Avec le succès de l’oenotourisme, de plus en plus d’exploitants ouvrent les portes de leurs domaines le temps d’une ou plusieurs nuits. Voici une sélection de ces adresses qui donnent soif… de découverte.

Il n’y a pas si longtemps, l’amateur de vins en balade dans les régions viticoles était regardé au pire à la façon d’un suspect, au mieux, comme un fieffé… emmerdeur, osons le mot. C’est que le vigneron français n’était pas vraiment réputé pour son ouverture et sa tolérance. Fusil de chasse à côté du lit et trogne renfrognée, il tenait mordicus à sa tranquillité. A sa décharge, travailler la vigne n’est pas vraiment une sinécure : une journée harassante à courber l’échine fait passer le goût des ronds de jambe. Avec le temps, la donne a pourtant changé. Plus question de claquer la porte au nez du chaland. Aujourd’hui la concurrence fait rage entre les terroirs et le client est précieux. En plus d’être un agriculteur, un vinificateur et un commercial, le vigneron 2.0 a bien compris qu’il avait tout intérêt à ajouter la corde  » hôtelier  » à son arc. A l’heure où un pays comme la Chine se découvre une passion pour le vin, on ne compte plus les initiatives pour donner envie aux visiteurs de se perdre parmi les ceps.

Ainsi, en France, depuis 2009, les ministères de l’Agriculture et du Tourisme ont mis sur pied le Conseil supérieur de l’oenotourisme, qui sacre chaque année les meilleures offres en la matière. Il était temps car à l’étranger, des régions comme la Toscane, la Rioja ou la vallée du Douro avaient déjà réalisé des avancées significatives sur ce terrain. Il reste que dans l’Hexagone, les poids lourds, soit la Bourgogne et surtout le Bordelais, freinent encore des quatre fers pour accueillir les oenotouristes. En attendant que toutes les portes s’ouvrent, Le Vif Weekend vous invite à découvrir une sélection de bons plans aux quatre coins du pays pour communier avec des flacons prestigieux. Car une chose est sûre : quand on a eu la chance de rencontrer les hommes qui les font, on ne boit plus les vins de la même façon.

PIONNIERS BOURGUIGNONS

Si Bordeaux et la Bourgogne traînent la patte en matière d’offre oenotouristique, il existe des exceptions. La plus belle d’entre elles est à glaner du côté de Puligny-Montrachet. Il s’agit de La Maison d’Olivier Leflaive, un hôtel 4 étoiles de treize chambres. Si on peut regretter qu’il ne se situe pas à proprement parler au coeur des vignes du domaine familial de 18 hectares, il vaut amplement le détour en ce qu’il résulte d’une belle histoire.  » Notre famille est présente sur Puligny depuis dix-huit générations, explique Patrick Leflaive. Notre domaine, lui, existe depuis trois générations. Nous avons grandi petit à petit grâce à une demande venue d’importateurs basés aux Etats-Unis, qui nous a permis de passer de 1 à 18 hectares. A partir de 1996, on a voulu toucher les particuliers en France. Pour ce faire, on a proposé des visites conviviales d’abord assorties de déjeuners, puis de dîners. C’était la première table d’hôtes viticole en Bourgogne, et c’était parfait pour faire connaître les vins… A partir d’un moment, il a fallu refuser du monde. Il y a six ans, on a eu l’occasion de reprendre la maison actuelle, qui était celle d’un vigneron de l’appellation, pour en faire un hôtel. Même si nous avons du personnel, l’esprit reste familial et décontracté. C’est ma soeur, Carole, qui s’est occupée de la décoration. Julie, la fille de mon frère, dirige l’établissement, tandis qu’Olivier et moi, nous nous chargeons des visites des vignes et de la cave.  »

