Design forever

Chaque mois, plus de 300 000 passionnés visitent le site Internet  » Design Addict « . Une encyclopédie vivante, créée et alimentée par deux Belges, Alix et Patrick Everaert. En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, ces collectionneurs éclairés ouvrent les portes de leur maison des environs de Charleroi où cohabitent, comme sur leur site, les plus grands designers du moment.

Tout a commencé dans un flat d’étudiant. Tendance chineur, version fauchée. A 18 ans, on a rarement les moyens de s’offrir du mobilier de créateurs. A moins de le débusquer dans les brocantes de quartier.  » Etant fils d’architecte, j’ai toujours vécu dans un environnement privilégié, se souvient Patrick Everaert, confortablement installé sur une Chair One de Konstantin Grcic (Magis). Je ne pouvais pas imaginer être entouré de meubles inesthétiques. J’étudiais la peinture à Saint-Luc, comme Alix. Et ensemble, nous faisions les puces à Bruxelles. Nous étions passionnés par les objets en plastique des années 1960. On nous les jetait presque à la figure. Personne n’imaginait il y a vingt-cinq ans que cela pourrait un jour avoir de la valeur.  »

L’Internet en est alors à ses premiers balbutiements. En quête d’informations sur les créateurs et les éditeurs de leurs trouvailles, les deux jeunes complices découvrent que la Toile est encore peu prolixe sur ce sujet.  » Nous avons eu envie de construire un site nous-mêmes, c’est comme cela que « Design Addict » est né, ajoute Alix Everaert. Nous avons photographié quelques centaines d’objets, rédigé des notices, des bios, ajouté des liens vers des musées, des boutiques, des références de livres aussi. Nous n’avions alors aucun projet commercial en tête, c’était juste un site de passionnés qui a rencontré un succès qui nous a très vite dépassés.  »

A l’image de leur collection qui compte aujourd’hui près de 1 500 pièces, la fréquentation du site intégralement rédigé en anglais est vite montée en flèche, pour atteindre en moyenne 300 000 visiteurs chaque mois.  » Près de 45 % d’entre eux sont américains. La plupart ignorent totalement que nous sommes belges. Et que nous ne sommes que deux !  » sourit Patrick Everaert. Outre-Atlantique, le prestigieux magazine  » Forbes  » recommande le site dans ses  » Best of The Web  » et le place même en deuxième position dans la catégorie  » 20thCdesign  » ( NDLR : design du xxe siècle). En juin dernier,  » Newsweek  » le qualifiait même de  » site consacré au design sans doute le mieux designé « .

 » De simples amateurs, nous sommes devenus pro en 2001, rappelle Alix Everaert. Nous recevons aujourd’hui des centaines d’e-mails chaque jour. Les firmes et les créateurs nous contactent directement. Nous ne devons plus chercher l’information, mais plutôt la trier pour maintenir l’esprit du site. Chaque bio, chaque petite annonce, chaque lien qu’on nous suggère doit être validé avant de figurer sur  » Design Addict « . De jeunes designers aussi nous envoient des dossiers. Ils sont conscients qu’Internet est le moyen rêvé de se faire connaître au monde entier. Nous leur offrons une visibilité gratuite, à condition qu’ils soient déjà édités.  »

Un site d’échange des savoirs

Si le duo vit désormais des revenus commerciaux générés par le site (publicité, commission sur la vente de certains objets), il a refusé de céder aux avances d’un marketing invasif.  » En 2000, en pleine bulle Internet, nous avons reçu une proposition de rachat qui aurait pu nous rapporter gros mais qui dénaturait totalement la philosophie de  » Design Addict « , rappelle Patrick Everaert. Nous avons décliné l’offre. Notre but, c’est de maintenir le cap que nous nous sommes fixé il y a huit ans. Il faut que le site reste un outil de rencontre et de partage de connaissances. Dans le forum, les échanges volent souvent très haut. Un designer comme Koen De Winter, par exemple, qui vit aujourd’hui au Canada, est toujours prêt à répondre aux questions des jeunes créateurs, à faire part de son expérience.  »

