Disco à gogo

Ce printemps, ce mouvement musical revient sous les projecteurs. Mais, au fait, la fièvre du samedi soir, comment l’avons-nous attrapée ? Remember.

« Oh ! Ouah Wow ! C’est le meilleur danseur que j’ai jamais vu ! Oh ! Ouah ! Wow…  » La rengaine disco He’s The Greatest Dancer passe en boucle à l’approche des années 1980 et révèle la philosophie d’une époque radieuse : dansons pour oublier les soucis du passé ! Dansons sans peur du lendemain !  » Oh Ouah Wow « , célébrons ce demi-dieu qui met le feu à la discothèque, icône d’un âge d’or sexe et glamour porté aux nues par John Travolta dans La Fièvre du samedi soir. Le film date de 1977, mais Tony Manero n’a pas disparu. Tous les samedis, le jeune milord qui joue son destin sous la boule à facettes revient en force sous les spots de la Tecktonik®. Remplacez un mot par un autre et la démonstration est faite : le disco n’est pas mort.

Disco, le blockbuster de Fabien Onteniente, nous a déjà offert quelques chaudes rétrospectives à paillettes sur les plateaux télé du samedi soir. Les soirées disco vont fleurir à nouveau. De Ring My Bell à I Will Survive, toutes les scies de l’époque vont refaire un tour de piste… Mais depuis que les DJ sont rois, avons-nous jamais vécu une année sans disco ? Un mariage sans Gloria Gaynor ? Pour en retrouver l’acte de naissance, il faut remonter à une époque antédiluvienne où le DJ d’aujourd’hui n’est pas encore né. A New York, au tournant des années 1970, un jeune Italo-Américain de Brooklyn lance la révolution sans y penser. Danseur dans un club de Greenwich Village, Francis Grasso, alias DJ Francis, s’est inventé presque par accident une autre passion. On lui confie, un soir, les platines d’un club privé de Central Park et il escamote la collection de disques rock prévue pour la remplacer par un best of des musiques blacks de l’époque, de James Brown à Sly Stone. La rumeur enfle. Francis Grasso se retrouve propulsé dans l’ambiance démente et 99 % gay du Sanctuary, une ancienne église baptiste de Hell’s Kitchen, le secret le mieux gardé du New York branché. La légende veut que Sanctuary soit le premier night-club de l’Histoire et que Grasso y invente en direct la musique de discothèque. Il apprend à enchaîner deux morceaux, à superposer les rythmes pour que la tension ne retombe jamais. Dans la chapelle du Sanctuary, le DJ roi est né, sa cabine est décrite comme l' » autel « . Il devient le centre des passions et des convoitises, le danseur donne tout ce qui est en lui pour être à la hauteur de son inspiration. Dans les cercles très fermés de la nuit new-yorkaise s’inventent aussi les technologies qui vont faire entrer la culture disco dans toutes les surboums de la planète.

 » Dance, dance, dance… « 

Dans son loft de Broadway, David Mancuso met au point la table de mixage en stéréo et une installation hi-fi qui donne aux danseurs l’impression de flotter dans un paradis de sons orgiaques. Les lumières se tamisent et les spots prennent toutes les teintes de l’arc-en-ciel. Il ne manque plus que la boule à facettes. La fièvre monte d’un cran. Et bientôt tout New York veut être de la fête. Le 13 juin 1973, le Jardin ouvre ses portes dans les sous-sols d’un vieil hôtel, dans le quartier chaud de la 42e Rue. Les mannequins et les couturiers sont là, les jeunes excentriques aussi. Et la drogue. Et l’argent. Et les VIP comme Diana Ross. Truman Capote se dit ému par l’ambiance et le luxe de la décoration :  » L’alignement de canapés Arts déco et les feuilles de palmiers qui descendent de partout. Et, sur la piste de danse, cette fusion démente, comme une centrifugeuse en folie !  » La jet-set découvre la frénésie de la danse et ne peut plus s’arrêter. Bientôt, c’est l’heure des bacchanales du Studio 54 et du Palace, à Paris, où s’invente le credo des générations à venir :  » Dance, dance, dance « .

De quelle musique les dancefloors brûlent-ils pendant ces années de folie ? Un simple dérivé de la soul et du funk des années 1960 et 1970. Gloria Gaynor ou Donna Summer, les étoiles de la nuit, ont le feu sacré parce qu’elles ont commencé à chanter dans les églises de l’Amérique noire. Comme celui de leurs aînés, Aretha Franklin ou Marvin Gaye, leur chant brûle de ferveur et de sensualité, mais il est porté par un son quasi mécanique qui va vite devenir celui du tiroir-caisse. Pour lui donner plus de relief, les DJ inventent le maxi-45-tours et le remix, et l’industrie du disque se jette sur le phénomène.

D’une génération à l’autre

D’autant que le filon du rock commence à montrer des signes de faiblesse. Il faut amener les jeunes à dépenser en même temps qu’ils se dépensent sans compter.  » Le disco est une industrie multimilliardaire, écrit Albert Goldman, sulfureux biographe d’Elvis et auteur de Disco, avec ses propres marques, son matériel, ses publications, ses hit-parades, ses promoteurs qui visent à transformer tous les sous-sols d’Amérique en minidiscothèques.  » Ça ne plaît pas à tout le monde.  » Ils ont réduit la musique à l’expression d’un seul rythme, dit George Clinton, le maître du funk. Et ça finit par taper sur les nerfs. Essayez donc de faire l’amour avec un seul geste !  »

A la lisière des années 1980, un DJ particulièrement remonté allumait un immense feu de joie sur un stade de base-ball et invitait ses auditeurs à venir y brûler leurs maxi-45-tours.  » Mort au disco !  » est un slogan d’alors. Mais la musique de discothèque s’est propagée sur un rythme démentiel d’une génération à l’autre. La transe ne retombe pas. Le disco est né dans le tourbillon angoissé du premier choc pétrolier. Il revient aujourd’hui dans le vertige des fêtes qui défient l’inquiétude de l’époque. En 1983, Indeep chantait :  » La nuit dernière un DJ m’a sauvé la vie « . Aujourd’hui, c’est la belle Rihanna qui domine les hit-parades en priant pour que la nuit ne s’arrête jamais :  » Fuyons dans la musique / Joue DJ / Please Don’t Stop the Music !  »

Gabriel Vincent

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content