Il a concentré ici toutes ses passions, le calme, la lumière, ses collections, quelques chapeaux, qu’il partage avec l’écrivain Jean-Paul Masse de Rouch. Chez Elvis Pompilio, tout est matière à création. Avec couvre-chef, de préférence.

Quand on a grandi dans un bar, rendez-vous des mineurs alcooliques de Montegnée, province de Liège, au début des années 60, peut-on imaginer un jour que l’on occupera un duplex au douzième étage d’un vieil et bel immeuble bourgeois qui date d’un peu avant notre naissance et que l’on sera un modiste heureux, ayant coiffé Madonna, Harrison Ford, Axelle Red, Sharon Stone, Victoria Abril, Amélie Nothomb, monsieur et madame Tout le Monde ? Il en faut de la foi et de la fantaisie pour oser s’inventer cette vie-là. Mais cela nécessite d’autres choses encore, qu’Elvis Pompilio possède, le talent, le sens du détail, l’envie d’en découdre.

Dans cet appartement du bout de l’avenue Louise avec vue sur le ciel bruxellois et le vert de l’abbaye de la Cambre, où que le regard se pose, une trouvaille, une kitscherie qui n’en est pas une, une oeuvre d’art, chaque chose à sa place et chaque place à sa chose. Car Elvis Pompilio et Jean-Paul Masse de Rouch sont collectionneurs touche-à-tout. A une différence près : ils n’ont aucun attachement aux objets, ni aux endroits d’ailleurs. Ils pourraient s’en débarrasser et s’en aller le nez au vent sans regrets.

Pour le coup, ce lieu-ci, ils l’occupent depuis trois ans, après avoir vécu dans un loft au centre-ville dont ils se fatiguèrent. Avec ses belles proportions mais ses plafonds plus bas, il leur a fallu repenser leur intérieur. Travailler sur les couleurs, du noir et du rouge, jouer sur le vide et la possibilité de reconversion, agencer harmonieusement quelques meubles, très peu, mais très beaux, signés ou pas, l’important n’est pas là. Y poser çà et là des jouets, des souliers à hauts talons,  » des trucs que je laisse traîner, confie Elvis Pompilio, comme s’il n’y avait pas que des hommes dans cette maison « , car l’enfant de la houille n’aime rien tant que  » les endroits où on a l’impression que les gens vivent depuis toujours « . Pareil pour ses chapeaux. Prenez celui qu’il a dessiné pour l’hiver d’Ann Demeulemeester, avec laquelle il collabore depuis une éternité. Il a la forme d’un chapeau boule, avec plumes, élégant et poétique, mais pliable, tout souple, fait pour rendre heureux.  » J’aime les choses qui servent, que l’on peut utiliser de différentes façons, qu’on peut porter le matin pour aller dans le froid ou le soleil et la nuit, avec une robe du soir.  »

Dans le hall d’entrée, le carrelage d’époque, en noir et blanc, fait écho au mur ébène et mat. La tête jaune, oeuvre du tagueur Bruno Brunet, entre le masque africain et le masque futuriste, surveille de haut le lit de camp Napoléon Ier façon Hermès et Ina Delcourt. Sur le perroquet, une nature morte de chapeaux, un fez (pour une soirée déguisée), une casquette (pour le mari), un bonnet en laine (pour le quotidien), un sombrero mexicain (pour le fun), un Delvaux orange, le Pin (pour la sacoche). Tout Elvis en résumé.

Dans le salon, avec vue sur l’avant, le rouge domine, le papier peint kaléidoscope aussi. La lumière y entre à flots, traverse l’appartement dans toute sa longueur et vient illuminer la salle à manger, avec vue sur l’arrière. A l’honneur, leur ami Pascal Bernier avec un petit marcassin à la patte brisée et bande Velpo secourable, un lionceau mal en point de la gueule et un élevage virtuel de poussins. On dîne ici le soir, autour de ces tables ovales, empilables et pliables, des Broken legs d’inspiration anglaise –  » mais elles doivent être belgo-batardes « , précise Jean-Paul qui joue aisément avec les mots. Dans le miroir gravé se reflète une table en marbre des années 40, celles qu’Elvis Pompilio préfère.  » Je trouve cette époque très belle et stylée, tant en déco qu’en mode. Les gens créaient beaucoup avec rien, c’est un peu comme cela que je travaille, je tourne la tête et je fais avec ce que j’ai.  » Cet abat-jour en peau de chèvre, par exemple – la créativité, il connaît ça.

Petit, dans un environnement qui n’avait rien d’artistique – outre le bar, sa mère faisait aussi logeuse, à l’étage, pour les ouvriers qui allaient au charbon -, il était si  » sage « , si  » silencieux « , dessinait  » beaucoup « , chantait aussi,  » très bien « , et s’inventait un monde où c’était Noël tous les jours –  » chez nous, on ne fêtait rien, même pas les anniversaires « . Alors Elvis enregistre tout dans sa  » mémoire visuelle « , avec, dans son panthéon, les films hollywoodiens du début de la couleur et les comédies musicales,  » surtout celles avec Danny Kaye et les films en costumes tellement années 40 et 50, j’aime le côté réinterprété et remis au goût du jour tout en essayant de respecter le passé « . Il étudie à l’Institut communal des arts décoratifs et industriels, à Liège, travaille ensuite comme sérigraphe dans une usine d’objets publicitaires et coud ses  » tenues  » lui-même, faute de moyens, à la mode punk, militaire russe ou Tintin.

