L’architecte bruxellois Pierre Blondel, aujourd’hui publié chez Fourre-Tout, délaisse de temps à autre le portemine pour prendre la plume. Les bâtiments qu’il dessine deviennent alors le décor des nouvelles qu’il écrit. Sa façon à lui de faire vivre ses ouvres, avant qu’elles sortent de terre.

Cette petite brique de papier, sortie ce printemps aux éditions Fourre-Tout (*), on s’en méfie tout d’abord. La peur de tomber sur un essai de théorie de l’architecture, hermétique sans doute. Et puis, on se laisse séduire par le concept de Pierre Blondel et on se plonge dans le recueil de nouvelles de cet architecte bruxellois spécialiste du logement social – mais pas que – qui, un jour, décida d’écrire des textes de fiction inspirés de ses projets en gestation. Au fil des pages, on découvre un style poétique, pertinent, des descriptions de bâtiments certes, mais aussi de vraies histoires, avec des personnages attachants et une indéniable sensibilité dans la manière de conter…

Comment vous êtes-vous lancé dans l’écriture ?

Lors du concours pour le musée de la littérature à Bruxelles, en 2006, en parallèle des plans et coupes, j’ai imaginé des nouvelles qui racontaient le fonctionnement du lieu à travers la vie de ses utilisateurs : un chercheur qui, tous les jours, ralliait le troisième étage, ou encore un auteur qui venait faire une lecture et rejoignait le musée au départ de la gare Centrale. Je me suis rendu compte que ces textes permettaient d’ajouter à la description des détails tels que les odeurs. C’était aussi une façon de prendre de l’avance sur le temps car nos dossiers se concrétisent lentement. J’écris souvent juste après l’esquisse, il y a un côté magique à imaginer ce qui se passe dans cet espace dessiné mais pas encore construit, ou qui ne le sera peut-être jamais, comme ce musée.

Rédigez-vous une fiction pour chaque projet ?

Impossible ! Après cette tentative pour le concours, j’ai réédité l’expérience pour une petite maison individuelle, puis pour un complexe plus important à la rue Belliard à Bruxelles ( NDLR : les logements du Leopold Village et l’hôtel Aloft terminés en 2010)… Les récits se sont progressivement multipliés. Mais cela prend un temps gigantesque car le travail de mise en forme et de relecture est énorme. La littérature, c’est comme l’architecture : il faut aller jusque dans les détails sinon ça ne marche pas. Au début, on se met devant une feuille, on est angoissé car rien ne vient. Finalement, on a une idée… mais on n’en est qu’au millionième du début de la chose.

À côté de ces nouvelles, vous préparez un roman…

Il s’appuie sur deux projets – une mosquée à Liège et une salle de boxe à Ixelles – et parle de religion et de sport. J’en suis à la onzième relecture mais je suis persuadé que je finirai par m’arrêter, quand ce sera bon. Le publier ? Je ne sais pas !

Est-ce que vos textes nourrissent vos projets par la suite ?

Les bâtiments qui font l’objet d’une nouvelle sont ceux avec lesquels j’ai un compte à régler. Par exemple, des logements sociaux pour lesquels l’obtention du permis a été infernale ou cette mosquée, à Liège ; je ne suis pas croyant et il fallait que je me repositionne sur cette question. L’écrit m’aide alors à avancer… Sinon, l’interaction réelle entre texte et projet est plutôt de l’ordre de l’anecdote. Dans le cas de la construction rue Belliard, je narre une rencontre entre une terroriste écologiste et un SDF qui a trouvé refuge dans la cabine d’ascenseur en haut de l’immeuble. Je voulais que ce sans-abri, que j’aimais bien, ait une belle vue. Dans mes plans, j’ai donc ajouté une porte donnant sur le toit-terrasse pour mon personnage… et accessoirement pour entretenir la plate-forme.

Vous dites qu' » écrire avec de l’architecture, c’est l’occasion de s’alléger « …

Notre mission est devenue épouvantablement compliquée, avec des normes plus alambiquées, un aspect juridique prépondérant. Cette lourdeur au quotidien s’ajoute au poids du métier lui-même, qui n’est pas léger puisqu’on produit des bâtiments destinés à durer. Nous avons une grosse responsabilité envers les habitants ou les utilisateurs. Face à cela, l’écriture est infiniment plus souple. Elle n’implique que vous. Si le lecteur n’apprécie pas un bouquin, il lui suffit de ne pas le lire. Je ne pense pas que les gens qui entrent dans les logements sociaux que je conçois ont cette liberté de choisir.

Écrire, c’est aussi  » désacraliser le geste « , selon vous…

En général, mes personnages n’aiment pas spécialement mes bâtiments ou y sont indifférents. Ils ne les comprennent pas et trouvent mon mode de pensée trop compliqué. C’est une forme d’autocritique.

Est-ce que vous pourriez choisir entre architecture et littérature ?

Non ! Je ne pense pas qu’on ait des choix à faire dans la vie. Les choses se font naturellement dans un sens ou dans un autre. Je n’ai jamais voulu être écrivain. Mais maintenant que le pli est pris, je pourrais difficilement m’arrêter. C’est un tel changement de rythme dans ma vie professionnelle que cela en devient addictif.

(*) L.M.S. et autres nouvelles, par Pierre Blondel, Éditions Fourre-Tout, 240 pages.

PAR FANNY BOUVRY

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