En mettant plus que jamais en avant leur cellule de recherche et développement, des marques comme Peugeot, Lacoste ou Electrolux veulent démontrer qu’elles sont à la pointe de l’innovation et de la tendance. A mi-chemin entre le rêve, la réalité et la communication…

Si l’on vous dit laboratoire, à quoi pensez-vous ? A un bec Bunsen ? A une éprouvette graduée ? A votre dernière analyse sanguine ? A moins que ce ne soit une paire de ski profilée en carbone ou un jet privé dernier cri imaginé avec des matériaux de la NASA. C’est plutôt à cette dernière catégorie que les marques friandes de Design Labs font référence. Une abréviation pop qui fleurit un peu partout, tant chez les graphistes que dans les écoles d’art, aussi bien dans le monde du prêt-à-porter que dans l’électroménager ou chez les constructeurs automobiles.

Dans la pratique, ces laboratoires sont comparables aux traditionnelles cellules de recherche et développement. Sauf qu’au lieu d’être confidentiels, ils s’affichent ouvertement sur la toile, communiquent abondamment, attirent l’attention du grand public comme des professionnels, et s’érigent en nouvelle plate-forme de marketing célébrant l’excellence du label. L’autre petit plus ? Prouver qu’ils sont connectés au réel en passant dès que possible du produit rêvé, sous forme d’images virtuelles ou de prototype, au produit fini, destiné à la vente, souvent en série limitée.

Tel est le cas de figure du Peugeot Design Lab inauguré en 2012 par le constructeur français. Dirigé par Cathal Loughnane, Irlandais de 35 ans, ce département à part entière, intégré au sein de l’Automotive Design Network, le gigantesque centre de stylisme érigé en 2004 par le groupe PSA Peugeot Citroën à Velizy, près de Paris, rassemble une vingtaine de créatifs et d’ingénieurs qui, selon l’expression consacrée,  » explorent de nouveaux horizons « . Pour ce team nouvellement formé, il ne semble y avoir aucune limite à l’imagination si l’on en juge par les images d’ordinateur de son yacht à l’architecture fuselée ou de son révolutionnaire avion d’affaires HX-1 muni d’un gouvernail à double aile. Ces somptueux joujoux ne resteront pourtant qu’à l’état de vues 3D. De l’avis même de la firme au lion rugissant, ces pures fictions ont été élaborées pour le lancement du Design Lab afin d’illustrer sa maestria en matière de mobilité. Mais heureusement pour la marque, l’équipe ne s’appuie pas uniquement sur des concepts virtuels – qui ne captivent plus guère le public, abreuvé d’images de synthèse. Avec le concours de Pleyel, il a ainsi réalisé un étonnant piano en fibre de carbone vendu sur commande pour 200 000 euros. Le prix de l’excellence. Dans un autre registre, trois vélos avant-gardistes verront prochainement le jour mais seulement en très petites séries.

A mi-chemin entre le rêve et la réalité, le Design Lab est aussi une affaire de communication. L’idée même de constituer une structure qui mettrait l’accent sur le futur et la nouveauté a été esquissée chez Peugeot en 2010, l’année de relance de la marque et de la création du nouveau logo. Mais cette vitrine novatrice n’est pas destinée qu’aux seuls concessionnaires, concept stores ou particuliers. Le Peugeot Design Lab attire également, pour ne pas dire principalement, des très gros clients du secteur aéronautique, nautique ou sportif dont les noms restent top secret.  » Nous aidons ces acteurs majeurs du monde du luxe et de la haute technologie à définir leur identité de marque à travers notre savoir-faire, explique Cathal Loughnane. Nous fonctionnons comme un studio de global brand design. Dans ce cas, on ne vend pas le design Peugeot. Ce que nous proposons, c’est notre expertise. Si les industriels les plus renommés viennent nous trouver, c’est parce qu’aucune agence au monde ne peut déployer les moyens que nous avons. C’est la force du secteur automobile. Le Design Lab c’est un groupe de vingt personnes mais ici, à l’Automotive Design Network de Velizy, nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues, entre autres ceux qui conçoivent les concept-cars. Si on sèche sur une question technique, on est certain de trouver parmi les 900 collaborateurs du centre quelqu’un qui aura la solution.  »

