Chacun son voyage, chacun sa Méditerranée. Anses qui dansent, plages au sable immaculé, criques sauvages : la grande bleue scintillante a tout pour être aimée. Ses rivages sont adoubés depuis l’Antiquité. De la Côte d’Azur à la Grèce, des Baléares à l’île de Malte, Weekend a déniché dix paradis où être heureux comme Robinson.

1. Italie Maratea, le musée de la nature

Très bas, au pied des pentes arides des montagnes apennines, coincée entre les mers Tyrrhénienne et Ionienne, bref dans ce Sud profond que l’on décrit parfois comme hors du temps, se trouve la région méconnue de la Basilicate. La Calabre, ses plages de sable blanc et sa réputation de terre de brigands, est toute proche. C’est en Basilicate que Francesco Rosi tourna Le Christ s’est arrêté à Eboli en 1979 et Mel Gibson, sa controversée Passion du Christ, en 2002. Ici, l’Histoire ne se lit pas dans les musées mais dans la nature. Une nature brûlée par le soleil parsemée de ruines grecques, d’abbayes médiévales et de châteaux normands. C’est à pied (à condition de ne craindre ni la forte chaleur ni les vipères qui s’aventurent parfois sur les chemins) que l’on apprécie le plus ses trésors : ses paysages tantôt lunaires, tantôt verdoyants, ses fleurs sauvages et ses oiseaux de proie. Les surprenantes habitations troglodytiques – sassi (littéralement, cailloux) – de la ville de Matera, où logeaient autrefois des familles entières dans des conditions  » dantesques « . Et son joyau, Maratea, grappe de villages accrochés à flanc de colline, dans le golfe de Policastro. On goûtera dans la vieille ville un verre d’Aglianico del Vulture, le vin local, avant de se lancer à la conquête du Christ rédempteur, statue perchée à 633 mètres d’altitude. Autre récompense : les 44 petites églises et chapelles semblant veiller sur la splendeur du site, la plage de sable de Macarro, ou celle d’Acquafredda, logée dans une adorable crique. Cela vaut bien les musées bondés de Florence.

2. Grèce Sifnos, la perle défendue

Avec ses villages haut perchés, ses monastères lumineux, ses plages intactes, Sifnos a conservé, mieux qu’aucune autre, la véritable âme des Cyclades. Sifnos est de ces îles restées à l’abri du bétonnage à outrance. Posé au milieu de la mer Egée, ce bout de terre de 74 km2 a su résister aux sirènes du tourisme de masse, se tenant à l’écart de ses exubérantes voisines, telles Mikonos, Naxos ou Santorin. On y arrive par le port de Kamares, situé au creux d’une baie profonde, encerclée par les montagnes et bordée par de longues plages. De là, on prend la route pour Apollonia, la capitale, haut perchée. Et c’est depuis ce joli village, labyrinthe de rues pavées, bordées par les murs blanchis à la chaux, que l’on arpente les côtes, à la recherche des criques enchanteresses et des magnifiques plages de sable fin, telle Platis Gialos (à privilégier hors saison) ou Vathy. Des escapades à réaliser de préférence à scooter, le mode de circulation le plus adéquat pour faire connaissance avec l’île et ses habitants, réputés pour leur grande hospitalité. Tantôt recouverte d’oliviers millénaires, tantôt aride comme un désert pelé, tantôt découpée en terrasses sillonnées par des murets, Sifnos possède mille et un visages. Dans cette île kaléidoscope, il est néanmoins une chose qui ne varie guère, c’est la présence quasi systématique d’une chapelle, d’une église ou d’un monastère à l’horizon. On dit qu’il y en aurait 365, soit une pour chaque jour de l’année. Pourtant la population n’a pas l’air plus bigote que cela. Il faut dire : derrière cette piété apparente se cachent de bien plus prosaïques motivations. Les Turcs qui régnèrent longtemps en ces lieux exigeaient des autochtones le versement d’une taxe pour tout terrain, à l’exception de ceux qui possédaientà une église. D’où la pieuse profusion. Certaines sont néanmoins incontournables. Comme le monastère de Chryssopigi, situé non loin du petit port charmant de Faros, qu’il faut voir autant pour le paysage extraordinaire qui l’entoure que pour la sérénité qui s’en dégage. A quelques brasses de l’édifice immaculé, la baignade est possible depuis une plage bordée de tamaris. On pourra également visiter l’église de Panagia Poulatis, blottie au fond d’une crique parsemée d’oliviers. A contempler en empruntant le sentier qui mène au village médiéval de Kastro, l’ancienne capitale. Sifnos ? Une île parmi les plus authentiques des Cyclades et dont on sait, en la quittant, que l’on y reviendra bientôt.

