. Située – comme le paradis – au confluent de  » quatre rivières « , Phnom Penh,  » la perle de l’Asie « , n’égale pas Angkor en magnétisme : elle l’explique et le complète. C’est surtout là qu’émerge un nouveau Cambodge – la moitié de la population a moins de 30 ans -, entraîné par la prospérité asiatique. Phnom Penh est le lieu de cette résurrection. A la terrasse d’un café branché, Rithy Panh – auteur de Bophana, film culte sur les années noires – évoque avec décontraction son passage à Cannes, où son Image manquante a reçu un prix en 2013. Ancien enfant des camps, Em Riem – souriant peintre coiffé à la Kim Jong-un – tient une galerie d’art suivie par les collectionneurs. Un circuit d’adresses en vogue est né, panachant productions locales (poivre de Kampot…) ou étrangères (le traiteur français Le Vôtre propose fromages et croissants de chez lui), voire B.A. humanitaires : fondée par l’ex-journaliste Tina Kieffer, l’école Happy Chandara accueille les fillettes démunies… D’orgueilleux Hummer noirs font la ronde autour d’un gratte-ciel en forme de palme. Le béton gagne, mais le vieux Phnom Penh fait de la résistance, étageant ses pagodes bijoux aux airs de crustacés, ses beaux bâtiments coloniaux citron et de vastes jardins où les Khmers pratiquent l’aérobic en groupe dès potron-minet.

Millefeuille au goût fondant, Phnom Penh se révèle au Palais royal, magnifique ensemble doré sur tranche où le roi Sihanouk, dieu vivant pour ses sujets, honorait un bouddha en cristal de Baccarat et tournait des films légers dont il était l’acteur principal. Au Musée national, fastueuse pagode aux jardins exquis, la statue volée d’un guerrier d’il y a mille ans – réexpédiée par Sotheby’s New York – était auscultée l’an dernier par le directeur français de l’atelier de conservation-restauration de sculpture, Bertrand Porte. Elle y a rejoint la fine fleur de l’art le plus délicat d’Asie : statues de lutteurs déliés, méditants gracieux… Et ces obsédantes statues du bâtisseur du Bayon, Jayavarman VII, dont le sourire magnétique épouvantait Pierre Loti. L’émotif écrivain ne connaissait pas Tuol Sleng, lieu de détention devenu le bouleversant musée du Génocide.

AU FIL DU MÉKONG, ENTRE FRICHES ET FORÊT PROFONDE

Sept kilomètres de largeur : à Phnom Penh, le Mékong est une mer en mouvement rapide dont les eaux, venues du Tibet, du Yunnan, du Laos, respirent l’Asie profonde. Quai Sisowath, où les princes flânaient jadis en pirogues dorées, une barge tout confort va remonter l’artère nourricière du pays vers les jungles du Nord-Est peuplées de tribus. La pâleur de l’aube adoucit le gazon des berges, hauts talus d’où émergent une procession de cocotiers et les toits vernissés des pagodes. Vrai film, la croisière déroule villages flottants, buffles au bain et pêcheurs… Issue de ces eaux couleur de thé matcha, une pêche miraculeuse orne le marché de Kampong Cham, troisième ville du pays. Ici, comme à Kratié, plus en amont, les bâtiments jaune et blanc de l’ère française dominent les étals d’insectes frits (arachnophobes, s’abstenir), des îles indolentes ouvrent les portes du pays profond, où les sourires et les saluts sont à fleur de peau. Autour de la piste filant vers le Nord, les chaumières en planches paradent sur des échasses, hautes jusqu’à cinq mètres. Des plantations d’hévéas et de manioc ont remplacé la jungle claire qui couvrait, il y a dix ans, les trois quarts du pays. N’en déplaise aux amoureux de la nature, la déforestation avance…

Autrefois bastion de la forêt primaire et des tribus animistes, le Ratanakiri est aujourd’hui un plateau couvert de friches immenses. Mais la jungle s’accroche encore aux frontières, laotienne ou vietnamienne. C’est là que vivent les Jaraï, une ethnie venue de Bornéo avec ses statues funéraires aux yeux écarquillés, parmi les tigres et les éléphants sauvages, sous les arbres-montagnes peuplés de gibbons. Des raids moins périlleux sont proposés au départ de Banlung, modeste capitale aux airs de Far West. Ex-Casque bleu de l’Apronuc devenu hôtelier, le pétulant Pierre-Yves conduit ses hôtes en pirogue, bravant les ronces et les lianes, enjambant forêts de cajoutiers et brûlis fumants, par les sentiers de terre rouge rehaussés de vert intense. Tribus Kroeung ou Katcha, les voici sédentarisées dans des villages sous futaies et rêvant d’acculturation. Hamacs somnolents, corps cuivrés glissant dans la rivière, cases aux vanneries exquises, hissées haut sur pilotis, on se croit en Amazonie. Ces Robinsons ont inventé leur propre civilisation, sacrifiant des buffles au dieu du riz et aux génies des bois, et gratifiant leurs morts de totems expressifs. Au centre du village, un bananier sacré atteste la cohésion de tous. A ce jour, il se porte à merveille.

VERS ANGKOR, DES RUINES DANS UN DÉCOR FANTASTIQUE

C’est un grand cri perçant venu de partout, dans l’ombre claire de la forêt cathédrale où s’alignent les antiques temples. Les cigales géantes de Koh Ker saluent-elles le peuple qui vécut, il y a onze siècles, dans cette capitale engloutie par les bois ? Pyramide à degrés haute de 30 mètres, le Prasat Thom fut le mont céleste où le roi Indravarman II, coiffé de fleurs et paré d’or, montait tutoyer les dieux. Son oeil y embrassait le vert lumineux des rizières, les réservoirs nourriciers, toute la plaine d’un empire aux dimensions de l’Indochine. A trois heures d’Angkor et de ses foules, ce site peu connu chavire. En chemin, les ruines de Beng Mealea plongeaient déjà dans l’heroic fantasy avec la fusion – organique – des arbres et des vieilles pierres couleur de métal. A l’entrée, de grands cobras à huit têtes crachent le feu sur les démons – mines antipersonnelles et serpents-minute -, avant les passerelles enjambant ce tas de moellons, aux sculptures éparses, qui fut un grand temple. Graphiste pour le film Alien, Giger a dû s’inspirer du baiser des figuiers étrangleurs, jetant leur filet de racines charnues sur les danseuses en granit noir. Ayant éventré le temple, il arrive que ces monstres en retiennent les murs – offrant, dans le même geste, l’étreinte vitale et le baiser de mort – pendant que d’invisibles oiseaux se répondent sous le ciel des branches. De tous ces petits frères d’Angkor Vat, place au plus imposant : Preah Vihear, temple-montagne pharaonique inscrit depuis sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. C’est un symbole national, qui orne les billets de banque. L’armée thaïlandaise y a souvent fait main basse mais les armes se sont tues, laissant les patriotes khmers le visiter par bus entiers, sous protection militaire. En 2011, 400 roquettes ont endommagé ce sanctuaire perdu dans la brume, dont les lions de pierre et les frontons taillés en flamme dominent les deux pays. Fervente, la foule s’y fait bénir par les conscrits aux chaussures en plastique, réincarnations des soldats de l’empire d’Angkor, narguant le drapeau thaïlandais qui flotte à quelques kilomètres.

PAR JACQUES BRUNEL

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