Dans l’ombre ou sous les feux de la rampe, ils vivent de la mode, par la mode et pour la mode. Ils sont créateurs, metteurs en scène, professeurs, femme d’affaires et travaillent pour cette industrie que l’on croit essentiellement parisienne, à tort, car ils sont belges. Zoom sur quelques personnalités hors du commun.

LA PIONNIÈRE – DIANE VON FURSTENBERG

En imaginant, au début des années 70, la wrap dress, sa célèbre robe portefeuille en jersey, la créatrice belgo-américaine Diane von Furstenberg a non seulement écrit une page de l’histoire de la mode, mais aussi contribué à inaugurer l’ère de cette  » femme nouvelle  » capable d’en imposer sans perdre en féminité. Ses robes croisées sur le devant se sont vendues à plusieurs millions d’exemplaires. E.D.W.

L’ULTRACHIC – LAETITIA CRAHAY

Après un détour par l’architecture, la Bruxelloise Laetitia Crahay entame des études de mode à La Cambre. Elle s’y lie d’amitié avec Olivier Theyskens, dont elle devient la directrice artistique… deux ans avant d’obtenir son diplôme, en 1999. Après un bref passage à la tête de l’atelier de création de Delvaux, elle décroche dès 2000 un poste de rêve chez Chanel, où Karl Lagerfeld lui confie la responsabilité des bijoux et accessoires. Depuis 2006, elle combine cette fonction avec la direction artistique du chapelier parisien Maison Michel.  » Laetitia a un sens aigu du bon goût, déclarait récemment à son sujet Olivier Theyskens. C’est l’une de ces personnes qui ont le chic pour dénicher le jeans idéal et pour le combiner à la perfection… et qui ont toujours une longueur d’avance sur la dernière mode.  » C.B.

LE METTEUR EN IMAGES – ÉTIENNE RUSSO

Le spectaculaire flashmob de la Grand Central Station de New York pour présenter la collection automne-hiver 11-12 de Moncler ? Etienne Russo. Le dîner aux chandelles pour célébrer, en 2005, le cinquantième show de Dries Van Noten (dont il a d’ailleurs orchestré tous les défilés depuis ses débuts à Paris, en 1991) ? Encore lui ! Le directeur et fondateur de Villa Eugénie, agence événementielle bruxelloise spécialisée dans le secteur de la mode et de la beauté, totalise aujourd’hui plus de 800 défilés pour de grandes maisons comme Lanvin, Miu Miu, Céline, Hermès et Chanel. E.D.W.

L’HYPERCRÉATIF – JEAN-PAUL LESPAGNARD

Suzy Menkes, célébrissime journaliste de mode de l’International Herald Tribune, suit Jean-Paul Lespagnard depuis ses débuts.  » Je pense que la mode belge a atteint le même point critique que son homologue japonaise, commente-t-elle. Au cours des vingt dernières années, toutes deux se sont institutionnalisées, ce qui génère certaines attentes vis-à-vis de leurs vêtements. Je n’ai jamais caché mon enthousiasme pour les stylistes anversois, et ils se sont peu à peu profilés comme des labels influents – en particulier des gens comme Dries Van Noten et Ann Demeulemeester.

Cette sorte de renommée collective s’accompagne toutefois d’un cadre beaucoup plus strict. Nous avons aujourd’hui une idée préconçue de ce qu’est la mode belge : une coupe assez libre, des teintes délavées, un côté Bruegel. Je pense que Walter Van Beirendonck a souffert de cette idée que tous les stylistes d’un pays ont forcément quelque chose en commun, alors qu’à mon sens, ils partagent sans doute certaines caractéristiques typiques et une même origine, mais sans qu’il soit pour autant possible de les mettre dans le même sac.

Si je suis intriguée par les créations de Jean-Paul Lespagnard, c’est justement à cause de leur originalité. L’une de ses collections s’inspire du domaine californien de Hearst Castle et des vitraux d’églises, une autre évoque les Highlands… Il n’y a là rien de belge. Les dimensions et la puissance de ses formes sont également très intéressantes, particulièrement pour quelqu’un qui n’a finalement pas fait d’études de mode au sens strict. Je suis curieuse de voir ce qu’il nous réserve d’autre.

