Six ans après  » Bliss « , Vanessa Paradis fait son retour à la chanson. Plutôt discrète d’ordinaire, l’icône glamour a accepté de répondre à nos questions. Rencontre avec une femme bien dans sa peau et son époque.

Place des Vosges, Paris, un matin d’été désespérément gris. La ville grince, tangue, gémit. Avec des airs de conspirateur, nous nous engouffrons sous un porche noyé dans la pénombre. Comme par magie, la fureur du dehors s’évapore aussitôt, cédant la place au calme voluptueux d’un élégant jardin. Sur la rive opposée se dresse la façade fleurie du Pavillon de la Reine, palace chic et raffiné. Le tableau est idyllique, propice à enflammer l’imagination. Surtout quand on a rendez-vous avec Vanessa dans ce petit coin de… Paradis. Rien de romantique là-dessous. On ne voudrait pas avoir affaire à la lame de son pirate de c£ur, le cultissime Johnny Depp…

Non, la belle est juste de passage avec un nouvel album sous le bras, Divinidylle (1), dont le titre phare inonde les ondes depuis trois mois.  » Enfin « , diront les fans, qui attendaient ce moment depuis Bliss il y a six ans. Léger – trop ? -, le disque serpente entre les mélodies douces et les ballades un rien plus corsées, aux tempos tantôt jazzy, tantôt reggae. Le single, tonique et entraînant, laissait augurer du meilleur. Malheureusement, la plupart des morceaux qui suivent cette introduction fracassante peinent à décoller. Les textes s’embourbent, les mélopées manquent de couleur. On aurait aimé que l’ancienne lolita prenne plus de risques, ose des associations plus électriques, moins plan-plan.

Divinidylle ne restera pas dans les annales, même s’il dégage une sincérité – l’artiste se livre par petites touches, en particulier sur Jackadi, écrit de sa main – qui doit beaucoup à sa fabrication artisanale. Traversant un trip clan, famille, bande, la chanteuse s’est entourée exclusivement d’amis. A commencer par son complice M, qui signe les arrangements et certaines compositions. D’autres têtes connues ont prêté leur plume, comme Brigitte Fontaine, Thomas Fersen ou Franck Monnet. Espérons que Vanessa apportera ce petit grain de folie qui manque ici lors de la tournée (qui fera escale à Forest-National le 8 décembre prochain).

Loin de ces considérations, les clients défilent, insouciants, dans le hall d’entrée. Par la fenêtre, une silhouette attire notre regard. Cascade de boucles blondes, lunettes noires, allure féline… C’est elle. Nous la retrouvons quelques instants plus tard confortablement installée dans une suite cosy drapée de couleurs chaudes. Premières impressions ? Si Vanessa Paradis est sans conteste une star – elle en a le statut, le compte en banque, la légèreté aussi (comme arriver avec plus d’une heure de retard…) -, elle n’en affiche pas l’arrogance ni l’assurance à toute épreuve. Quelque chose dans l’attitude, une simplicité, une modestie, la rendent charmante et presque accessible. La timidité affleure sous le vernis de l’expérience. Souriante, elle regarde son interlocuteur droit dans les yeux même si parfois son regard s’évade, comme happé par un horizon nappé de nostalgie. Pense-t-elle à son île ? A Los Angeles ? A ses enfants ? Les questions nous brûlent les lèvres. Il faudra toutefois ruser. On nous l’a répété suffisamment en préambule, l’ancienne protégée de Gainsbourg refuse d’aborder les questions personnelles. Une nuée de papillons invisibles brassent l’air au-dessus de nos têtes. On bat des ailes et on se jette dans la mêlée tel un flibustier à l’abordage…

Weekend Le Vif/L’Express : Votre album ressemble plus à un recueil de nouvelles qu’à un roman. Les morceaux sont comme des petites histoires mises bout à bout. Est-ce volontaire ?

Vanessa Paradis : Non. Je voulais des paroles qui me touchent et qui aillent bien avec la musique. Et en même temps que les textes soient le reflet de la personnalité de leur auteur, avec ce que cela suppose de variété et d’émotions parfois contradictoires.

Vous abordez des sujets variés comme la passion, l’amour, la tristesse. Est-ce le reflet de votre état d’esprit ?

Ce sont des textes qui me ressemblent et en même temps des sujets universels. Tous les êtres humains ont à leur disposition la même palette d’émotions. Après, chacun dose différemment. J’avais des idées précises pour certaines chansons. Mais pour d’autres, ce fut la surprise. J’ai craqué pour des textes qu’on m’a envoyés spontanément ou qui ont été écrits en pensant à moi. Il y a des commandes, des surprises et beaucoup de cadeaux !

