C’est la marque la plus hype du moment. Une griffe envoûtante et sexy dirigée de mains de maître par deux frères canadiens exilés à Milan. Rencontre exclusive avec Dean et Dan Caten, fondateurs du label DSquared2.

Carnet d’adresses en page 162.

Ils sont non seulement jumeaux û fait exceptionnel dans le microcosme de la mode û mais ils ont aussi un prénom qui commence par la même lettre D. D’où le nom étrange de leur marque fondée il y a dix ans déjà, DSquared2, que l’on pourrait traduire en français par  » D au carré « . A 40 ans tout ronds, Dean et Dan Caten ne regrettent pourtant pas d’avoir choisi cette appellation bizarre pour étiqueter leurs créations : aujourd’hui, leur marque est sur toutes les lèvres des fashion victims, de Londres à Ibiza, en passant par Tokyo, Milan et New York. D’ailleurs, les observateurs sont formels : si DSquared2 n’est pas encore très connu du grand public, le duo pourrait bien devenir, à court terme, les nouveaux Dolce & Gabbana de la planète mode.

Avec 400 points de vente répartis tout autour du globe et, surtout, une flopée de people qui portent déjà leurs créations, les jumeaux canadiens ont effectivement le vent en poupe. Parmi leurs fans, on compte entre autres les chanteurs Lenny Kravitz et Justin Timberlake côté garçons ; la top Naomi Campbell et l’artiste hip-hop Eve côté filles. Signe avant-coureur de leur actuelle branchitude : en 2002 déjà, DSquared2 signait les tenues de scène du fameux  » Drowned World Tour  » de Madonna d’inspiration très cow-boy. Le buzz était lancé. Un buzz qui allait s’amplifier, notamment avec les défilés de l’été 2005 où les frères Caten ont manifestement créé l’événement. Outre la fraîcheur et la pertinence de leurs silhouettes tant masculines que féminines, DSquared2 a en effet surpris l’assistance en invitant une autre rock star au c£ur de leur collection Homme en la personne de l’artiste américaine Cristina Aguilera. Coups de flashs et promo garantis pour une recette déjà éprouvée par d’autres grands créateurs.  » C’est une amie, nuance Dan Caten. Rien n’était calculé. Il se fait qu’elle était à Londres lorsque nous avons présenté notre défilé Homme à Milan et nous l’avons tout simplement invitée à nous rejoindre. Comme nous n’avions pas envie qu’elle soit juste assise au premier rang pour regarder le défilé, nous lui avons proposé d’intégrer le show et elle a accepté d’être entre tous ces hommes ! Ce n’était pas une stratégie. C’était simplement du fun ! Encore une fois, nous sommes amis.  » Bingo ! Au lendemain du défilé, toutes les rédactrices de mode épinglaient l’événement et le buzz s’amplifiait encore.

Réduire l’actuel succès de DSquared2 à un simple effet de manche serait toutefois une grossière erreur. Au-delà du clin d’£il médiatique, il faut reconnaître que les frères Caten ont démontré, au fil des ans, toute l’étendue de leur talent. Doté d’un sens certain de la coupe et de la sensualité, le duo canadien signe des créations aussi originales que portables.  » Notre style est cool, sexy et accidentellement chic, commente Dean. Nous n’aimons pas les choses trop étudiées et je pense que les gens aiment notre mode parce qu’elle est très équilibrée. Ce n’est pas complètement fou, mais ce n’est pas ennuyant non plus. C’est assez fashion, mais c’est très accessible aussi. Finalement, une grande partie de notre travail consiste à prendre les classiques pour les perfectionner.  » Entre tailleurs sages, décolletés plongeants et micro-shorts très hot, la femme de l’été 2005 selon DSquared2 assume, sans complexe, son assurance et son sex-appeal. Tout aussi déterminé, le mâle imaginé par le duo canadien navigue, quant à lui, entre une attitude résolument sportive et l’envie d’une élégance nonchalante. Un même leitmotiv réunit toutefois ces deux sphères vestimentaires : tant pour l’homme que pour la femme, Dean et Dan Caten ont trouvé un style unique qui intègre, selon leur propos,  » une approche casual dans un style très fashion « .

Et si le succès actuel de DSquared2 tenait précisément à cette drôle d’alchimie ? Car, l’air de rien, les jumeaux créateurs ont réussi le défi de mixer habilement le pragmatisme nord-américain à la créativité italienne. Stratégie planifiée ? Pas vraiment. La recette de ce cocktail explosif est plutôt à chercher du côté de leur histoire singulière. Flash-back : nés le 19 décembre 1964, Dean et Dan Caten grandissent en terre canadienne en s’amusant avec les vêtements de leurs s£urs. La mode est leur rêve d’enfant : ils ne veulent devenir ni acteurs ni chanteurs, mais simplement grands maîtres de défilés ! Au fil des ans, leur ambition se précise, même s’ils n’entreprennent pas, à proprement parler, de véritables études de mode (ils prendront toutefois quelques cours d’été à la Parsons School of Design de New York). Après s’être fait la main auprès d’une marque canadienne, ils décident de faire le grand saut de l’Atlantique pour venir s’installer à Milan en 1991. Pourquoi l’Italie ?  » Nous avons des racines italiennes, explique Dan. Notre père est italien et il y a donc cet aspect culturel important pour nous. Et puis, Milan est la capitale de la mode ( rires) !  »