Quand on leur demande d’expliquer les raisons de leur succès, Alix et Patrick Everaert notent d’abord une vision radicalement différente que porte le grand public sur le monde du design lui-même. Un phénomène qui doit, selon eux, beaucoup aux médias et au développement de l’Internet.  » Prenez un magazine de déco d’intérieur d’il y a quinze ans et celui d’aujourd’hui : c’est le jour et la nuit ! Alors que précédemment il n’y avait que des meubles en pin et des bibelots, désormais, il y a du design à toutes les pages. On a aussi assisté à l’émergence de designers stars. En premier lieu, Philippe Starck qui a fait connaître le design au plus grand nombre. Soudain, les gens se sont aperçus qu’il y avait des créateurs derrière les objets.  »

Si l’intérêt est bien réel, il reste, aux yeux de nos deux experts, plutôt maladroit, voire franchement frileux à l’égard de la jeune création contemporaine.  » Beaucoup d’acheteurs sont en quête d’un design flagrant, regrette Patrick Evereart. Ils s’accrochent tous à quelques valeurs sûres, une chaise Barcelona de Mies van der Rohe, une Lounge Chair des Eames, des modèles qui sont synonymes d’un certain statut social .  » Quand ils ne se satisfont pas de vulgaires copies.  » Vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui nous demandent où trouver un faux à bon compte « , renchérit Alix Everaert. Un nivellement par le bas qui les attriste tous deux mais qui surtout les inquiète.  » Tout le monde reçoit la même information, au même moment, partout dans le monde, constate Patrick Everaert. On assiste à une uniformisation des intérieurs. La faute en revient aussi aux boutiques qui privilégient les produits neutres qui vont se vendre. A tous ceux qui envisagent d’investir dans une réédition, je conseille plutôt d’acheter du design contemporain : ce sont les classiques de demain !  »

Chaque objet a son histoire

Loin des discours d’intention, la maison dans laquelle le couple s’est installé il y a quatre ans et dont ils ont accepté d’ouvrir les portes pour Weekend Le Vif/L’Express en exclusivité, est la preuve tangible de leur engagement vis-à-vis de la jeune création. Ici, tout ce que croise le regard mérite l’attention. De la grande table en bois rouge vif signée Joep Van Lieshout (Moooi) et directement inspirée des créations austères des charpentiers Shakers ( NDLR : une secte religieuse toujours implantée aux Etats-Unis) aux sacs en lin remplis de billes de polystyrène de Florence Doleac, ironiquement baptisés Patapouf, chaque objet a sa petite histoire.  » Prenez cette chaise en main, insiste Patrick Everaert en soulevant ce qui, de loin, ressemble à une… copie carbone de la DSR Chair des Eames qui se trouve d’ailleurs juste à côté d’elle. C’est en crayonnant la version originale sur un carnet que Bertjan Pot a eu l’idée de créer cette chaise ultralégère en fibre de carbone.  » Faute d’approvisionnement aisé dans ce matériau hautement stratégique pour l’aéronautique, cette Carbon Chair (Moooi), ne fera l’objet que d’une série extrêmement limitée…

Construite en 1964 par Louis Everaert, le père de Patrick, l’élégante villa à toit plat ouvre ses larges baies vitrées sur une pelouse verdoyante et une terrasse couverte sur laquelle il fait bon vivre à la belle saison. Récente acquisition, le mobilier de jardin en plastique recyclé de la Néerlandaise Ineke Hans invite au farniente.  » J’ai passé toute mon enfance dans cette maison, se souvient le collectionneur. Lorsque mes parents, désireux de s’installer dans une habitation plus petite nous ont proposé de la racheter, nous n’avons pas hésité longtemps. Certes, il fallait quitter Bruxelles où nous vivions depuis vingt ans. Mais je n’aurais pas supporté que l’on modifie et dénature cette maison. Trop peu de gens se rendent compte aujourd’hui de la qualité de l’architecture des années 1960.  »

