Paul Helbers, 41 ans, est à la tête du Studio Homme de Louis Vuitton depuis 2005. Ce créateur néerlandais impose une cure de subtilité et de discrétion toute nordique à la marque au monogramme. Un vent de fraîcheur totalement raccord avec notre époque post bling-bling. Rencontre.

De ses yeux d’enfant du nord des Pays-Bas, il a longtemps vu un décor naturel méthodiquement  » plat « . Il y avait aussi  » des vaches « , une petite ville, la sienne, proche de Groningen, bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale,  » moche à mourir « , c’est lui qui le dit. Aujourd’hui, depuis bientôt dix ans, c’est Paris, son port d’attache, que Paul Helbers regarde s’éveiller tous les matins ou presque.

En 2000, quand il rejoint l’équipe Maison Martin Margiela en tant que responsable du Studio Homme, il choisit le centre-ville, IIIe arrondissement  » vue magnifique, mais extrêmement touristique, bruyant, fatigant « . Maintenant, ce garçon tout en sourire secret et mots posés apprécie le calme et le charme discret du XIVe. Un déménagement qui s’apparente presque à une métaphore du changement de ton qu’il a apporté en quelques saisons à l’univers masculin de Louis Vuitton.

Un ton plus bas, en l’occurrence. Entendre plus de finesse, moins de tape-à-l’£il. Du luxe encore et toujours, bien sûr, mais avec du sens et un imaginaire, des histoires à raconter, simplement. Des histoires de voyages, précisément, thème chéri du maroquinier que Paul Helbers a fait sien avec une liberté ne connaissant que peu de frontières. Prenez la collection automne-hiver 09-10, véritable ode au nomadisme moderne véhiculée à travers le récit doucement loufoque d’un roi africain en mission à Paris. Point de départ : un livre déniché sur les rois congolais du xixe siècle, couplé à un coup de c£ur pour les imprimés et les couleurs des vêtements vus aux marchés africains à New York. Point d’arrivée : une garde-robe qui vise  » à introduire la sensualité de l’Afrique dans une collection urbaine créée pour une ville comme Paris « . Un sursaut de cool dans le domaine du chic. Un des défilés les plus acclamés de la saison. Une prouesse de la part de Paul Helbers : révolutionner subtilement l’identité d’une marque centenaire auprès des hommes. Tout cela méritait bien quelques explications.

Vous êtes arrivé chez Louis Vuitton en 2005. L’idée que vous vous faisiez de la maison correspondait-elle à ce que vous y avez découvert ?

J’avais en tête une marque prestigieuse et très haut de gamme, où tradition et modernité cohabitent comme nulle part ailleurs. Une fois à l’intérieur, je me suis rendu compte à quel point Louis Vuitton était une maison de maroquinerie avant tout. Pour parvenir à créer une collection de prêt-à-porter d’un niveau semblable à la qualité et à la créativité des accessoires, il y avait plus de chemin à faire que je ne l’imaginais. Pas seulement au niveau de la création pure, mais aussi dans la mentalité de la maison. J’étais très excité face à tout ce potentiel, j’étais certain de pouvoir optimaliser l’image et l’univers masculin de la marque. J’ai donc travaillé d’arrache-pied dans ce sens.

A l’avenir, le but est-il que les vêtements se vendent autant que les accessoires, qui représentent une très grosse part du chiffre d’affaires ?

Personnellement, j’aimerais que l’on se dirige vers cela. Mais je ne pense pas que ce soit dans les plans de la direction de Louis Vuitton. Cela dit, l’idée générale de la marque est de proposer une garde-robe de voyage très complète dans laquelle le vêtement a toute sa place à côté des accessoires. Quand je crée, j’ai toujours en tête cette vision panoramique de l’homme Vuitton.

Une de vos marques de fabrique, c’est l’attention extrême aux détails, cachés dans le revers d’une veste, un peu secrets. Le nouveau luxe est-il de plus en plus mal à l’aise avec l’ostentation ?

