Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*)  » Journal du Textile  » du 5 mai 2003.

Tout, en fait, les sépare. Quand l’un a la tête nichée dans les étoiles, l’autre se doit d’avoir les pieds bien sur terre. Car si le rêveur doit en permanence réenchanter la mode, le manager ne peut jamais perdre de vue les soubresauts de son marché. Drôle de couple, condamné à convoler pour le meilleur et que tout sépare. Etrange tandem qui tient par le bout du fil ténu des collections. Sans financement, sans production, sans gestion, voilà le créateur bien dé-muni. Croissance, anticipations, revirements, réorientations, distribution, gestion, stratégies… autant de cauchemars éveillés susceptibles d’inhiber toute créativité. Mais sans l’imagination foisonnante des stylistes, les patrons des maisons de couture peuvent bel et bien mettre la clé sous le paillasson. Comment, en effet, susciter, déchiffrer, interpréter les petits signes, les nouveaux désirs, les émotions inattendues de la fashion victim ?  » Le manager qui travaille aux côtés du créateur s’approche des  » faiseurs de feu  » décrits par Rimbaud, mais il ne faut pas arriver avec un extincteur « , expliquait récemment Pierre Bergé dans un colloque organisé à Paris par l’Institut français de la mode (IFM) (*). L’homme sait bien de quoi il parle, lui qui a soutenu, aidé, conseillé, épaulé, assisté, superbement orchestré la créativité de Yves Saint Laurent. Car dans le monde des pinces, des fronces et des épingles, il faut intégrer les aspirations secrètes, les envies des consommatrices, tout en maîtrisant les techniques subtiles du marketing, de la fabrication et de la communication. Etre le premier, anticiper sur la concurrence, alterner prudence et offensives. Se déployer avec finesse pour répondre à la variété des styles et des attitudes. Et si le créateur transcende la matière, le manager, lui, fait vendre.  » Chacun doit parler la langue de l’autre. La mode est un dialogue « , a souligné encore Pierre Bergé. Un témoignage d’autant plus percutant qu’aujourd’hui, toute entreprise se doit d’être toujours plus innovante. Quand nos armoires débordent, comment nous faire encore craquer ? Un sacré enjeu, une affaire de gros sous qui peut donner le tournis. Mais créateurs et managers ne sont pas, in fine, les faux frères que l’on imagine. Ford pour Gucci, Elbaz pour Lanvin, Theyskens pour Rochas, Galliano pour Dior… l’ont brillamment démontré : quand il s’agit d’exciter l’imaginaire et l’hédonisme collectifs, le désir de paraître, le duo se fait choc. Et c’est nous qui en sommes tout groggy.

Christine Laurent

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