Jeu complexe sur la transparence et effets de lumières millimétrés : telle est la vision de l’architecte californien Michele Saee, concepteur du nouveau Drugstore Publicis sur les Champs-Elysées, à Paris. Visite éclairée.

Après quatre années de suspense, le voile s’est enfin levé, le 5 février dernier, sur le nouveau Drugstore Publicis. Inauguration en grande pompe, nuée de photographes et de journalistes qui consacrent à l’événement de nombreuses pages : à n’en pas douter, ce mythe de l’époque yé-yé, entièrement relifté, est au centre de toutes les conversations parisiennes en ce début d’année. La refonte du célèbre ensemble de magasins des Champs-Elysées était pour le moins attendue. L’architecte californien d’origine italienne, Michele Saee, qui a entièrement réaménagé le site, avait lui-même placé la barre très haut en déclarant vouloir  » faire ce qui n’existe pas encore  » ( sic). Son parti pris déconstructiviste, qui consiste à tordre les parois de verre et de métal puis à les superposer comme un mille-feuille, rappelle pourtant avec évidence le langage architectural d’un Frank O. Gehry, le concepteur du musée Guggenheim de Bilbao et du musée Vitra en Allemagne. Cet étonnant patchwork d' » écailles  » de verre incurvées et de tiges d’acier désarticulées compose un ensemble a priori désordonné. L’esthétique du chaos est pourtant un leurre :  » Si vous regardez l’immeuble depuis les Champs-Elysées, précise Michele Saee, vous remarquez que la structure métallique dessine des lignes de tension très fortes vers l’angle de l’immeuble, là où se trouve l’entrée. Elles concentrent toute l’énergie en ce point.  »

A l’intérieur, un long couloir slalome entre les différentes boutiques qui, dans la tradition du Drugstore, se positionnent davantage comme des commerces de proximité que de luxe. Au rez-de-chaussée, on croise ainsi un kiosque à journaux, une librairie ou une pharmacie. Et même un cinéma dans les sous-sols ! Ce qui n’a pas empêché Michele Saee d’y apporter le même soin architectural qu’aux lieux plus glamour comme les deux restaurants supervisés par le chef surdoué Alain Ducasse. Le Marcel est le plus discret des deux. Cette nouvelle adresse, très VIP, est réservée aux seuls invités de Publicis (le numéro de téléphone est sur liste rouge). Fauteuils de cuir rouge gansés et parois de verre translucides superposées accrochent d’emblée le regard. Le plafond étoilé, grâce au recours à la fibre optique, est une constante du Drugstore 2004. Ce système d’éclairage à l’encombrement réduit a l’avantage de produire des faisceaux extrêmement étroits et puissants. Michele Saee en a décliné le procédé dans presque tous les espaces.

Moins élitiste, la brasserie qui jouxte le Marcel, et séparée de son voisin par un simple voile translucide, s’articule autour d’un vaste bar luminescent qui fait songer à celui du Plaza Athénée imaginé par Patrick Jouin. Une touche  » clubbing  » qui contraste, côté terrasse couverte, avec d’élégants fauteuils de cuir tissés couleur marron glacé. Le plafond doublement ajouré, qui dessine une courbe tout autour du comptoir, varie de couleur selon les heures du jour et de la nuit. Le jeu chromatique est ici roi, jusqu’au plafond du couloir central constitué d’une fine résille métallique éclairée de nappes lumineuses qui évoluent du bleu électrique au rose fuchsia.

Au niveau inférieur, que l’on rejoint par un escalier en spirale, l’architecte a imaginé un corner shop de cosmétiques haut de gamme (Shu Uemura) couplé avec une cave à vins très chic et mise en lumière selon le principe des fibres optiques. C’est Gérard Margeon, le chef sommelier de Alain Ducasse qui a été chargé de la sélection des crus. Cet écrin comprend également une cave à cigares, protégée par une rotonde de verre. Sous un plafond constellé de centaines de lumières blanches, les amateurs pourront y dénicher les meilleurs Monte Cristo et autres Cohiba de la Havane.

Avec l’ouverture du nouveau Drugstore Publicis, Michele Saee s’est attaqué à une véritable institution des Champs-Elysées. Créé en 1958 par Marcel Bleustein-Blanchet, le célèbre fondateur de l’agence Publicis, le Drugstore fut le lieu culte de toute une génération ; celle des Belmondo dans  » A bout de souffle  » ou des Dutronc, période  » Les Cactus « . Ce sanctuaire des  » Trente Glorieuses  » fut ravagé par un incendie en 1972. Reconstruit peu après par le décorateur Slivak dans le plus pur style seventies, il ne retrouva jamais son aura. La résurrection du Drugstore tombe à point nommé. Depuis 2000, les Champs-Elysées retrouvent peu à peu l’image luxueuse et tendance qui ont fait sa renommée à l’étranger. La reconquête est en marche : d’ici à la fin de l’année, le Fouquet’s, autre établissement de légende, entamera lui aussi des travaux de rénovation tandis que Cartier et Vuitton s’apprêtent à ouvrir, sur l’avenue la plus célèbre de Paris, de nouveaux espaces que l’on annonce irréprochables.

Antoine Moreno

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