J’ai toujours tenu le même discours à ce sujet. Je n’ai rien contre le principe même de logo. Mais on ne peut pas l’appliquer de la même façon aux vêtements et aux accessoires. Dès mon arrivée, j’ai refusé de céder à la paresse et au premier degré, c’est-à-dire d’appliquer des logos partout. C’est vrai que c’est bon pour les ventes, mais cela exclut aussi touteune frange de clients qui cherchent plus de discrétion. Notre clientèle n’est pas monolithique, et c’est ça qui est passionnant. Elle forme un mix entre fashionistos, classiques, sportifs. Il faut savoir rencontrer les désirs de tous ces hommes. Je pense qu’aujourd’hui nous avons trouvé un bon équilibre.

Ce luxe discret, que vous avez renforcé chez Louis Vuitton, le tenez-vous de votre passage par la Maison Martin Margiela ou est-ce l’expression propre de votre caractère ?

Les deux. J’ai effectivement apprécié l’idée du luxe défendue chez Martin Margiela. Plus globalement, je pense que le corps de l’homme nécessite un travail plus discret que celui de la femme. Son physique très droit oblige le créateur à ménager ses effets sur le vêtement. Car chaque changement de forme prend tout de suite un accent plus dramatique. Il faut donc s’efforcer à travailler dans la subtilité.

Dans quel milieu avez-vous grandi ? Quel est votre premier souvenir du luxe ?

Je viens d’un milieu assez simple. J’ai un souvenir particulier de mon grand-père. Il prenait soin de ses vêtements, se peignait parfaitement les cheveux. A l’époque, il n’avait pas de voiture, et venait nous rendre visite en Mobylette, mais toujours vêtu d’un costume, qu’il protégeait d’une grande cape en gomme. Il sentait l’eau de Cologne, ses chaussures étaient forcément bien cirées, ses chemises d’une blancheur impeccable. Il ne portait rien de spécifique, rien de cher, mais sa façon de prendre soin de lui était très élaborée, très soignée. Je ne sais pas si c’est vraiment du luxe, mais ce souvenir est proche de l’idée que je m’en fais.

Qu’est-ce qui vous a décidé de vous exprimer spécifiquement à travers la mode ?

C’est un choix intuitif. A l’Académie, j’ai pratiqué la sculpture, la peinture, j’ai fait des installations, des vidéos, de la photo. Aucun de mes amis ne savait ce que j’allais choisir. Ils étaient juste certains que je ne choisirais pas la modeà Je pense que c’est ma passion pour la matière, la diversité et la sensualité des textiles qui m’ont finalement décidé.

Par rapport à Marc Jacobs, vous restez relativement dans l’ombre. On a un peu l’impression que c’est caractéristique d’une nouvelle génération de stylistes moins starifiéeà

Je pense effectivement que c’est dans l’air du temps. Je n’ai par contre rien contre la génération précédente, je crois simplement que les nouveaux venus travaillent plus dans un esprit artisanal, ils se concentrent plus exclusivement sur leur métier. Je me vois d’ailleurs plus comme un artisan que comme un créateur. Et puis, il faut du talent pour s’exprimer dans les médias, tout le monde ne l’a pas.

Les interviews vous dérangent ?

Non, mais à la différence de Marc, qui a autant de plaisir à parler de sa vie que de son travail, je n’aime parler que du produit sur lequel je passe mes journées. Si j’ai face à moi un journaliste qui souhaite parler des collections que je crée, il aura un bon interlocuteur. Je dois ajouter que je suis plutôt timideà

La crise vous inspire-t-elle ?

Je pense que l’on crée toujours mieux dans l’adversité que dans la liberté. On est aujourd’hui obligé de réfléchir beaucoup plus avant d’agir. Dans une époque qui est à la restriction budgétaire, on ne peut pas tout se permettre, tout expérimenter. Personnellement, ça me convient de devoir cerner très précisément ce dont on a profondément besoin, ce qu’on attend réellement d’un vêtement.