UNE APPROCHE DIDACTIQUE

La Maison d’Olivier Leflaive est un véritable succès qui a attiré plus de 11 000 visiteurs en quelques années. Pour comprendre, Patrick Leflaive invoque  » une approche didactique  » – à la faveur de menus locaux uniques permettant de déguster au choix 5, 8 ou 10 vins – et  » un aperçu unique de la mosaïque vinicole bourguignonne  » – le domaine vinifie pas moins de 90 appellations sur les 100 que compte cette partie de la France. Certaines ne manquent pas de prestige, comme les Chevalier-Montrachet Grand Cru, Bâtard-Montrachet Grand Cru, Puligny-Montrachet 1er Cru Les Pucelles, Puligny-Montrachet 1er Cru Les Folatières, ou encore Meursault 1er Cru Blagny Sous le Dos d’Âne.

Si l’endroit constitue un excellent point de chute en Bourgogne, deux adresses doivent être renseignées dans la foulée, bien qu’on ne puisse pas (encore) y loger. La première se refile entre initiés : la très charmante maison d’hôtes du Domaine Trapet. On la doit à Jean-Louis Trapet, vigneron aussi emblématique que biodynamique, qui exprime le pinot noir comme peu de ses congénères. Les vins qu’il signe sont difficiles à trouver tant ils sont prisés. Le bon plan consiste à aller les déguster dans sa  » Maison « , en appréciant un déjeuner composé de produits simples. Le lieu réjouit, et ce même s’il est encore en  » work in progress  » : un gîte et une cabane dans le jardin doivent bientôt venir le compléter. L’assiette, elle, a tout compris, entre jambon persillé, boeuf bourguignon servi dans une cocotte Staub, époisses affinées au marc de bourgogne et saucisson de terroir  » que Jean-Louis ramène du ski, à Val- d’Isère « , précise-t-on sur place. Question dégustation, il est plus que recommandé d’opter pour le Paradis (84 euros) qui fait place à huit verres de vin maison façon Gevrey-Chambertin Premier Cru  » Capita  » – soit un assemblage de trois parcelles classées en 1er cru -, Chapelle-Chambertin Grand Cru ou encore Chambertin Grand Cru. Le tout dans un cadre que l’on doit au bureau dijonnais Epokhé, qui panache contours anciens – grand feu ouvert, parquet d’époque, charpente en bois – et lignes actuelles – luminaires audacieux, tapisserie contemporaine…

Seconde adresse à accueillir les visiteurs, la Table Comte Senard se loge dans le village d’Aloxe-Corton, sur la célèbre Colline. Là aussi, pas de logement mais une opportunité unique de découvrir des vins rares. L’initiative a été prise par Philippe Senard, aujourd’hui relayé par sa fille Lorraine à la tête du domaine. Pour ce passionné, le devoir d’hospitalité des vignerons s’est perdu au fil du temps :  » Nos aînés recevaient les importateurs chez eux, j’estime qu’ouvrir nos portes aux visiteurs, pas seulement pour leur vendre des bouteilles, est un retour aux sources qui permet d’expliquer la complexité de notre terre.  » Situé dans d’anciennes écuries, l’établissement mise sur la convivialité. La mise en scène fait place à quelques tables faisant valoir des plateaux tournants pour faire circuler les mets. Pour 65 euros, on déguste huit vins découverte – Aloxe-Corton blanc Pinot Beurot, Premier Cru Les Valozières, Corton Grand cru Blanc – dont 5 grands crus. Dans l’assiette, des valeurs sûres : boeuf bourguignon ou coq au vin réalisés dans les règles de l’art, notamment en raison d’une sauce épatante à base de lie de Corton.

D’AUTRES EXPÉRIENCES

Thomas Pico appartient à la frange de ceux qui secouent Chablis. Fidèle à une vision sans compromis du vin, il a repris à son compte une partie du domaine paternel. Ses flacons commercialisés sous le nom Domaine Pattes Loup se sont taillé une belle réputation en neuf ans d’existence. Pour approcher ce talent prometteur, le bon plan consiste à réserver une chambre au Faubourg Saint Pierre. Une maison d’hôtes simple et conviviale, établie dans une demeure bourgeoise du XVIIIe et gérée de main de maître par Denise Pico, la maman du vigneron. Il n’y a pas meilleur point de chute pour s’initier à la minéralité chablisienne.