L’aide discrète d’Anne Chapelle (lire aussi en page 42) sera certainement un facteur important dans son évolution. Il suffit de voir ce qu’elle fait pour Haider Ackermann. Tant de personnalités du monde de la mode ont récemment été récompensées par l’un ou l’autre prix… J’espère vraiment qu’elle recevra un jour l’équivalent belge de la Légion d’Honneur pour le soutien qu’elle a apporté à la créativité !  » E.D.W.

L’HOMME INVISIBLE – MARTIN MARGIELA

Rares sont ceux qui connaissent le visage du styliste limbourgeois, qui tient à mettre l’accent non sur sa personne mais sur ses collections et son imaginaire – un univers où tout est blanc, même si les vêtements ne le sont pas forcément. Margiela se plaît à laisser transparaître la structure interne des pièces au travers du dessin bien visible d’un patron ou d’un ourlet inachevé qui s’effiloche. Il substitue à l’étiquette traditionnelle quatre points de couture blancs apparents sur l’extérieur du vêtement. Il numérote ses collections de 0 à 23… mais dans un ordre aléatoire. Et dans son esprit, la fameuse chaussette japonaise en pied-de-bouc ( » tabi « ) se mue en une chaussure désormais légendaire… C.B.

LES PROFS – WALTER VAN BEIRENDONCK

Styliste, enseignant et directeur de l’académie de mode d’Anvers, Walter Van Beirendonck a donné un coup de pouce à la carrière de plusieurs jeunes créateurs.

BERNHARD WILLHELM. Ses créations sont souvent comparées à celles de son ancien professeur et maître de stage, et lorsque l’Allemand a lancé son propre label, à la fin des années 90, ses collections étaient notamment disponibles chez W.A.L.T.E.R.

RAF SIMONS. Lui aussi a effectué des stages chez Walter Van Beirendonck au cours de sa formation en design industriel, allant jusqu’à imaginer des objets pour son show parisien. C’est également WVB qui l’emmène voir son premier défilé (pour Martin Margiela), suite à quoi il s’orientera définitivement vers la mode (lire aussi son interview en pages 34 à 37).

INGE GROGNARD ET RONALD STOOPS.

La maquilleuse et le photographe de mode ont également collaboré à plusieurs reprises avec Walter Van Beirendonck au fil des années. Le duo lui consacre même un chapitre distinct dans un ouvrage publié en 2010. W.D.

LES PROFS – FRANC’ PAIRON

Fondatrice en 1986 du département mode de l’École Nationale Supérieure des Arts Visuels (ENSAV), plus communément appelée La Cambre, à Bruxelles. Avec une devise :  » le medium, c’est la mode, la pierre angulaire, la création.  » Créée de toutes pièces, cette section a formé des créateurs que l’on retrouve un peu partout à Paris, dans les grandes maisons – chez Balenciaga, Jean Paul Gaultier, Maison Martin Margiela, Chanel et Dior -, ou qui se sont lancés sous leur nom – Natalia Brilli, Cédric Charlier, Xavier Delcour, Sandrina Fasoli, les Own, Léa Peckre, Cathy Pill, Kim Stumpf, Olivier Theyskens, Anthony Vaccarello… Franc’ Pairon restera directrice de la section jusqu’en 1999 et passera le flambeau à Tony Delcampe (lire aussi ci-dessous). Elle mettra alors sur pied un master en création de mode et d’accessoires à l’Institut français de la mode à Paris qu’elle dirigera jusqu’à la fin de l’année scolaire 11-12. A.-F.M.

LES PROFS – TONY DELCAMPE

Avec Tony Delcampe, La Cambre mode(s) grandit, même si cette section désormais incontournable reste une petite structure où l’exigence est plus que jamais de mise. On entre à La Cambre comme en religion. C’est que l’on n’y apprend pas à faire banalement de la  » mode fantasmée  » mais on y use et abuse de la technique comme  » le tremplin du créatif « . Le défilé de fin de cursus, en juin, est définitivement le rendez-vous mode de l’année, l’extraordinaire y est la norme.A.-F.M.