3. Corse Les Agriates, désert pour Robinsons

Les auteurs français Nathalie Rheims et Jean d’Ormesson y possèdent des villas d’été ; Pierre Benoit et plus récemment Marie Ferranti en ont tiré des romansà Bien sûr, on pourrait le résumer à ses amoureux célèbres : mais ce serait oublier qu’à part quelques maisons postées sur la baie de Saint- Florent le désert des Agriates porte bien son nom. Depuis l’anse de Fornali à l’ouest jusqu’à la vallée de l’Ostriconi à l’est, le sentier des douaniers, un ruban de 45 kilomètres épousant les pleins et déliés du littoral, permet de mesurer l’étendue sauvage : un invraisemblable océan de maquis en pente douce hérissé de chaos rocheux, des ruines de bergeries, de maigres ruisseaux alimentant de petits étangs encerclés d’oasis de verdureà C’est surtout les eaux cristallines de cette immensité aride qui nourrissent les fantasmes. Aucune route, juste une piste quasiment impraticable. Il faut donc, au choix, user ses espadrilles ou faire ronronner un hors-bord pour s’offrir une robinsonnade sur l’une des innombrables criques secrètes. La solution de facilité : rejoindre la plage du Lodo par une vedette au départ de Saint-Florent. A l’arrivée, du sable comme de la farine, des flots polynésiens età un peu plus de monde.

4. Grèce

Le bateau, chargé d’une douzaine de passagers, a mis le cap vers une presqu’île endormie dans la brume. Imaginez : une montagne émerge des flots, ébouriffée de pins et de cyprès. A 500 mètres de la côte, on pointe aux jumelles. Le mont Athos, replié dans ses limbes depuis des siècles, reste illisible. Depuis le xe siècle, la  » sainte montagne « , avec ses 20 monastères qui accrochent leurs splendeurs byzantines aux reliefs, ne se visite pas : elle se contemple. Seuls les adultes masculins y ont accès. Le ciel est azur, un banc de dauphins navigue à notre côté, et notre minicroisière déborde déjà sur l’après-midi. C’est l’heure d’un homard arrosé de retsina. Le tavernier d’Ouranoupouli est souriant, les mezze fondent en bouche : confirmons que la Grèce du Nord et balkanique est une terre d’art de vivre. Puis l’on vogue vers Kavala, ancienne cité turque, son port de pêche enroulé autour de la baie. Atmosphère de bout du monde. Sur notre passage, un voile de dentelle blanche se soulève en silence. L’Imaret, retraite intimiste, reçoit pour un dîner raffiné annonçant la nuit étoilée. Le retour vers Thessalonique traverse forêts de feuillus, rangées de vignes, champs de coton et de maïs qui débouchent sur un coin de sable piqué de parasols. La Grèce profonde défile, les siècles aussi. Nous sommes dans la patrie d’Alexandre le Grand. Du sous-sol de cette région, habitée depuis le ive siècle avant Jésus-Christ, des tombeaux inviolés ont surgi. Thessalonique, la capitale, et sa collection d’églises anciennes nous retiennent encore quelques heures à l’écart du mondeà.

