» Que ton voyage soit utile aux autres.  » Ce mantra est adopté par un nombre croissant de globe-trotteurs. Le Vif Weekend s’est glissé dans les bagages de ces nouveaux humanitaires. Destination le Rwanda, ses décors splendides et sa soif d’avenir…

A l’heure de l’argent roi, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour appeler un autre monde de leurs voeux. Un monde dans lequel le donnant-donnant cèderait le pas à l’acte gratuit et solidaire. Preuve de ce nouvel engouement, en Belgique, ils sont chaque année entre 10 et 12 000 volontaires à s’embarquer sur les chemins de l’aide humanitaire le temps d’une  » parenthèse utile « , comme on qualifie désormais ce moment accordé à autrui. Peu importe l’âge, étudiants ou retraités, l’objectif est invariablement le même : vivre une expérience inoubliable permettant de côtoyer et, surtout de soulager, d’autres quotidiens. L’exercice n’est pas sans danger, ces  » bonnes volontés  » n’étant pas à l’abri d’une récupération mercantile orchestrée par certains acteurs de l’industrie du tourisme. Cette dérive a un nom, le  » volontourisme « , et elle s’affiche au prix fort : jusqu’à 3 000 euros par mois sans le billet d’avion. Somme dont, à l’arrivée, il ne reste quasi rien pour les acteurs locaux. Signes distinctifs ? Le  » volontourisme  » prolifère par le biais d’un marketing dans lequel il est moins question de bénévolat utile que de dépaysement exotique vendu tout confort compris. Sur place ? Des aberrations à la pelle, entre populations locales transformées en attraction et missions qui ne tiennent pas la route (donner des cours sans qualification, repeindre un bâtiment qui n’en a pas besoin…). Ce nouvel opportunisme n’a pas manqué de susciter la méfiance de certains candidats qui préfèrent dès lors dessiner eux-mêmes les contours de leur projet.

ÊTRE UTILE

 » Etre utile à des gens à qui l’on peut faire du bien et qui n’ont pas l’habitude qu’on leur en fasse « , écrit Olivier Stulemeijer sur la couverture du petit fascicule qui présente son projet Lakewater. L’idée ? Apporter de l’eau potable à une série de villages qui bordent le lac Muhazi, au nord-est de Kigali. Un rêve d’enfance, une vocation de longue date pour cet habitant de la périphérie bruxelloise ? Pas vraiment. Il explique :  » En 2005, avec ma soeur, nous avons hérité de notre père d’une petite maison au Rwanda, dans la Province de l’Est. Elle est située au bord d’un lac d’une cinquantaine de kilomètres de long. Notre premier réflexe a été de la vendre. Mais même pour un montant peu élevé, personne ne voulait l’acheter. Après cinq ans de tentatives infructueuses, j’ai décidé de la montrer à mes amis. En la découvrant, ils m’ont unanimement conseillé de la garder. J’y suis retourné plusieurs fois et j’ai fini par tomber amoureux de la tranquillité de l’endroit.  »

Piqué par la douceur de vivre du pays, Olivier noue des liens avec les villageois des alentours. Difficile de ne pas succomber aux sourires des enfants et aux saluts désarmants – les bras pliés levés et les paumes offertes – des adultes. Face à cette générosité sans préméditation, le Belge se demande comment renvoyer la balle.  » Je suis allé trouver le chef de la Cellule, une organisation administrative qui représente un groupement de cinq ou six villages, et je lui ai proposé d’éclairer les rues, en me disant que techniquement, il était possible d’ajouter deux heures de lumière par jour. Mais sachant qu’il existe sur place une vraie carence en protéines, j’ai également émis l’idée d’implanter des élevages de lapins… J’ai aussi pensé à créer une petite entreprise pour générer une micro-économie locale. Toutes ces propositions n’ont pas séduit le responsable. J’ai vite compris qu’une priorité surpassait toutes les autres : l’eau potable.  »

PAYS ONDULÉ

En arrivant à Kigali, le voyageur qui débarque pour la première fois au Rwanda est plus que surpris. La ville figure incontestablement parmi les plus propres d’Afrique, surtout depuis que le président Paul Kagame est parti en guerre contre les sacs en plastique. En trouver ne serait-ce qu’un seul est une gageure. D’autres raisons font que le Pays des mille collines compte parmi les modèles du continent noir : une progression économique estimée à 8 % chaque année, une absence palpable de corruption, le naturel hospitalier de la population…

Il reste qu’au fur et à mesure que l’on s’écarte de la capitale, les conditions de vie se découvrent plus précaires dans les campagnes reculées. On le comprend rapidement en arrivant aux abords du lac Muhazi. Bien sûr, le cadre est paradisiaque. Il incarne à merveille la fameuse  » amahoro « , la  » paix  » à laquelle aspire tout Rwandais, surtout depuis les terribles événements qui ont secoué la nation. Une paix que seul trouble le trille des oiseaux. Avant de descendre vers l’étendue d’eau, les  » rugos  » quadrillent les flancs des collines, véritables entités territoriales dans ce pays ondulé. Ces enclos délimités par des haies taillées au cordeau entourent les petits jardins et abritent l’intimité des familles. Les flamboyants, les frangipaniers et les jacarandas laissent éclater leurs fleurs rouges, jaunes et bleutées au soleil. Mais au pied de la végétation luxuriante, les eaux troubles du lac laissent entrevoir une autre réalité. Les villageois y puisent de quoi étancher leur soif et accomplir les tâches du quotidien. Non sans conséquence : les parasites y stagnent et gonflent le ventre des enfants.