On croise beaucoup de vos amis sur cet album. Comment faites-vous la  » sélection  » ?

J’ai la chance de pouvoir choisir avec qui je travaille. Je ne pourrais pas faire un album avec quelqu’un qui est bourré de talent mais qui a une personnalité exécrable. Ni l’inverse d’ailleurs. Je suis exigeante et un peu gâtée aussi…

Chaque chanson revisite un style musical différent : blues, jazz et même reggae. Un hommage à la musique que vous aimez ?

Oui. Mais c’est d’abord une question de moment. De fusion du moment. Quand on travaille sur un texte, on essaie plein de choses. Il faut trouver la musique qui lui va le mieux. Ce qui peut prendre du temps. La magie qui opère dans la musique n’a pas d’emploi du temps. L’étincelle survient souvent de manière inattendue, parfois le jour, parfois la nuit. M est un ami proche. Donc on se voit souvent. Au départ, je lui ai joué certaines de mes chansons et je lui ai demandé de m’aider à les arranger. On a passé plusieurs soirées très agréables et très fructueuses avec d’autres complices comme Franck Monnet. Je n’avais pas envie d’aller chercher plus loin. Et le fait de le faire avec une même équipe me permettait d’être très concentrée et d’accoucher d’un album plus cohérent.

Serge Gainsbourg, qui vous a écrit des chansons, occupait une place à part. Comme M ?

Ils ont des univers différents. Mais c’est vrai qu’ils sont tous les deux à part. Comprenez-moi bien, je ne dis pas que M est aussi  » fort  » que Gainsbourg. Ce qui est sûr, c’est que M n’est pas juste un bon musicien et un bon auteur-compositeur. Il est unique. Il surclasse beaucoup de gens avec son talent et ses milliards d’idées.

Quels sont les artistes qui vous font vibrer aujourd’hui ? Plutôt des Français ou des Anglo-Saxons ?

Les deux. Beaucoup d’Anglo-Saxons comme Norah Jones et Amy Winehouse. Elles me bluffent à un point… Mais en France, je trouve qu’on a aussi des personnes extraordinaires. Je pense à Adrienne Pauly. Ce qu’elle fait est vraiment bien, que ce soit les chansons, l’univers, la personnalité.

Qu’est-ce qui vous séduit chez un artiste ?

Qu’il croit en ce qu’il dit. Sinon l’émotion ne passe pas.

Vous prenez votre temps pour faire vos albums ? Est-ce du perfectionnisme, l’envie de faire autre chose ou de la paresse ?

Les trois à la fois. Vous avez bien cerné ma personnalité ( rires). Je mesure le luxe de pouvoir prendre mon temps. Et de pouvoir varier les expériences. J’aime faire du cinéma et partir dans les histoires des autres. Et comme je prends aussi le temps de vivre, puisque j’ai ce privilège, il s’écoule souvent plusieurs années entre deux albums…

Vous serez prochainement à l’affiche de La Clef, un thriller de Guillaume Nicloux. Au cinéma aussi, vous explorez tous les genres…

J’aime innover. Mais ici, c’est surtout le scénario qui m’a séduite. Je l’ai dévoré. Et puis aussi, le tournage était compatible avec mon emploi du temps bien chargé. Ça me faisait une belle récréation.

Vous parlez beaucoup de plaisir et d’envie. Vous ne vous sentez jamais obligée de faire les choses ?

Non… Qu’elle chance j’ai ! C’est affreux, je suis là à vous dire que j’aime prendre mon temps, que j’aime faire ce qui me plaît alors que la plupart des gens bossent dur et doivent, en plus, s’occuper de leur ménage et tout ça.

Au moins vous êtes consciente d’être privilégiée…

Oui. Et j’en profite totalement mais je ne peux pas parler de ma situation sans dire à quel point je suis veinarde de pouvoir faire ça comme ça, de pouvoir dire  » moi je prends le temps de vivre, je prends le temps de regarder grandir mes enfants  » car c’est le souhait de beaucoup de femmes et d’hommes. Je me sentirais terriblement bourgeoise si je n’avais pas cette réalité à l’esprit.

Craignez-vous que le succès s’arrête un jour ?