5. Algérie Tipasa, la romaine aux eaux claires

De ces vestiges, Albert Camus écrivait :  » J’y suis souvent allé avec ceux que j’aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu’y prenait le visage de l’amour.  » Plusieurs dizaines d’années plus tard, les visages n’ont pas pris une ride et la belle cité de Tipasa continue d’accueillir les âmes éprises, ravies de se perdre au milieu de ce spectacle de ruines, témoignage extraordinaire des civilisations successives qui occupèrent les rivages de la  » Mare nostrum « . S’ouvrant peu à peu au tourisme, les côtes algériennes offrent ces trésors d’autant mieux que les visiteurs s’y font rares. A découvrir au cours d’une escapade depuis Alger puisque ces merveilles, inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco, se situent à seulement 70 kilomètres de la capitale.

6. Monténégro Quand l’Adriatique tutoie les étoiles

Elles sont moins connues que leurs voisines croates, mais n’ont rien à leur envier. Sur plus de 300 kilomètres le long des eaux de l’Adriatique, les côtes monténégrines sont parsemées de villages de pêcheurs, de criques de sable dense, et constellées d’îles microscopiques. Avec pour toile de fond une sublime barrière de montagnes déchirant le ciel à plus de 1 500 mètres d’altitude. On commence le périple par les bouches de Kotor, sorte de fjord à la profondeur insondable, que l’on décrit souvent comme l’un des plus beaux sites de la Méditerranée. On poursuit la route vers le sud en s’arrêtant par curiosité à Budva, autoproclamée  » Riviera des Balkans « , dont les bétonneuses ont malheureusement commencé à entamer la beauté. Un peu plus bas, les nostalgiques de la Yougoslavie pourront faire une escale à Sveti Stefan, sorte de mini-Mont Saint-Michel connu pour avoir été une résidence de Tito. Ensuite, libre au voyageur de partir effleurer les neiges éternelles, à moins qu’il ne préfère plonger au c£ur de criques peu explorées. Car le Monténégro, c’est, malgré sa modeste superficie, tout cela à la fois.

7. Espagne Les beautés sauvages de Minorque

On arrive à Minorque par l’orient. Vue d’avion, la terre y paraît d’ailleurs étrangement inhospitalière. Vastes étendues piquetées d’arbres – on apprend que ce sont des oliviers, et que leur forme couchée tient au vent sauvage qui vient du nord. Sur la nationale 721, qui coupe l’île en deux, ne roulent guère de voitures. Minorque reste la moins fréquentée de l’archipel des Baléares. Plate à l’est, rouge et plantée de grands pins à l’ouest, Minorque est un royaume minéral. Les murets de pierre – il en existerait 40 000 kilomètres – forment un gigantesque damier qui serpente et encercle les villages. Sur les côtes, des criques rocheuses abruptes ourlent l’éclat azuréen des eaux. Toute cette rocaille aurait, dit-on, forgé le parler local. Dans les villages, quand les chaises sortent sur les trottoirs, le dialecte minorquin crisse comme les cuillers au fond des tasses de café. Les anciens enfourchent leur vélo, filent sur les chemins qui chauffent au soleil. Ici, les Baléares semblent avoir oublié leur destin touristique et restent une terre rurale. Derrière chaque maison blanchie à la chaux, la campagne exhale des parfums de fenouil et de tamaris. L’heure avance vers midi. Les tapas mangées sur le pouce, tandis que dans la cuisine la bouillabaisse de langouste mijote, on sirote un verre en attendant la fraîche. Dès la fin de la sieste, on va se baigner. Le saviez-vous ? On trouve ici presque autant de plages qu’à Majorque et Ibiza réunies. La plus proche de la capitale, Mahon, c’est Cala en Porter. Enchâssée dans ses falaises de grès, cette petite baie bien abritée est la station balnéaire la plus ancienne de l’île. Ses flots aussi paisibles que ceux d’un lagon sont très prisés des familles. Plus à l’ouest sur la route, des ruines accrochent le regard : les sables blancs de Son Bou commencent là. Le mieux est de prendre son temps, à pied, pour remonter les 3 kilomètres de côte bordée de genévriers. Pour découvrir les secrets de l’île, il y a aussi le vélo – en pédalant deux bonnes heures, on traverse l’île d’est en ouest. Jusqu’à la Ciudadela, la côte grimpe vers le nord : ne manquez pas les 16 kilomètres de bonheur qui vous attendent le long de la route. Un peu plus loin, d’énigmatiques tumulus de pierre. Ce sont des talayots, mégalithes vieux de 3 000 ans. Riche de 1 600 sites datant de la préhistoire, Minorque est un musée de nos origines en plein ciel. On pose le vélo. Le vent est léger, chargé d’embruns. La présence de Minorque est bien là, aussi palpable que le silence de son lointain passé.