ERREURS DE JEUNESSE

Apporter de l’eau potable aux villages voisins est une mission dont il n’est pas facile de s’acquitter. Olivier en a fait l’expérience dès 2013, année où il a installé sa première station. Un test grandeur nature réalisé au village le plus proche, Cyingara. Cette localité de 800 personnes a représenté un joli challenge car elle est située sur une pente raide, à 300 mètres de l’eau. Pour relever le défi, Olivier Stulemeijer s’est renseigné en Belgique où  » les systèmes proposés sont incroyablement sophistiqués « . Prudent, il décide que ce coup d’essai sera entièrement financé par ses deniers personnels.  » Il était important pour moi que ce projet soit opérationnel avant de chercher des sponsors potentiels pour d’autres installations « , explique l’intéressé. Au bout du compte ? Une mise en place épique – un nombre incalculable de boulons – et une déception quand il retourne sur place : le débit est tombé à 150 litres par heure alors que l’objectif initial était d’un mètre cube. Après avoir essayé une autre méthode à base de charbon actif, Olivier comprend qu’il faut absolument simplifier tout cela, supprimer les sources de panne et proposer un processus fiable avec un minimum de maintenance.  » En fait, les gens n’ont pas besoin d’eau minérale mais d’un processus qui soit efficace pour leur apporter de l’eau potable. Une eau filtrée à vingt microns et légèrement traitée au chlore, cinq particules par million, suffit… Mieux vaut huit litres de ce type qu’un seul de liquide cristallin.  » Fort de ce constat, l’initiateur de Lakewater cogite et dessine une installation idéale. Il teste chez lui un système avec des panneaux solaires, qui fonctionne… même sous le soleil belge. Mis au point en 2014, ce nouveau circuit est moins cher, 9 500 euros – les précédents coûtaient le double. Il ne reste plus qu’à faire le test sur place…

ROULEMENTS DE TAMBOUR

Pour installer ce nouveau dispositif 3.0, Olivier réunit début 2015 une équipe de six bénévoles. Après des repérages effectués durant l’été 2014, pas moins de trois stations vont être mises sur pied d’un seul coup. Au total, elles concernent 2 400 personnes. Le principe ? Il repose sur une pompe immergée à quarante mètres du rivage et cinq mètres de profondeur. L’eau aspirée est envoyée via un tuyau de type Socarex vers la station de traitement. Là, elle traverse successivement un filtre à vingt microns, un doseur proportionnel de chlore et un compteur de passage. Grâce à la pression générée par la pompe, l’eau est acheminée vers une citerne située en hauteur et, par gravité, redescend, avec un bar de pression, vers les robinets auxquels les villageois ont accès. Mais la pression n’est pas que dans les tuyaux : Olivier n’a pas droit à l’erreur, car deux mécènes ont apporté leur pierre en finançant chacun une pompe, à savoir la Province du Brabant wallon et une fondation familiale.

L’installation se déroule comme un film à suspense. Pendant les deux premiers jours, tout roule. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les trois infrastructures sont implantées. Malheureusement, le troisième jour, la physique s’invite de manière intempestive. Qui se souvient encore de la loi de Pouillet, enseignée en secondaire, et qui stipule que chaque conducteur possède une certaine résistance ? Concrètement, elle se traduit sur le terrain rwandais par une perte évidente de puissance qui empêche l’eau d’arriver avec la pression nécessaire. La déception gagne d’abord l’équipe. Mais boosté par l’adrénaline, Olivier réagit rapidement. Avec l’aide de Jean-Paul, son entrepreneur local, il décide de rapprocher une partie de l’installation du lac. Un week-end suffit. Et la seconde tentative est la bonne. Le miracle de l’eau qui jaillit se produit. La pompe fonctionne au-delà des espérances. Inoubliables, les sourires des enfants qui remplissent leurs bidons en plastique justifient à eux seuls tous les efforts. Olivier Stulemeijer, lui, se tourne déjà vers les deux autres installations à faire pousser sur les bords de ce lac au goût de paradis. Depuis, il n’a pas chômé, dénichant chez des donateurs privés le financement de cinq stations supplémentaires, ainsi que l’entretien de ses huit réalisations pendant cinq ans. Le monde appartient aux hommes de bonne volonté.

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : OLIVIER SCHWENNICKE

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