Comment gérez-vous l’aspect business de votre fonction ?

C’est important quand vous travaillez dans une maison comme Vuitton, et cela tombe bien parce que j’ai une fibre business. Toutes les idées que l’on a ne sont pas toujours réalistes, je m’obstine donc à toujours les confronter à l’avis de mes collaborateurs pour savoir comment ils porteraient telle ou telle pièce, quel usage ils en feraient concrètement. Je teste la pertinence de mes vêtements. Le but est toujours de proposer une image et un univers tout en donnant un maximum de chances à la vente.

Au regard de l’histoire de la mode, trouvez-vous notre époque enthousiasmante ?

Non. Honnêtement, quand j’analyse l’évolution de la mode masculine depuis le début du siècle, peu de choses ont réellement changé. Il y a vingt ans encore, la mode faisait beaucoup plus partie intégrante de la culture générale d’un pays. Aujourd’hui, elle est devenue plus industrielle. Comme dans le cinéma ou la musique, l’argent tient le rôle principal. Il y a moins de place pour une signature, pour des Fellini ou des Pasolini. Ils n’ont pas fait que des chefs-d’£uvre mais leur signature était toujours très personnelle. Comme Yves Saint Laurent, en fait, un des plus grands créateurs de sa génération même s’il a aussi signé des collections peu convaincantes comme celle avec les broderies perroquet. Ces erreurs participent de la création d’une signature, qui s’affine en explorant les frontières du goût. Aujourd’hui, les créateurs jouent dans des équipes de plus en plus larges avec beaucoup plus de paramètres à prendre en considération. Au final, c’est plus business qu’à l’époque et dans ce sens là, c’est moins stimulant aujourd’hui. Parfois, on sent qu’on n’a pas de droit à l’erreur. Mais le droit de se tromper, c’est toujours bon pour la créativité, tu apprends beaucoup en te trompant. Comme les enfants.

En gros, vous dites que si vous faites une erreur ici, on vous dit au revoir ?

Je ne l’affirmerais pas dans des termes aussi extrêmes. J’essaie en tout cas de ne pas faire d’erreur. Cela dit, j’ai toute la latitude pour rester spontané. Quand il y a des directives, c’est parfois bien aussi d’en prendre le contrepied. C’est aussi mon rôle. Si je dessine exactement le costume que veut la marque, elle ne sera en réalité pas contente. Je ne suis pas là pour transmettre un message mais pour le transformer. Réaliser un costume qu’on n’imaginerait même pas en rêve.

Vivre perpétuellement dans un monde de luxe, est-ce parfois usant ?

Oui. Absolument. Mais je m’organise pour ne pas vivre hors de la réalité. Le vrai luxe pour moi, on l’a déjà évoqué, ce sont des choses très simples. Il ne faut pas l’oublier, c’est important de rester attaché à la simplicité quand on travaille continuellement dans le luxe. Par exemple, au lieu de prendre un taxi, enfourcher un vélo, ou se faire un sandwich et le manger dans un parc. C’est bête, dit comme ça, mais cela m’aide à ne pas chercher systématiquement la solution dans l’argent mais dans la créativité et la spontanéité.

Quels seront les défis pour les créateurs les dix prochaines années ?

On le sait, le monde est de plus en plus rapide, stressé, urbain. On va devoir retrouver un équilibre avec la nature. Qui va reprendre sa place dans le design et dans la mode – la nature est le design le plus complexe que l’on connaît. Je pense vraiment que comme à l’époque de l’urbanisation à la fin du xixe siècle, on va s’inspirer de plus en plus de la nature pour trouver des solutions, à l’instar des artistes Art nouveau. On en est au même point. n

par Baudouin Galler

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