En 1987, il débarque à Bruxelles et rencontre Jean-Paul, qui n’est pas encore écrivain à temps plein mais juriste à la Commission européenne. Elvis s’est mis à travailler du chapeau, à dépoussiérer le genre, au diable la rigidité, vive l’excentricité, mais pas que. Il est l’ami des ex-étudiants de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers qui commencent à faire parler d’eux, il crée pour Ann, on l’a déjà écrit, pour Dirk Bikkembergs, Veronique Branquinho, plus tard pour Chanel, Mugler, Véronique Leroy et ceux qui le lui demandent, pour autant qu’il garde sa liberté.  » Je veux aller plus loin, sinon c’est qu’ils n’ont pas besoin de moi « , Christian Lacroix voulut lui imposer la forme et la matière, refus poli. Quand Elvis Pompilio prend une décision, c’est la bonne, ne tentez pas de l’en dissuader. Sa boutique à Bruxelles, ses quarante ouvrières, il a tout fermé du jour au lendemain en juin 2002, après Londres et Paris, parce qu’il voulait ralentir le tempo, ne plus se disperser, habiller les têtes mais à son rythme.  » Mon rêve a toujours été de travailler comme dans les années 50, de faire du sur-mesure, des choses propres, le prêt-à-jeter, je déteste.  »

Huit ans plus tard, il ne faut jamais dire jamais, il rouvre une petite boutique au Sablon, esprit couture toujours, rendez-vous et conseils du maître des lieux, qui vous assure que  » tout le monde a une tête à chapeau « , démonstration faite, personne n’en doute. Et voilà qu’Elvis Pompilio a décidé de fermer son magasin en janvier prochain, il avait dit que le projet durerait trois ans, il a dépassé le délai de dix mois. Mais c’est un  » non-événement  » pour lui car cela ne signifie pas qu’il arrête de créer, au contraire, on trouvera ses bibis, ses bijoux de tête, ses chapeaux de cow-boy, ses casquettes, ses bérets, ses trilby à Paris, chez Maria Luisa et au Printemps, en Chine, en exclusivité, sur son site et chez lui, sur rendez-vous, à l’atelier, situé neuf étages plus bas, dans ce même immeuble daté 50. On y fait un saut, via l’ascenseur, tout est étalé au sol, c’est que le créateur crée, par terre, en partie, il faudra penser à balayer pour la photo. Dans sa collection automne-hiver 2013, il y a des capelines souples garnies de Zips, des chapeaux à voilette, des turbans à la Simone de Beauvoir, des bonnets  » un peu chat « , on doit croire le modiste sur parole, tout est déjà en boutique.

Retour au douzième étage, un café serré, Elvis Pompilio a du sang italien et un pied-à-terre à Syracuse, puis passage au niveau supérieur de ce duplex grand genre, escalier en colimaçon peint de noir, miroir gravé d’origine et resté dans son jus, un dressing, deux salles de bains et deux chambres  » parce qu’on dort mieux ainsi « , où l’univers de chacun peut prendre toute sa (dé)mesure.

Chez Elvis, deux murs bleu marine, deux blancs et bric-à-brac ordonné sur l’étagère,  » Jean-Paul n’aime pas mon bordel, car c’en est un pour lui « , le vocable  » cabinet de curiosités  » conviendrait mieux : des sacs, de toutes les formes, figuratives surtout, un hibou côtoie un Louis Vuitton, époque Murakami et un Brillant de Delvaux jaune fluo, une collection de lunettes, des jouets, des poupées, des Vierges, tout ici ressortira un jour ou l’autre  » de manière inconsciente  » dans ses créations.

Chez Jean-Paul, murs moutarde, lit blanc fait pour lire et vases poissons du céramiste Alexandre qui vécut et mourut à Bruxelles, et qu’il collectionne depuis qu’Elvis lui a offert il y a bien longtemps un petit cendrier signé. Les deux poufs ronds brodés d’un Rob et d’un Roy rappellent le titre de son premier roman, publié en 2006. Suivi par Sissi, Jules César, Marie Antonietta, Marie Chantal et la bio d’Elvis baptisée Vie privée, autant de variations sur l’amour, toujours. Pareil pour ses projets d’actualité : un roman illustré, proche du roman-photo, qui enrichit l’histoire sentimentale de Marie Chantal déjà mise en mots et à paraître fin septembre en français, anglais et mandarin, pourquoi pas ? Et dans la foulée, un roman online, soit vingt chapitres au compte-gouttes, le lundi, deux fois par mois, avec photos shootées par lui et stylisées par Elvis, titré Rick Bison, une affaire à suivre sur www.gusmen.com ou sur son site à lui, à la façon des feuilletonistes du XIXe siècle. On n’est pas là pour faire sérieux, même si c’est grave. Car avec Elvis, et donc forcément avec Jean-Paul, la légèreté est l’extrême élégance du coeur. Pourquoi sinon collectionneraient-ils les petits couples de mariés que l’on fiche au sommet des pièces montées et qui, mis ensemble, tous ensemble, sont  » magnifiques  » ?

www.elvispompilio.com

www.jeanpaulmassederouch.com

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON – PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

Un endroit où on a l’impression que les gens vivent  » depuis toujours « .

Elvis Pompilio enregistre tout dans sa mémoire visuelle.

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