C’est la fatalité. Si ça doit s’arrêter, ça s’arrêtera. Que je travaille beaucoup ou pas, ça ne changera rien. Il y a quelque chose d’inévitable dans la vie et dans son cycle. Il vaut mieux être en phase avec le moment présent plutôt que de ruminer le futur. Ce qui ne m’empêche pas d’être stressée et de m’inquiéter de plein de choses. Mais j’essaie de préserver le moment présent.

Avez-vous peur de vieillir ?

Pas encore. Il faudrait me reposer la question dans quelques années. Mais je comprends les femmes qui se sentent angoissées à l’idée de vieillir.

Vous avez dit un jour que 30 ans était le plus bel âge. Et 34, c’est comment ?

C’est pareil. La vie est plus facile à vivre intérieurement. Il y a une sorte de détachement qui fait que c’est plus simple de vivre avec soi. En même temps, comme tout le monde, j’ai des angoisses. Mais elles sont d’une autre nature qu’à 20 ans. Et puis, ça va et ça vient. Certains jours, on accepte mieux les aléas de la vie que d’autres.

Etes-vous consciente d’incarner un idéal féminin, surtout pour les femmes ?

Je peux le comprendre. Je suis une femme qui aime un homme qui fait fantasmer la moitié de la planète, j’ai de très beaux enfants, j’ai un métier qui fait rêver. Je conçois que ça donne envie ( rires)…

Indépendamment du contexte, votre personnalité et vos choix fascinent aussi beaucoup les femmes, comme si vous incarniez un modèle de modernité à leurs yeux…

Je crois que c’est lié au privilège que j’ai de vivre ma vie comme je le veux. Je n’ai pas fait que des choses parfaites. Je me suis aussi trompée mais ça fait partie de la vie. Je pense par exemple à Hollywood, où je vis parfois. On me demande souvent si je n’ai pas envie de faire carrière là-bas. Clairement, non. Car, à Hollywood, ça marche différemment. Il faut être présent tout le temps, sinon on vous oublie. Les femmes sont obligées de tourner beaucoup et, du coup, elles ne font pas toujours ce qu’elles aimeraient faire. Juste pour ne pas perdre leur place. Je n’ai pas envie de jouer ce jeu-là. D’autant que rien ne m’y oblige.

C’est l’avantage quand on a commencé sa carrière, comme vous, par le succès…

Oui. Ça se passe en effet différemment quand on ne l’a pas encore eu et qu’on fait tout pour l’avoir ; et une fois qu’on l’a, tout pour le garder. Moi j’ai été pourrie gâtée dès le départ.

On vous voit souvent en couverture des magazines de mode et en même temps vous ne tenez pas à étaler votre vie privée sur la place publique. N’est-ce pas paradoxal ?

Se mettre en scène fait partie des règles du jeu promotionnel. Aujourd’hui, pour parler d’un projet, on vous demande de poser dans des beaux vêtements. Je le fais avec plaisir quand c’est pour soutenir un album ou un film. Mais je ne fais jamais de promotion personnelle, juste pour entretenir mon image.

Et Chanel, dont vous avez été l’égérie ?

C’est l’industrie du rêve. Et aussi une sécurité financière. Ce contrat m’a permis de travailler à mon rythme et de rester quand même présente dans l’esprit des gens. Mais je ne pourrais pas le faire avec n’importe qui non plus. Travailler avec Chanel, c’est travailler avec Karl Lagerfeld et avec Jean-Paul Goude, des gens avec qui je passe des moments divins. Et puis aussi, quand vous avez rêvé sur certaines images en étant enfant, c’est plutôt agréable d’en faire partie aujourd’hui…

Quelles sont vos marques fétiches ?

Chanel. Et je ne dis pas ça par obligation. J’aime aussi beaucoup Betsey Jonhson, une créatrice new-yorkaise. D’une manière générale, je suis attirée par tout ce qui est vintage : les matières usées, les couleurs passées. La panne de velours est par exemple la matière que je préfère. Cela dit, pour qu’un vêtement me plaise, il faut qu’il soit beau mais aussi confortable. Les habits vous enveloppent, vous protègent et vous présentent aux autres. Je dois me trouver belle quand je me regarde mais aussi sentir que les matières me caressent la peau.

Que portez-vous aujourd’hui ?

Une blouse Antik Batik et une jupe Isabel Marant.

Vous êtes une icône de mode mais vous ne passez pas pour autant votre vie dans les boutiques…

Pas vraiment. Quand je peux, je vais aux défilés couture de Chanel. Car c’est un vrai spectacle. Les robes sont comme des £uvres d’art.

(1 ) CD chez Universal.

Propos recueillis par Laurent Raphaël

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