La belle cité hennuyère hésite entre son château fort, son château de la Follie, son église Sainte-Aldegonde et ses promenades délicieuses. Le 23 août, lors de notre dernier Samedi Vif de l’été 2003, le visiteur succombera aux mille et un charmes d’Ecaussinnes.

Ecaussinnes ? C’est un bain de fraîcheur qui rend l’âme accueillante à la beauté des choses. Ravissante, pimpante et souriante, Ecaussinnes est douée pour le bonheur et cultive un art de vivre empreint d’amitié et de simplicité. Et puis, ici, les belles  » vieilles pierres  » sont légion. Exquise cité qui demande donc de l’attention et du temps. Ce  » village « , comme aime à souligner son bourgmestre Jean Dutrieux, s’enorgueillit d’une double personnalité qui puise ses sources à la fin du XIVe siècle. En 1357, Jeanne d’Ecaussinnes, héritière du château fort, épouse Simon de Lalaing, grand bailli de Hainaut. Les jeunes mariés règnent sur Ecaussinnes-Lalaing, le  » petit  » village. Plus tard, leur fille Marie convole avec Englebert d’Enghien et le couple s’installe dans le château de la Follie, la seigneurie voisine. Ecaussinnes d’Enghien devient alors le  » grand  » village. Et désormais, chaque village a non seulement son château mais aussi son église : respectivement l’église Sainte-Aldegonde et l’église Saint-Remy.

Le château fort monte la garde

Ecaussinnes est fière de son patrimoine, l’exhibe avec talent, l’embellit sans discontinuer. Dressé sur un éperon rocheux, le château fort d’Ecaussinnes-Lalaing est un magnifique ensemble de pierres blondes et grises qui veille sur le paysage. Après les Lalaing, la demeure passe par alliance, au début du XVe siècle, aux Croÿ. Les temps sont cléments. La région, incorporée dans le duché de Bourgogne, ne connaît pas de grands soubresauts. Grands seigneurs, amateurs d’art éclairés, les Croÿ peuvent donc faire régner, dans leur château fort, un art de vivre plein de raffinement. La demeure s’agrandit, acquiert sa silhouette altière et majestueuse. Intacte, elle s’offre au visiteur comme un magnifique témoignage d’architecture militaire. Les van der Burch succèdent aux Croÿ, suivis par les Arenberg. Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, le château fort, vide de ses habitants, connaît une petite  » traversée du désert « . En 1927, le comte Adrien van der Burch le  » redécouvre  » par hasard, lors d’une balade, et décide sur le champ de racheter et restaurer le château de ses ancêtres. Un nouveau chapitre s’ouvre à Ecaussinnes-Lalaing, brutalement interrompu en 1945, lorsque Yves, le fils unique des maîtres de céans, périt au camp de concentration de Flossenbürg. Trois ans plus tard, Adrien van der Burch crée une Fondation et lui fait don du château, des dépendances et des collections. La Fondation est présidée aujourd’hui par le comte Robert d’Ursel. Secondé par son épouse, il s’attache avec énormément d’enthousiasme et de c£ur à faire vivre ce magnifique patrimoine, transformé en partie en musée. La visite est un régal pour les yeux. On admire les collections et, surtout, leur écrin. Le château impressionne par la grandeur de ses proportions et l’abondance de détails architectoniques et il séduit par son âme. La comtesse d’Ursel souligne que l’ambiance authentique de la demeure est très appréciée des réalisateurs de cinéma et de téléfilms. La salle d’armes est grandiose. L’immense salon est décoré avec un étonnant mobilier de bal, conçu au début du XIXe siècle. Dans ces pièces d’exception, on admire deux colossales cheminées gothiques, dont les manteaux de 4 mètres de longueur ont été sculptés dans la masse. Les spécialistes classent ces cheminées parmi les plus remarquables de Belgique. Au fil de la flânerie dans le musée, on égrène quelques chefs-d’£uvre locaux : des collections de porcelaines de Tournai, de grès, utilitaires ou artistiques et surtout, une exquise collection de verres anciens, témoignages du savoir-faire et de l’habileté de nombreux petits verriers, basés jadis dans le Hainaut.