Si Peugeot est le premier constructeur automobile, en France, à se doter d’une telle entité, c’est du côté de l’Allemagne qu’il a puisé son inspiration. Sous le nom de Porsche Design, BMW Designworks USA ou Mercedes-Benz Style, les trois marques germaniques ont monté, bien avant les autres, leur propre agence de global brand design. Mais cette démarche n’est pas que l’apanage des industriels de la mobilité. Le groupe de produits électroménagers Electrolux a eu dès 2003 l’idée de mettre sur pied un Design Lab qui porte son nom. Singularité ? C’est à travers un concours international ouvert aux jeunes diplômés que la marque suédoise souligne ses performances et son souci d’aller de l’avant. Chaque année, ce sont 1 500 dossiers provenant du Mexique, des Etats-Unis, d’Iran ou d’Australie qui atterrissent sur la table des jurés.

Les propositions tournent autour de sujets imposés et de thèmes en vogue comme le social cooking ou l’urban living. L’indicateur de goût électronique baptisé Tastee, l’arbre à denrées alimentaires intitulé Treat ou le procédé Aeroball qui projette dans l’air des bulles de savon purificatrices sont quelques-unes des idées retenues en 2012. Autant de concepts innovants qui n’ont pas pour vocation de se retrouver dans les linéaires de la distribution mais de renforcer l’image de pointe de la marque. Pour rappel, c’est le même Electrolux qui initia chez nous la mode des restos  » pop-up  » en hissant sur le toit du Cinquantenaire, à Bruxelles, une cantine high-tech pilotée par des chefs 3-étoiles, puis en proposant une expérience gastronomique unique dans un tram redesigné pour l’occasion.

Chez Lacoste, le Lab est l’initiative du designer français Christophe Pillet. Cette pointure du mobilier contemporain est un fin connaisseur du crocodile vert. Appelé à la rescousse au début des années 2000 pour relooker les boutiques de la griffe confrontée alors à un sérieux passage à vide, il n’a depuis jamais cessé de collaborer avec le célèbre fabricant de polos en dessinant des sacs, des lunettes, du mobilier de magasins ou encore des flacons de parfum. En 2008, le nouveau big boss de Lacoste, Christophe Chenut, le nomme directeur du design. Deux ans plus tard, tandis que la marque se pare d’un logo inédit et opère une mue avec le lancement de sa ligne Live destinée à séduire une clientèle jeune et urbaine, le Lacoste Lab voit le jour…  » C’est une manière de réfléchir sur le devenir de la marque, de la faire vivre et en même temps de sortir du registre traditionnel, assurait récemment Christophe Pillet lors d’une conférence aux Arts décoratifs, à Paris. Nous prenons des directions expérimentales, certaines sont stylistiques, d’autres techniques. Nous avons travaillé, par exemple, sur un prototype de casque de vélo que nous voulions élégant et qui ressemble plus à une casquette qu’à un casque. Il y aussi une raquette composite en graphite et en bois et qui sera bientôt en vente ou encore un projet de téléphone portable en élastomère idéal pour le yachting, puisque c’est étanche et que ça flotte… Pour une combinaison de plongée, nous nous sommes essayés à la découpe au laser et au thermoformage, une technique que nous adapterons peut-être un jour au textile classique.  »

Carrément orientés street style, les derniers accessoires issus du Lacoste Lab pour la gamme Live prennent encore un peu plus la tangente en osant des couleurs flashy, notamment pour des casques de ski, de skates ou des planches de snowboard. Il est loin le temps des années 80 ou Lacoste symbolisait l’esprit BCBG même si, du propre aveu du directeur du design,  » il s’agit d’une version ébouriffée de la marque, car Lacoste ne symbolise pas la rébellion « . Cette  » écriture nouvelle génération  » comme s’enthousiasme Christophe Pillet à propos du Lab n’est pas destinée aux grands tirages. Selon Christophe Chenut, ces dream products n’étaient même pas voués à être commercialisés.  » Mais comme on nous réclamait partout les prototypes pour décorer les boutiques, confie-t-il, nous avons fini par en produire certains à petite échelle et à les proposer à la vente.  » Et à la pièce pour ainsi dire. Où ça ? Chez Colette, le concept store le plus pointu de Paris, évidemment !

PAR ANTOINE MORENO

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content