Des robes et des femmes

Sensuelles, intimes, elles signent la personnalité et le style de celles qui les portent. Cet été, les robes retrouvent une place de choix chez les créateurs… pour le plus grand bonheur des femmes.

(1) Ed. de la Martinière.

Lorsque Dior et Schiaparelli parlaient de leurs robes, lorsque Elisabeth de Gramont publiait, en 1952,  » La Femme et la robe « , magnifique traité d’histoire et d’élégance, le discours faisait référence chaque fois à l’essentiel de la mode. Comme si cet élément unique de la… garde-robe féminine suffisait à cristalliser le désir des femmes et l’inspiration des couturiers. Quel paradoxe, pour une pièce d’habillement qui mit des siècles à trouver son genre, et encore, du seul point de vue de l’Occident ! En Asie, en Inde, en Afrique, la robe continue d’habiller indifféremment hommes et femmes. Certains créateurs européens ont d’ailleurs tenté de retourner aux sources ou vers d’autres terres, et de faire porter aux mâles leur vêtement originel. On pense, bien sûr, aux contemporains les plus téméraires, Jean Paul Gaultier ou Alexander McQueen ; mais, avant eux, Rudi Gernreich, Jacques Esterel et Poiret, surtout, s’y étaient essayés. Poiret, qui délivra les femmes du corset et leur offrit leurs premières jupes-culottes. A défaut d’être l’avenir de l’homme occidental, la robe reste le symbole de son métier ou de sa vocation : la prêtrise aussi bien que la magistrature continuent de s’en habiller comme d’un manteau protecteur. Les autres hommes, en revanche, ont dû l’abandonner progressivement au beau sexe. Au xve siècle, nous rappelle Anne Zazzo, conservatrice du patrimoine au musée Galliera, à Paris, la robe est encore un vêtement de dessus qui se porte long pour les femmes, court ou long pour les hommes. Elle commence toutefois à se différencier peu à peu et, au xviie siècle, tout est dit : les hommes adoptent les hauts-de-chausses et la culotte. Mais la robe, fût-elle  » de dame « , est encore loin de sa conception moderne.  » Ensemble de pièces taillées dans la même étoffe  » au Moyen Age, elle reste longtemps composée d’une jupe et d’un corsage. La robe, la nôtre, ne fera son unité qu’au xxe siècle.

Depuis, c’est une autre histoire que raconte ce vêtement et ses triomphes comme ses éclipses éclairent autant l’évolution des m£urs que les caprices de la mode.  » Storia  » collective, elle est aussi destin singulier et marque toutes les circonstances importantes d’une vie : fêtes, mariages, coups de foudre ou rendez-vous avec soi-même. Dans  » Les Robes de ma vie  » (1), Ilene Beckerman noue merveilleusement ces deux courants, l’intime et le social. Avec des croquis seulement accompagnés d’une date et d’une légende, elle écrit une biographie très personnelle qui raconte l’histoire du costume et des femmes des années 1940 aux années 1990. L’une de ses premières robes,  » en taffetas écossais à petits n£uds noirs sur les épaules « , cousue par sa mère, est, pour la fillette, un brevet de féminité :  » J’adorais le délicieux froufrou qu’elle faisait quand je marchais.  » Le puritanisme persistant des années 1950 vaut à la jeune fille de se déconsidérer  » en robe trop moulante de velours et satin noir « . Et, si la jeune femme se marie en robe, c’est avec un  » tailleur-pantalon en laine beige  » qu’elle cherche son premier job en 1973 :  » Je pensais qu’il conviendrait parfaitement à des entretiens d’embauche.  » Même les premières icônes sont là, qui donnent envie de les suivre, souvent contre l’évidence morphologique : Ilene se rappelle avec humour son allure catastrophique dans  » une petite robe Empire  » achetée sous la double influence d’Audrey Hepburn et de Jackie Kennedy. Dans ce voyage avec Ilene Beckerman, on voit filer l’hégémonie de la haute couture et du fait main, triompher le prêt-à-porter et s’envoler la souveraineté de la robe sous la poussée des pièces séparées. On voit les femmes chercher leur liberté en tailleur, s’affirmer en costume pantalon, et pourtant la robe ne disparaît jamais tout à fait : quelle que soit l’époque, c’est elle qu’elles choisissent pour se marier. Anne Zazzo a travaillé avec la sociologue Cécile Bouchet pour l’exposition  » Mariage  » du musée Galliera, en 1998. Toutes deux ont été frappées par l’importance de cette robe et les mots des jeunes femmes qui choisissent leur toilette en disant :  » Cette robe, c’est moi.  » C’est la robe qui incarne le corps neuf.  » On la tache, on la froisse, on l’abandonne… comme un hymen.  » Mais, aujourd’hui, les époux ont déjà vécu ensemble et le rituel a perdu son sens.

Diane von Furstenberg, créatrice de la célèbre robe-portefeuille û la  » wrap  » û évoque ce lien fusionnel, presque magique, qui attache la femme à sa robe.  » Beaucoup de mes clientes m’ont affirmé que leur vie avait changé lorsqu’elles avaient porté une ôwrap « . Sans doute parce qu’elles se sentaient vraiment elles-mêmes et retrouvaient une confiance perdue.  » D’ailleurs, que trouve-t-on à la page  » après-divorce « , donc nouveau départ, d’Ilene Beckerman ?  » Une robe- portefeuille imprimée de Diane von Furstenberg… facile à mettre et confortable.  » Et pourtant, on est en 1976, en pleine vague  » masculin-féminin « . Seulement, pour Diane, qui vient d’arriver aux Etats-Unis, la féminité ne se dissocie pas de la liberté :  » Je voulais une vie d’homme dans un corps de femme et cette robe symbolisait celle que j’espérais devenir.  » Elle obtient un tel succès û 25 000 ventes par semaine ! û que  » Newsweek  » lui consacre sa couverture. Et, vingt-cinq ans plus tard, la créatrice réussit un second coup de maître : ses  » wraps  » sont en train de conquérir une nouvelle génération, à New York comme à Paris, où elle vient d’ouvrir une boutique à son nom.  » J’avais arrêté, mais je me suis rendu compte que les très jeunes femmes achetaient mes vieilles robes dans des ventes ou chez les fripiers. Avec les mêmes arguments que leur mère : séduction et confort, commodité et élégance.  »

Son retour coïncide très précisément avec l’émergence d’un nouveau courant de mode, qu’analyse la créatrice italienne Alberta Ferretti :  » Après une période où le ô streetwear  » a imposé sa loi, ce n’est pas seulement la robe qui revient, mais l’élégance et la sophistication. Pour nous, stylistes, la robe est l’élément clé du processus créatif ; pour les femmes, la signature d’un style personnel, la seule manière d’être à la fois élégante et sensuelle.  » Cette grande admiratrice de Madeleine Vionnet célèbre  » la force intacte de la robe : elle est unique ; elle va plus loin que la mode elle-même « . Aussi loin que l’imaginaire et la mémoire des femmes.  » Je ne me souviens ni de mon cavalier ni du bal, dit Ilene Beckerman. Seulement de ma robe.  »

Martine Marcowith

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