Duchêne Connection
Après avoir été coiffeur puis restaurateur, Luc Duchêne s’est lancé dans le textile dans les années 1980. Aujourd’hui, Chine Collection et Mer du Nord, ses deux marques, cartonnent. Derrière ces success stories à la belge, un clan extrêmement soudé.
La gestion au quotidien, le day- to-day, comme il dit, ce n’est plus son truc. Luc Duchêne, fondateur et grand patron de Chine et Mer du Nord, deux valeurs sûres du prêt-à-porter belge – respectivement 19 et 21 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007 -, préfère aujourd’hui passer son temps à réfléchir. Ne pas en déduire, pour autant, qu’il est inactif : il serait au contraire plutôt du genre fonceur, et quand il pense, ce n’est pas tant à ses prochaines vacances à Saint-Barth’ ou Courchevel qu’au vaste chantier qu’il va bientôt mettre en branle pour doubler la surface de ses locaux de l’Arsenal, à Bruxelles. Ou à l’ouverture, fin de ce mois, de la première boutique Chine à Bruges. Ou encore à celle qu’il rêve d’inaugurer, dans un avenir pas trop lointain, à Tokyo, dont il est rentré il y a quelques semaines. » J’ai personnellement arpenté les rues à la recherche du meilleur emplacement : j’ai besoin de garder un £il sur tout. Mais mon but, avoue-t-il dans un sourire, c’est New York. Et, pourquoi pas, Moscou aussi. Même si je ferai peut-être une exception à mes principes en signant un partenariat financier. » Pour le moment, Chine et Mer du Nord réalisent encore plus de 90 % de leur chiffre d’affaires en Belgique. Mais le PDG ambitionne d’inverser la vapeur, d’abord en développant son réseau de boutiques propres dans toutes les capitales européennes. L’ouverture, à l’automne 2006, de l’enseigne parisienne de la rue Castiglione – 100 m2, entre les Tuileries et la place Vendôme – n’est qu’un premier pas.
Aujourd’hui, son argent lui permet de s’offrir » la liberté de faire ce que je veux « . Et son fils Fabrice assure la gestion de l’entreprise familiale – le fameux day-to-day. Avocat de formation, il a rejoint son père en 1998 pour devenir directeur général du Holding Fabrice International, auquel appartiennent Chine Collection et Mer du Nord. Quant aux relations publiques et à la communication, c’est Emilie, la fille de Luc, qui s’en charge. Mais, malgré tout, le business reste pour le fondateur des deux marques belges une seconde nature.
De la coupe au stylisme
Pas très porté sur les études, Luc Duchêne a joué les apprentis coiffeurs puis les restaurateurs avant de se lancer dans l’épopée du textile. A 25 ans, il ouvre deux restos trendy, l’un dans le quartier du Sablon, à Bruxelles, et l’autre à Waterloo. On y propose une ambiance lounge… avant même que le mot ne fasse partie du vocabulaire branché. Le succès est au rendez-vous. Car le plus grand atout de ce Dinantais d’origine, qui a grandi à Etterbeek, c’est sans conteste son flair. » Certains possèdent un don pour la musique ou le peinture, moi j’ai cette faculté de sentir ce que les gens veulent « , déclare-t-il, un rien hâbleur. Tout au long de sa carrière, il va d’ailleurs exploiter ce talent-là avec brio. Ainsi, lassé des horaires à rallonge de l’horeca, Luc Duchêne revend ses deux établissements pour se lancer dans la mode. » Je suis en quelque sorte né dedans. Ma mère était couturière, et mon grand-père, peintre-décorateur. Il avait un atelier de fabrication de couleurs, où je traînais, enfant. «
Il ouvre donc une première boutique – il en possède une trentaine aujourd’hui ! – dans la très chic avenue Louise, à Bruxelles. » Dans mes restos, j’avais pas mal de clients qui possédaient des magasins, se souvient Luc Duchêne dans un sourire. Ils avaient l’air de mener la belle vie. » Ni une ni deux, il sera boutiquier. Le concept du » Majestic » est lui aussi novateur : on y propose des vêtements moyen de gamme, à une époque où ce segment-là, à mi-chemin entre la grande distribution et le luxe, est peu développé. Après un démarrage au ralenti – » c’était trop cher et trop branché pour la Belgique « , tranche le businessman – les affaires cartonnent, et une deuxième enseigne est ouverte dans le quartier BCBG de Fort Jaco (Uccle), toujours dans la capitale. Luc Duchêne travaille sans compter : » Je faisais la caisse, la déco des magasins, les vitrines, je déterminais les prix, je choisissais les gammes… Douze à quinze heures de travail par jour, pendant une dizaine d’années ! «
Au final, le self-made-man a su mener sa barque. Tellement bien qu’il s’est offert depuis lors… un bateau. Et au passage, quelques maisons, dont une villa à la Côte d’Azur, récemment shootée par un magazine français branché » people » et présentée, sur cinq pages, comme celle du » roi du textile belge « . » ça m’a fait plaisir, reconnaît ce dernier. Je ne demande pas qu’on y ajoute ma photo, mais si l’adresse de Chine à Paris s’y retrouve, c’est positif. En Belgique, quand on réussit, il faudrait faire profil bas. Je ne vois pas pourquoi. «
Un Arsenal emblématique
Parmi les marques vendues dans ses deux boutiques, on retrouve Chipie et Chevignon, dont il devient par la suite l’importateur exclusif pour le Benelux et l’Allemagne. » Pour la petite histoire, j’avais rencontré le patron de la marque aux Bains Douches, à Paris, où je sortais beaucoup. On a conclu l’accord en fin de soirée. » Pendant une dizaine d’années, les affaires tournent tellement bien que Luc Duchêne avoue sans fausse modestie avoir, à l’époque, » fait des milliards de francs belges « .