Trois ans plus tard, ils signent leur tout premier défilé milanais au beau milieu des marques mythiques telles que Giorgio Armani, Gianni Versace et autres Dolce & Gabbana. Leurs premiers pas créatifs sont dédiés à la garde-robe masculine et uniquement suivis par quelques férus de mode underground. Mais le tandem s’accroche et persiste dans sa vision décalée d’un homme libéré, au risque d’endosser rapidement une étiquette gay. A vrai dire, DSquared2 se révèle précurseur en la matière : bien avant la vague metrosexuelle, le duo offre sa vision d’un homme soucieux de son look et de son corps dans des tenues qui laissent inévitablement planer le doute.  » Comme l’a écrit jadis un journaliste, notre approche de l’homme n’est ni homosexuelle, ni hétérosexuelle, ni même metrosexuelle, corrige Dan. Elle est simplement sexuelle !  » Le ton est donné : les créations de DSquared2 se veulent sulfureuses sans être pour autant vulgaires. De même, lorsque les jumeaux présentent, quelques années plus tard, leur première collection féminine, c’est ce tempérament de braise qui est également mis en évidence :  » hot, fun et sexy  » sont les mots d’ordre de leur créativité, dixit les intéressés.

Boostée par l’intérêt grandissant que suscitent ses défilés, la marque attise les convoitises et signe finalement un partenariat de choc avec le groupe Diesel en 2003. D’emblée, les mauvaises langues craignent le pire quant à l’intégrité de la marque, mais les frères Caten balaient ces persiflages d’un revers de la main :  » Le groupe Diesel ne possède pas la marque, précise Dean. Nous bénéficions effectivement de leur structure de production et de distribution, mais nous restons maîtres du volet créatif. On ne nous dicte rien ! En fait, nous ne souhaitions certainement pas être les designers d’une marque qui ne nous appartenait plus, comme cela a été par exemple le cas avec Jil Sander au sein du groupe Prada. Cela dit, nous sommes favorables aux grands groupes et nous sommes d’ailleurs très heureux de faire partie de Diesel car nous profitons d’une structure et d’une sécurité qui sont importantes aujourd’hui. C’est plutôt rassurant, aussi bien pour nous que pour nos clients.  »

Forts de cet état de fait, les capitaines de DSquared2 consacrent désormais toute leur énergie à la réalisation de leurs fantasmes textiles. Pour l’été 2005, ils ont imaginé des femmes et des hommes faisant la fête dans une villa somptueuse de Los Angeles. Le  » fun  » est le maître mot des deux collections, avec toutefois un petit clin d’£il à l’actualité.  » Depuis peu, il est interdit de fumer dans les lieux publics en Italie, commente Dan. Aujourd’hui, il y a tellement de règles strictes à respecter autour de nous que nous nous sommes dit : ô Organisons une grande fête à la maison, une fête où chacun est libre de faire ce qu’il veut avec les gens qu’il a envie de voir. » C’est chouette, cool et sexy !  » Les frères Caten ont visé juste : leurs silhouettes festives ont conquis le public et font désormais partie des  » must have  » de l’été.

Conformément à l’idée que l’on se fait des frères jumeaux en général, Dean et Dan Caten semblent toujours sur la même longueur d’onde. Lorsque l’un commence une phrase, l’autre la termine, et si d’aventure l’un des deux s’absente quelques secondes, il répond exactement de la même façon à la question reposée à son attention. Troublant. De cette complicité fusionnelle naît évidemment, selon eux, un style enrichi.  » Franchement, je n’arrive pas à comprendre comment font les autres créateurs, avoue Dan. Je pense que nous avons beaucoup plus d’idées et d’énergie à deux. D’ailleurs, je serais incapable de travailler seul ( son frère acquiesce).  » Alors, toujours d’accord, les frères Caten ?  » Bien sûr que non, enchaîne Dean. En fait, nous savons que nous sommes sur la bonne voie quand nous sommes d’accord sur une silhouette. Et quand nous ne sommes pas d’accord, c’est simple : on oublie !  » Quant à la nature même de leur moteur créatif, les jumeaux répondent de concert :  » Ce sont les questions qui nous font avancer. Quoi ? Pourquoi ? Que veut-on ? Comment faire mieux ? On travaille toujours comme ça. En vérité, nos collections reflètent vraiment notre vie. On ne force rien. On crée comme on le sent, sans stratégie, ni plan de carrière. Bref, on fait les choses honnêtement et cela fait plus de dix ans que ça dure parce que le public nous suit et grossit petit à petit. Aujourd’hui, nous vivons notre rêve d’enfant et je crois que l’on peut vraiment remercier Dieu d’être là où nous sommes.  »

Aussi sulfureuses qu’elles puissent paraître, les créations de DSquared2 n’en restent donc pas moins proches du Seigneur. La preuve : la toute dernière collection masculine présentée récemment à Milan et déjà dédiée à l’hiver 2005-2006 avait pour décor une église. Pas de second degré. Juste un remerciement.

Frédéric Brébant

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