La Follie, gardienne de la vallée

La rivière Sennette coule paresseusement au milieu des prairies grasses et bien vertes de la vallée, se faufile à travers le parc de La Follie. En déambulant dans le parc, on a une vue magnifique sur l’architecture harmonieuse du château qui s’ouvre, aujourd’hui, à la lumière. Jadis, ce fut  » la forteresse de plaine « , située dans un endroit stratégique de toute première importance. Elevée dans un bois marécageux, on l’a appelée  » La Follie « , synonyme de  » Feuillée  » ou endroit boisé. Après avoir appartenu à Englebert d’Enghien, seigneur d’Ecaussinnes, la demeure passa à Bernard d’Orley, puis aux Witthem. La Follie est alors une vraie forteresse, composée d’un châtelet, de tours d’angles, d’une tour de guet et d’une tour porche. Au fil du temps, elle souffrira de nombreuses dégradations, notamment durant les guerres de Louis XIV. Au XVIIIe siècle, lorsque le baron Sébastien-Charles de la Barre de Flandre prend la possession des lieux, la forteresse est en piteux état. Né en 1753, le nouveau maître des lieux connaît bien l’élégance architecturale du Siècle des Lumières et s’en inspire pour moderniser La Follie. Il supprime les tours d’angle, trop endommagées, et transforme entièrement la façade donnant sur le parc. Le rez-de-chaussée et l’étage sont percés de neuf fenêtres. L’ensemble est surmonté de combles  » à la française « , agrémentées de lucarnes. Les proportions sont admirables, pleines d’harmonie et d’équilibre. Depuis la fin du XIXe siècle, le château appartient à la famille de Lichtervelde et est habité en permanence depuis 1942. Commencent alors les grands travaux, destinés à équiper le château de tout le confort moderne. Aujourd’hui, la comtesse de Lichtervelde restaure et entretient avec une minutieuse rigueur cette magnifique demeure qui peut être visitée sur demande. Les haltes de choix sont le grand salon et la superbe salle gothique, dont toutes les portes sont entourées de pierre bleue d’Ecaussinnes. La chapelle, consacrée en 1528, est de toute beauté. Les remarquables vitraux, actuellement en restauration, sont attribués à Bernard van Orley, célèbre peintre de la Renaissance et cousin des seigneurs d’Orley. Modèle d’accueil, La Follie est aussi animée. Sa beauté s’épanouit davantage au mois de juillet. Le Festival de musique classique est une initiative d’Emmanuel de Lichtervelde, fils de la comtesse. Organisé avec le soutien, notamment de l’Administration communale d’Ecaussinnes et de la Communauté française de Belgique, il attire chaque année les mélomanes de tout le pays.

Suivez le guide

L’autre belle étape de la ville, c’est l’église Sainte-Aldegonde, intacte dans sa splendeur. Son look bicolore indique des phases de construction différentes. Le corps en pierre bleue a été élevé au XVIe siècle, dans le style gothique hennuyer. L’autre partie, en briques rouges, a été ajoutée plus tard, au XVIIIe siècle. A l’intérieur ? Le mausolée de Michel de Croÿ (1516), seigneur du château fort et la dalle funéraire de Blandina Rubens, la s£ur du célèbre peintre. Ici, on prend son temps ou plutôt on oublie le temps. L’abbé Léon Jous est intarissable. Il connaît  » son  » église comme personne et aime partager son savoir avec enthousiasme, érudition et humour. Passionnant !

On fait un détour chez un autre passionné. Raymond Maucq appartient à une famille de résistants. Depuis trente ans, inlassablement, il réunit tous les souvenirs des guerres 1914-1918 et 1940-1945. Les pièces phares du musée du Souvenir ? Ce chasseur de chars, trouvé dans un village voisin et une cuisine de campagne allemande de la Seconde Guerre mondiale.