Envie de s’offrir une aventure moins septentrionale ? Rendez-vous au domaine de la Bégude sur l’appellation Bandol. Cette propriété de 500 hectares avec vue imprenable sur la Méditerranée est le fief de la famille Tari, originaire de Margaux, qui y a installé quatre chambres d’hôtes pour le moins charmantes. Le fin du fin ? La découverte des vingt-sept parcelles de vignes (17 hectares) et des plantations d’oliviers – le tout cultivé en mode de production biologique – qui s’effectue en Jeep. Une visite après laquelle les modes d’expositions, les différents terroirs et cépages de l’appellation n’auront plus de secret.

Autre adresse remarquable, Le Clachet d’Agnès et Jean Foillard vaut le détour. Le propriétaire est une star du Beaujolais, et particulièrement du Morgon qu’il exprime avec un talent fou. Si le bonhomme est plutôt bougon et peu amène, son épouse compense allègrement par une gentillesse tout en spontanéité. Sans prétention, l’endroit fait place à un petit-déjeuner de grande qualité, notamment grâce à des confitures home made inoubliables. Une chambre d’hôtes idéalement située pour rayonner aux quatre coins des dix crus de l’appellation Beaujolais.

Trop populo pour vos papilles, le Beaujolais ? Pas de souci, il y a également moyen de se la jouer grande classe, à Saint- Emilion. Le château Troplong Mondot fait ainsi place à plusieurs hébergements. Le must ? La chambre Acajou au coeur du domaine. Le château Franc-Mayne, grand cru classé, propose quant à lui neuf chambres d’hôtes pour le moins raffinées. Chacune d’entre elles est décorée dans un thème différent : Pop Art, Indian Fusion, Black & White, British Landscape, African Lodge… La surprise du chef ? La carrière troglodyte qui abrite le chai du domaine.

Branché bulles ? La bonne adresse est à glaner à Avize, du côté de la Côte des Blancs. C’est là que l’on trouve l’excellent Anselme Selosse qui a ouvert un hôtel, Les Avisés, avec son épouse Corinne. Une vraie réussite. Par son cadre, d’abord, signé par un Belge, l’architecte d’intérieur Bruno Borrione qui a longtemps été chef de projet pour Philippe Starck. Par sa cuisine, ensuite, qui porte la patte de Stéphane Rossillon – ce chef a fait ses armes chez Anne-Sophie Pic, après avoir été second il a dirigé Nationale 7, l’annexe du gastro. Depuis sa cuisine ouverte, joliment mise en scène, Rossillon envoie une nourriture saine, légère et issue de circuits d’approvisionnement courts. Le seul regret ? L’impossibilité de ramener cette magnifique partie de la production à la maison, celle-ci étant prise d’assaut par des amateurs venus du monde entier.

Enfin, on notera qu’en matière d’oenotourisme, nul n’est censé ignorer la Loire. Ce vignoble, étiré entre le pays nantais et la Touraine, regorge de bons plans. On notera particulièrement le Manoir de la Tête Rouge, qui évolue sur les appellations Saumur et Saumur-Puy-Notre-Dame. C’est le fief d’un très bon vigneron, Guillaume Reynouard, converti à l’agriculture biologique. Outre les trois chambres bien tenues, il faut mentionner les tables d’hôtes animées occasionnellement – pas question de faire de l’ombre au restaurant du village ! – par Sophie, son épouse, qui concocte un mémorable Cul de Veau à l’angevine.

PAR MICHEL VERLINDEN

Le fin du fin ? La découverte des parcelles de vignes et des plantations d’oliviers, qui s’effectue en Jeep.

Depuis sa cuisine ouverte, Rossillon envoie une nourriture saine et légère.

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