LES ENTREPRENEURS – ANNE CHAPELLE

Anne Chapelle, c’est la femme d’affaires derrière les collections Ann Demeulemeester et Haider Ackermann (entre autres), qu’elle soutient au travers de son entreprise de mode bvba 32.  » Faire d’un talent créatif un vrai business, c’est ma passion depuis toujours, s’enthousiasme-t-elle. Mais je suis aussi convaincue qu’il ne faut pas s’engager dans ce secteur si on ne pense qu’à son chiffre d’affaires. Développer une boîte de mode est un exercice qui demande énormément de patience et de confiance. Tant qu’il y a cette synergie entre un créateur et moi, je peux beaucoup lui apporter… mais si elle disparaît pour une raison ou une autre, cela ne fait plus sens.  » E.L.

LES ENTREPRENEURS – MARC GYSEMANS

L’actuel patron de Gysemans Clothing Industry à Rotselaar était chef de production dans une entreprise de chemises lorsqu’il a décidé, à l’âge de 27 ans, de se spécialiser dans la confection à petite échelle de créations d’avant-garde particulièrement difficiles à produire. En 1986, il ouvre son premier atelier où il fabrique les collections de stylistes de sa génération, comme Ann Demeulemeester ou Dries Van Noten, avant de se profiler de plus en plus comme un partenaire commercial pour des créateurs tels que Raf Simons, Veronique Branquinho ou Tim Van Steenbergen. Depuis un an, son entreprise se charge à la fois de la confection et de la commercialisation du label de Jean-Paul Knott, tout en continuant en parallèle la production de marques plus commerciales telles que Rue Blanche. Ses deux sites, l’un à Rotselaar (développement et distribution) et l’autre en Roumanie (production), totalisent une centaine de travailleurs. W.D.

L’ARTISTE – DRIES VAN NOTEN

Il est le maître des imprimés, des motifs aux inspirations ethniques ou artistiques. Dries Van Noten se raconte en cinq points.

1. LA COUTURE

 » Tailleur (surtout pour hommes), c’est un métier qui m’a toujours fasciné. Mes propres collections ont d’ailleurs toujours eu un côté tailleur anglais : même dans la toute première, je retrouve déjà cette influence, le jeu des formes, les volumes. L’équivalent féminin est également très présent dans mes dernières collections, avec une foule de références aux couturiers des années 50 et 60.  »

2. LES FLEURS

 » La tradition des motifs floraux remonte presque aussi loin que celle qui consiste à décorer nos vêtements, c’est surtout cette histoire qui me passionne. La nature en tant que telle ne m’inspire pas directement : mon jardin, c’est plutôt une bouffée d’oxygène qui me permet d’échapper au rythme frénétique de mon travail. Si je n’avais pas l’occasion de plonger de temps en temps les mains dans la terre, je crois que je finirais par perdre la tête… mais bon, ce serait sans doute aussi le cas si je n’avais rien d’autre que mon jardin.  »

3. L’ART

 » Dans la mesure où les vêtements cherchent aussi à susciter un certain émoi, le lien avec l’art est un peu inévitable. La question de savoir à quoi ressemblerait l’oeuvre conjointe d’un Rothko et d’un Vasarely nous a, par exemple, inspiré toute une collection… et en 2009, j’en ai consacré une autre à Francis Bacon, après être sorti complètement bouleversé d’une exposition dédiée à son travail. Ce sont ces émotions que j’ai essayé de traduire dans mes propres créations.  »

4. LES LIVRES

 » Je ne voyage pas beaucoup, je préfère puiser l’inspiration dans mes lectures. Je pense aussi qu’il est préférable d’assimiler quelques impressions d’une culture étrangère que de s’y trouver complètement plongé, car on risque alors de ne plus parvenir à prendre assez de distance pour créer des vêtements qui conviennent à notre époque.  »

5. L’INDE

 » Comme une partie de notre collection est fabriquée de façon artisanale en Inde, on a facilement tendance à l’associer à cette culture… mais personnellement, je n’aime pas trop les étiquettes et je ne veux pas me limiter à un seul pays. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’Inde en tant que telle qui me fascine que la richesse et les traditions des cultures ethniques en général – y compris celles de pays comme la Chine, le Japon ou la Corée, comme dans ma dernière collection. Pour nos tissus, nous collaborons régulièrement avec le musée ethnographique d’Anvers et le V&A de Londres.  » E.D.W.

PAR CHRIS BLEYS, WIM DENOLF, ELLEN DE WOLF, ELKE LAHOUSSE ET ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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