Puis on part à la dérive. Le bleu ténu du ciel, le blanc tendre des nuages, l’éternel vert des près s’ouvrent aux flâneurs. On s’enfonce dans le Tunnel des Amoureux. Ce long sentier romantique et plein de charme, qui serpente à travers les dépendances du château de La Follie, a été rebaptisé ainsi par Marcel Tricot. Grâce à son humour plein d’esprit, le pont des 12 arcades, élevé en 1916 par la SNCV (vicinaux), est devenu le pont des  » douces arcades « . Marcel Tricot ? Ce joyeux luron (1883-1963) a rendu Ecaussinnes célèbre, dans le monde entier, en lançant, en 1903, la fête des célibataires. Il se fait qu’à l’époque les jeunes filles célibataires trouvaient difficilement une âme s£ur. Farceur, Marcel Tricot imagine une blague et invite tous les célibataires des environs pour un goûter surprise, le 1er juin 1903. Avec la complicité de son père, secrétaire communal, il placarde partout des affiches annonçant l’événement et avertit la presse qui soutient la manifestation, ne se doutant pas qu’il s’agit d’un canular. Marcel Tricot, pris à son propre jeu, mène l’idée jusqu’au bout. Les intéressés affluent, le goûter matrimonial a effectivement lieu, dans la joie et la bonne humeur. Depuis lors, il est devenu traditionnel et sa réputation a dépassé les frontières depuis longtemps.

La vraie nature d’Ecaussinnes

 » Ecaussinnes est une cité de l’amour, souligne le bourgmestre Jean Dutrieux. On se fait la bise. La convivialité, la chaleur humaine et l’amitié sont les maîtres mots dans la commune. De mon côté, je m’emploie tous les jours à développer davantage cette philosophie.  » Elle est très présente dans les manifestations et les rencontres éclectiques qui rythment la vie de la cité. La plus connue ? Le Spring Blues, créé il y a seize ans, à l’initiative de Pierre Degeneffe, agent communal responsable de la culture, se déroule chaque année, le troisième samedi au mois de mai et accueille 10 orchestres dont un belge. L’un des derniers festivals de blues  » pur et dur « , il a déjà vu défiler des célébrités comme Buddy Guy ou Lowel Fulson. En septembre, deux événements clés attirent la foule. La Cité d’art, organisée durant le premier week-end s’ouvre aux artistes, peintres et sculpteurs locaux ou des environs. Tandis que le 13 septembre, lors du Festival Street Live, le c£ur de la ville vibre au rythme du rock.

D’autres projets aboutiront prochainement. Ecaussinnes raffole de ses contes et légendes. Un  » best of  » a déjà été réuni dans un sympathique livret. Pour 2004, Jean Dutrieux annonce l’inauguration du festival de contes et de poésie. Les poètes locaux seront invités à faire partager en public leurs contes et poésies. Ceux qui se sentent l’âme de poète sont les bienvenus.  » Il y a aussi un projet qui me tient terriblement à c£ur : la création d’une confrérie des tailleurs de pierre, s’enflamme Jean Dutrieux. Il ne faut pas oublier qu’Ecaussinnes est le pays de la pierre bleue. On la retrouve dans l’arche du Cinquantenaire à Bruxelles, elle orne les façades des maisons patriciennes à Louvain. Il faut continuer à faire vivre et à faire connaître notre patrimoine et notre savoir-faire.  » Le bourgmestre chouchoute aussi le patrimoine agricole d’Ecaussinnes et peaufine le projet de création d’une ferme pédagogique différente des autres. Une ferme où les enfants apprendraient à participer réellement à la vie de la ferme et à cultiver et ne se contenteraient pas de caresser et nourrir les animaux.

Fière de ses racines, attachée à ses traditions, Ecaussinnes joue aussi la carte européenne. La cité est jumelée avec trois villes : Sacueni en Roumanie, Pietrasanta en Toscane (ses habitants ont débarqué ici il y a cent cinquante ans, pour travailler dans les carrières de pierre) et, enfin, avec Lallaing, près de Douai, en France (les origines sont les mêmes). L’idée est d’élargir les relations à des villes jumelées avec ces trois villes, construire ensemble des programmes d’échanges culturels et organiser des rencontres. Fin novembre, Ecaussinnes accueillera tous les partenaires, lors d’un mini-sommet européen !

Barbara Witkowska

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