Un intérieur en constante mutation

Le bois, matériau tendance s’il en est, est présent partout, de l’intérieur des chambres au bardage extérieur. A hauteur des plafonds, les petites fenêtres horizontales allègent la structure tandis que le prolongement des murs à l’extérieur crée autant de pièces de verdure dans le jardin. La lumière aussi inonde les beaux volumes spacieux qui s’échelonnent sur trois niveaux : travail au rez, chambres à l’étage, et au milieu, un large espace de vie semi-ouvert qui se découpe comme un grand loft. Le long du mur de briques peintes qui cache le coin salle à manger, une bibliothèque de Giulio Polvara (Kartell) accueille côte à côte de la vaisselle du finlandais Arabia et des pots en grès d’Antonio Lampecco pour l’abbaye de Maredsous. On y trouve même une édition originale du célèbre Covered Cooking Pot de Timo Sarpaneva (Rosenlew & Co).

En face, une Random Light de Bertjan Pot (Moooi) surplombe le canapé Bottoni de Marcel Wanders (Moooi) et un étonnant fauteuil de Sergio Mazza (Artemide),  » un quasi-prototype, introuvable aujourd’hui « , s’enthousiasme Patrick Everaert. Sur le sol, près de la cheminée de galets dessinée par Louis Everaert, les pierres lumineuses en résine d’André Cazenave,  » tellement copiées, que s’en est un scandale « , s’insurge-t-il alors. Du haut d’une table basse, un cochon tirelire de l’Américain Harry Allen nargue un Puppy blanc de Eero Aarnio (Magis Me Too). Deux objets ludiques de moins de deux ans d’âge qui témoignent eux aussi de la mise à jour permanente de la collection dont la plus grosse partie reste stockée dans un entrepôt de 80 m2. Au gré des nouvelles acquisitions ou des envies de ses occupants, la maison change régulièrement d’allure.  » Rien ici n’est immuable, nous donnons toujours la priorité à nos dernières trouvailles, enchaîne Patrick Everaet en nous faisant visiter l’étage. Nos deux enfants par exemple peuvent choisir eux-mêmes les meubles de leurs chambres, pour l’instant, ils préfèrent le design en plastique des années 1960.  » Comme les célèbres Componibili d’Anna Castelli Ferrieri pour Kartell ou ces amusantes colonnes de rangements conçues pour les boutiques Rodier.

A la recherche d’un lieu d’exposition

Si la majorité de la collection dort donc dans des cartons –  » nous essayons de ne pas accumuler de mobilier dans la maison « , insiste Patrick Everaert -, les deux chineurs, qui ne désespèrent pas de trouver un jour un lieu d’exposition, poursuivent inlassablement leur quête de l’objet rare. Dans les brocantes, comme à leurs débuts, ou chez les designers eux-mêmes. Dans le bureau de  » Design Addict  » voisinent ainsi des coupelles anonymes utilisés autrefois pour les préparations magistrales dans les pharmacies, des lampes Tom Dixon et des vases dessinés… pour Ikea par Hella Jongerius. Et puis, du design belge, aussi.  » Il n’y a pas en Belgique un style reconnaissable en soi, développe Patrick Everaert. Mais un potentiel de talents extraordinaires.  » De la main, il désigne alors le prototype de l’Instant Chair (Feld) du jeune créateur bruxellois Alain Berteau.  » Sans doute l’un des designers belges les plus talentueux du moment, nous confie-t-il. Il est capable de faire des choses différentes, fonctionnelles, esthétiques, dans l’air du temps et en même temps pas superficielles.  » La définition même du design intelligent, finalement…

Internet : www.designaddict.com

Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content