Ancienne quinta formée de deux ensembles à l’histoire très différente, Romaneira s’étend sur plus de 400 hectares de vignes et d’oliviers, à l’aplomb des berges du Douro. Célèbre pour son porto et son site d’exception, le domaine s’ouvre aux hôtes, mariant charme des traditions et innovations contemporaines.

Hérissé de vignes en terrasses, le majestueux fleuve Douro imprime ses méandres des monts de la Castille aux eaux portugaises de l’Atlantique. Jadis, d’élégants bateaux en bois au gouvernail immense nommés  » rabelos  » sillonnaient ses courbes, emplis de barriques du célèbre vin de Porto. L’été, la fraîcheur de l’onde et l’ombre des saules apportaient aux mariniers une douceur bienfaisante. En automne, sur les terrasses escarpées, les vignes roussissaient pour un spectacle mélancolique avant les mois sombres d’hiver. Ainsi s’enchaînaient les saisons depuis qu’un marchand anglais avait eu la bonne idée d’inventer le porto. Mais le progrès en vint à condamner ce rôle de  » tapis roulant  » du fleuve pour lui préférer le goudron qui dévore tout sur son passage. On en était là, les maisons blanches aux toits de tuiles rouges résistant vaille que vaille aux outrages du temps, lorsqu’une poignée d’amateurs de vin et de belles architectures, sensibilisés par le classement de la vallée au patrimoine mondial de l’Unesco, s’éprirent des lieux. Parmi eux, Thierry Teyssier, déjà auteur du très féerique Dar Ahlam ( » maison des rêves « ), au Maroc, près de Ouarzazate. Autrefois, ce directeur d’agence d’événementiel avait pour habitude de se poser dans les hôtels réputés chic, ces établissements à la perfection étoilée  » où l’émotion n’est pas forcément au rendez-vous « . Il faut serpenter au c£ur d’une propriété viticole de 400 hectares, sans crainte du dénivelé, pour découvrir Romaneira, la Quinta dos Sonhos ( » maison des rêves « , en portugais) et ses bâtisses qui émergent au creux du fleuve. Le site, outre sa beauté naturelle ciselée à l’ombre des pins et des cèdres centenaires, est un cadre idéal pour recevoir autrement, dans une ambiance mixant des héritages ancestraux et des accents franchement contemporains, mais aussi pour imaginer, comme autant de jeux de pistes, des  » histoires  » à même d’enrichir un séjour dans une atmosphère unique de liberté, de partage, de gourmandise et de flânerie. Pour cette réhabilitation, et créer la magie, Thierry Teyssier a choisi le meilleur en s’épaulant d’une équipe soudée. L’architecte Arnoldo Pimentel-Barbosa a su redonner corps aux deux maisons de maître, plutôt décaties, en leur offrant de nouveaux volumes. Conservant leurs aspects d’origine, il a repensé les circulations et les ouvertures sur le domaine. A Dona Clara, la coloriste Catherine Glazewski a donné le ton : du prune, de l’orangé, du vert pistache, du parme, du rose et des bruns s’associent pour rehausser l’ambiance très coloniale du décor. Ici, c’est tout l’héritage portugais, mais aussi brésilien et même parfois un tantinet anglo-saxon, qui habite les cinq suites, le salon de musique, la bibliothèque, le billard, la salle à manger et le salon de thé. Dans un mélange de vieux chesterfields, de piano à queue, de baignoires à pieds de lions, d’azulejos, de lits en bois sombre, de consoles xviiie, de luminaires en verre soufflé et d’objets chinés, il règne un esprit chaleureux comme dans une maison de famille. A l’extérieur, la terrasse, soulignée d’orangers, surplombe le Douro et mène vers les anciens chais, transformés par l’architecte Julie Blum en salle de dégustation de porto, salle de cinéma et en gigantesque piscine intérieure : sous la charpente de bois entièrement restaurée, quelques bateaux de collection semblent flotter au-dessus des eaux dans une lumière feutrée. Deux feux ouverts encerclent sa plage de teck pour que baignade rime aussi avec hiver. Immenses vestiaires et douches aux couleurs vives, hammam au sous-sol, éclairage tamisé et bain de soleil ultramodernes sur la terrasse : la flânerie est recommandée. Serpentant à travers Dona Clara, le chemin remonte vers la Maison des Comptoirs, dédiée aux grands explorateurs portugais et aux routes maritimes ouvertes au fil des siècles. Couleur d’épices, chacune des cinq suites est un hommage aux cultures du monde. Chine, Inde, Afrique sont ainsi représentées dans une savante association de tonalités de rouge, orange et brun. Dans un métissage de matières, la soie, la laque, le bois, le lin et le raphia marquent leur territoire. Mais les Comptoirs, c’est aussi une savoureuse chocolaterie où le chef Philippe Conticini nous régale de chocolats, chauds ou glacés, aux épices ou au caramel, accompagnés de petits gâteaux faits maison. Les murs patinés de bruns gourmands par le peintre Françoise Martin-Dareths parachèvent le décor. Non loin, sous la tonnelle, le déjeuner est servi à l’ombre. Au menu, spécialités locales revues et corrigées par Miguel Castro, le chef qui monte au Portugal. Quelques pas encore à travers le domaine et le chemin pavé vous guide jusqu’à l’admirable piscine en ardoise imaginée par le paysagiste Louis Benech. Le bassin surplombe à 360 degrés les vignes et le Douro.

Changement de décor. Et voici Velha, la deuxième quinta du domaine. Ici, l’influence de l’Espagne et de ses haciendas est imprimée sur les contours de la bâtisse. Dans une ambiance plus contemporaine, les volumes prennent toute leur ampleur, teintés de couleurs chaudes et profondes. Carmin, ocre rouge, terre de Sienne, vert-de-gris, bleu Klein créent les harmonies. Mais Velha accueille aussi les collections chinées par Thierry Teyssier au gré de ses voyages : papillons, insectes, coquillages dans le jardin d’hiver, coiffes et parures en plumes de tribus amazoniennes pour le petit salon, herbier du xixe siècle aux couleurs de la salle à manger et fresque murale de Nouvelle- Guinée. Et les suites sont à l’image de cet immense cabinet de curiosités. Béton et serrurerie, bois blanchi et lin brut, carreaux de ciment et rideaux de soie, terres cuites, ardoise et wengé, les matières se mêlent pour inventer de nouveaux décors accentués par un mobilier signé des plus grands noms du design et des objets lumineux d’une rare délicatesse, conçus sur mesure par Francis Guerrier. Magie des alchimies, association de talents, de couleurs, de terres, de temps, de matières, de saveurs, d’odeurs, la belle histoire de Romaneira a commencé. Elle s’écrit au fil du Douro. Ce cours d’eau large et qui ne fut pas toujours docile s’est plié récemment au tourisme pour le plus grand plaisir des voyageurs au long cours.

Texte : Laurence Dougier – Photos : Nicolas Mathéus

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