Le laque? Le masculin s’impose lorsqu’il est question des objets issus du savoir-faire des artisans d’Extrême-Orient… Une distinction subtile pour un art qui, s’il l’est tout autant, n’en est pas moins fragilisé par la perte de techniques millénaires. Et par une baisse de qualité contre laquelle se dressent ses défenseurs.

Nicole Judet, à la tête de l’atelier André Brugier, à Paris, l’affirme :  » Les commandes affluent et comme la qualité se paie en temps, nous avons du mal à faire face.  » Un retour à l’époque bénie où les décorateurs ensembliers faisaient appel au savoir-faire de facture luxueuse et de grande qualité?  » Oui, certains projets sont grandioses. Notre prochain défi : laquer quarante et une portes dans une maison de Palm Beach.  » Pour les réaliser, deux artisans vont se plier pendant deux mois aux caprices et aux lois de cet art né en Chine quatre mille ans avant notre ère, sous la dynastie des Han.

A l’origine, la fonction première du laque était de protéger les objets domestiques. Ensuite, la discipline s’est codifiée. Les artistes japonais s’en sont emparés, améliorant la technique pour en faire un art spécifique de leur civilisation. Des plus simples ustensiles aux objets de luxe, en passant par l’architecture et la statuaire, le laque peut tout recouvrir. Sa finesse et sa beauté en font la matière idéale des bibelots précieux. En France, elle connaît la splendeur des chinoiseries en vogue au XVIIIe siècle et réapparaît sous Napoléon III. Mais c’est au début du XXe siècle que cette expression atteint, avec Jean Dunand, un éclat véritablement particulier. Cet ensemblier décorateur s’initie aux secrets du laque auprès du grand maître japonais Seizo Sugawara. La créativité hors pair de Dunand en fait un des plus grands artistes du genre.

 » L’artisanat de la laque est plein d’avenir, il suffit de le faire évoluer « , constate Bernard Pélissier, à la tête de la société HK Internationale. Depuis quelques années, cet architecte fait appel aux laqueurs du Vietnam qui perpétuent la noblesse du métier :  » C’est aujourd’hui le seul pays à produire des laques de qualité à des coûts raisonnables.  » Avec l’ouverture du Vietnam, la tradition a trouvé un nouveau souffle. Les créations originales de Bernard Pélissier, ses bols en bambou, ses tabourets, ses coupes en bois massif sculpté ont une profondeur mystérieuse et un glacis parfait. Il n’y a pas tricherie sur le nombre de couches et l’effet n’est pas monolithique comme dans certains produits réalisés au pistolet, en vernis polyester ou polyuréthane, simple pellicule qui a les reflets sans profondeur du plastique, au contraire du laque, matière naturelle, obtenue à partir de la sève du Rhus Vernicifera. Dans son atelier, Jacques Lee, un des derniers restaurateurs français, caresse amoureusement les surfaces lisses d’un laque de Jean Dunand; il décrit avec minutie les trente étapes de préparation de laquage et tous les gestes sans lesquels il ne pourrait avoir ni cette profondeur, ni cet aspect poli où la lumière joue par transparence et qui le distingue des imitations.

Christian Duc, designer, a choisi au Vietnam un maître laqueur pour réaliser sa collection de mobilier, en utilisant la technique de la coquille d’oeuf.  » Il faut réactiver l’art du laque « , affirme cet  » hérétique « , comme il se définit lui-même, qui introduit de nouveaux supports tels la fibre de verre ou le médium dans cette technique ancestrale. Il en tire, pour ses plateaux, tabourets, tables de chevet, coupes et coffrets, des effets inédits de finesse et légèreté. Chaque pièce est unique et demande un séchage qui varie entre un mois et demi et trois mois selon la saison. Christian Duc a imaginé une lampe en fibre de verre laquée coquille d’oeuf qui diffuse une lumière magique, mordorée. Comment ne pas songer au mythe chinois que nous rapporte Jacques Lee :  » C’est en voyant le soleil couchant se réverbérer sur la surface dorée d’un étang que les Chinois, toujours soucieux d’imiter la nature, ont inventé le laque. « 

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L’éclat profond dépend du nombre de couches

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L’effet, brillant ou mat, est une question de ponçage

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La coquille d’oeuf noyée dans la laque, une technique subtile

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Isabelle Forestier Réalisation : Gilles Dallière assisté de Manon Gaquerel Photos: Alain Gelberger

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