Anticipant l’essoufflement du succès de Chipie et Chevignon, l’homme d’affaires rachète une marque belge dont il assurait depuis longtemps la distribution : Mer du Nord. Il en redynamise l’image, ajoute aux classico-classiques coupe-vent et pulls bleu marine des pièces plus trendy, mais sans rupture brutale avec les exigences plutôt conventionnelles du public belge. Le succès est instantané : en dix petites années, les ventes passent de 3,5 à 20 millions d’euros. Depuis, la marque a continué à étendre sa gamme, jusqu’à proposer aujourd’hui une ligne d’accessoires. » Mais, en 1996, ce qui m’intéressait aussi, se souvient le big boss, c’était que l’opération financière impliquait le rachat de l’Arsenal. » Il voit dans ces anciennes casernes bruxelloises une occasion unique de développer sa société. Non seulement les 2 000 m2 de surface sont idéaux pour le stockage et la manutention, mais ils vont également permettre de rassembler sous le même toit Mer du Nord et Chine, l’autre marque lancée par Luc Duchêne, en 1993.
Cette année-là, Guillaume Thys, ami du businessman en poste à Hong Kong, où il travaille pour des sociétés belges, dégote un stock de soies sublimes, qui lui donnent envie de créer une ligne de vêtements. Séduit tant par la beauté des tissus que par l’idée de créer sa propre griffe, Luc Duchêne se lance dans l’aventure. Chine, devenue depuis Chine Collection pour donner une consonance » couture » à la marque, était née.
La relève est là
Chine Collection, c’est aussi l’image de marque de Luc Duchêne : sa griffe est en effet la seule en Belgique à mettre sur pied un défilé, deux fois par an. Comme toujours, l’édition printemps-été 08, organisée cette fois dans le pavillon central de Tour & Taxis, à Bruxelles, comptait son lot de people : outre la classe politique belge, on reconnaissait dans les first rows Sophie Favier, M’bo Mpenza, Jérémie Renier ou Alison Paradis. » Un magazine belge a écrit un jour que je payais les VIP pour venir à mon défilé, s’offusque le PDG. C’est faux ! Je fréquente aujourd’hui le même milieu qu’eux, il est normal que des liens se créent et que ces gens deviennent mes amis. Mon défilé est pour moi une occasion de faire la fête avec eux. » Et quand il s’agit de faire la fête, Luc Duchêne aime se montrer généreux : un millier d’invités environ, un fameux budget – on évoque le montant de 300 000 euros – et » du vrai champagne « .
Sur le catwalk, défilant sur les beats électro de Front 242, groupe belge culte dans les années 1980, les silhouettes vaporeuses et raffinées qui ont fait le succès de la marque prenaient cette saison des accents rebelles, avec des leggings en cuir stretch, des casquettes militaires ou de courtes vestes zippées. » Chine se veut désormais plus pointue, plus osée et plus sexy « , résume Nathalie Gabay, directrice artistique de la griffe et accessoirement troisième ex-madame Duchêne. Le self-made-man l’avoue sans ambages, il aime les femmes : » J’en ai d’ailleurs épousé quatre, avec qui j’ai eu cinq enfants « , s’amuse-t-il.
Double prouesse : tout ce petit monde travaille aujourd’hui pour l’entreprise familiale… et s’entend à merveille, au point de fêter Noël ensemble. » Outre Fabrice et moi, ses enfants, explique Emilie Duchêne, Catherine, ma belle-s£ur, est chef de produit Mer du Nord. Rita Desmet, la première femme de mon père, gère les stocks des deux marques. Et Nina, son épouse actuelle, dirige Casting Factory, avec qui nous travaillons pour tous les shootings et les défilés. Il n’y a que ma mère, sa deuxième femme, qui ne soit pas impliquée dans l’entreprise. «
Luc Duchêne se dit très fier que sa famille mouille sa chemise à ses côtés. » Sans eux, ça n’aurait pas été pareil. » Et s’il se démène tant aujourd’hui pour faire croître encore sa société, c’est » avant tout pour les enfants « . Du haut de ses 15 ans, Charles, le fils qu’il a eu avec Nathalie Gabay, se voit déjà travailler plus tard dans le holding familial. Quant à Marie, sa petite s£ur, elle vient de poser pour le catalogue hiver 09 de Mer du Nord. Luc Duchêne peut prendre des vacances l’esprit tranquille, la relève est assurée.
Delphine Kindermans
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