8. Italie Les irréelles îles Egades

A deux heures de Palerme se cache la villégiature favorite des Siciliens. Qui, hormis eux, connaît cet archipel ? Les Egades sont trois îles de poche, baignées de lumière, torturées par un soleil de plomb. Nulle part ailleurs, en Méditerranée, la mer n’a cette teinte irréelle, turquoise intense. Si la vie y est ascétique pour les habitants, le séjour est grandiose en été. On loue une barque de pêcheur et on part en pique-nique. Peu de sable ici, on choisit donc sa crique. Fan de plongée ? A vous la farandole arc-en-ciel qui peuple les fonds marins. Sur le rivage, les £uvres de la nature. On croirait des sculptures modernistes. Le sel et le vent ont taillé les tendres falaises de tuf en forme de totems géants. A Favignana, la plus grande île, Vittorio Gassman possédait une maison. Le lieu n’est pas mondain pour autant. Les piazzas pastel, les plages de sable ou de galets toutes simples, les embarcations remontées le soir sur la cale composent un décor de film des années 1950. Belle époque pour le cinémaà et pour les grandes vacances.

9. Tunisie Tabarka, la côte de corail

La petite station balnéaire fait le plein lors d’un festival de jazz lancé dans les années 1970, très couru aujourd’hui. La scène se vide dès le lendemain. On goûte alors une nature sauvage qui éblouit les visiteurs depuis l’Antiquité. En témoignent les colonnes et chapiteaux romains restés en place, émouvants vestiges. Blottie autour d’un port, avec à l’arrière-plan des montagnes couvertes de forêts de chênes-lièges, et en ligne d’horizon une presqu’île creusée de plages blondes, la ville jouit d’une situation splendide. A deux minutes du centre, un bouquet de rochers orangés (les Aiguilles) s’élance comme des flammes sur le rivage. Les abords de la baie, autrefois réputés pour leur corail rouge – devenu rare – sont des eaux poissonneuses où brillent de belles grottes sous-marines, idéales pour la plongée. En quelques heures de traversée, on atteint les îlots de la Galite, surprenant archipel, repaire de colonies d’oiseaux et de phoques en famille. Si bien que Tabarka a réellement tous les atouts pour séduire.

10. Malte Mdina, le festin de pierres

Plus nu que les alentours, c’est difficile. Forêt, rivière, village : rien. Dernière terre d’Europe avant l’Afrique, Malte ressemble à une météorite, caillou brun gris tombé dans l’eau. Mdina est son soleil. On la voit de loin. Avec ses hauts remparts, sa cathédrale, la ville fortifiée, debout sur une colline, attire les regards. Une splendeur. Ancienne capitale des Arabes, d’Henri le Cruel ou des rois d’Aragon, assaillants successifs de Malte, ses ruelles débordent de palais et d’églises. On y déambule sans se lasser, levant les yeux sur un balcon, admirant une façade où une porte s’orne d’un beau heurtoir, savourant les jeux d’ombre et de lumière sur la pierre ocre, merveilleusement travaillée.

En pratique, page 22.

réalisé par V. Binet G. Catalano N. Chahine F.-R. Gaudry A. Hirou A. d’Orgeval C. Robin

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