Barbara Witkowska Journaliste

De plus en plus innovants, les luminaires adoptent de nouveaux matériaux poids plume et s’habillent de coloris vifs et joyeux, empruntés aux années 1960 et 1970. Ludiques ou spectaculaires, ils nous éclairent, bien sûr, tout en revendiquant, surtout chez les jeunes créateurs, le statut d’objets décoratifs à part entière.

Carnet d’adresses en page 94.

Nos attentes en matière de la lumière ? On veut du chaud et du doux. On recherche une lumière de qualité qui tout en nous permettant de voir clair, génère des ambiances de bien-être, de sérénité et de convivialité. Ces dernières années, le marché a été inondé avec des lampadaires en verre, notamment celui de Murano, qui dispensaient une lumière assez froide. On s’en écarte. La tendance actuelle privilégie des matières aériennes, plus souples et plus chaleureuses. Les matières synthétiques se taillent donc la part du lion. Technologiquement très pointues, elles n’ont plus rien à voir avec le Plexiglas et les plastiques des années 1960 et 1970. Elles ne s’altèrent pas et ne ternissent pas avec le temps. En vedette : le méthacrylate, la fibre de verre, la fibre de carbone, le Kevlar, des tissus high-tech ou encore des papiers sophistiqués.

Spectaculaire et brillant, le lustre Caboche, dessiné par Patricia Urquiola et Eliana Gerotto pour Foscarini, réunit 189 sphères en méthacrylate translucide. Tronquées sur la partie intérieure, ce qui leur confère un aspect de loupes, elles multiplient à l’infini la luminosité de la source lumineuse centrale. Idéalement, on suspend Caboche au-dessus d’une table dans la salle à manger. Il éclaire superbement le plafond. Les convives, nappés par une belle lumière, ne seront pas éblouis. Marc Sadler a dessiné pour Foscarini l’applique Mini-Kite. Le diffuseur, disponible dans les versions en tissu de verre avec fil de Kevlar jaune ou carbone noir, irradie une lumière d’ambiance très agréable, rehaussée par le décor finement rayé, un rien ethnique, de l’abat-jour. Ingo Maurer, grand créateur atypique et poète de la lumière (signalons au passage qu’il travaille actuellement sur la rénovation de l’éclairage de l’Atomium à Bruxelles), nous fait rêver avec ses créations délicates et raffinées, inspirées des silhouettes gracieuses des oiseaux ou encore du monde végétal. Le lampadaire Knüller fait penser à une ombellifère. Hissée sur une tige en fibre de carbone, haute de 220 cm, une sphère en papier de soie, emballée artistiquement avec du fil d’acier réchauffe l’espace d’un halo de lumière très doux.

Singulier et décoratif, le lampadaire Up to You, dessiné par Jean Piton pour Ligne Roset explore avec bonheur la piste chromatique, très tendance. Son socle est en acier chromé brillant. Le corps, haut de 145 cm, est réalisé en tissage de soie et en fibres optiques. Ce lampadaire  » multicolore  » s’utilise de deux façons différentes : on peut le bloquer sur une couleur au choix, rose, rouge, jaune, vert, bleu ou blanc, ou laisser les couleurs se succéder sans interruption. Le modèle Moaré, dessiné par Antoni Arola pour Santa & Cole, interprète la couleur à sa façon. L’abat-jour de forme cylindrique, réalisé dans un gros lin, plastifié de deux côtés, existe en quatre dimensions (de 35 à 83 cm) et en trois coloris : blanc, gris et rouge. L’astuce ? En superposant deux abat-jour de couleurs différentes, on obtient de superbes effets optiques et chromatiques. La couleur à l’état pur, on la retrouve chez Kartell. Dessinées par Ferruccio Laviani, lampes à poser Take et suspensions FL/Icon font appel à ces matériaux ultralégers que sont le polycarbonate injecté ou le méthacrylate. Leur design jeune, amusant et informel, rehaussé de coloris vitaminés, inspirés des années 1960 et 1970, apporte une note de gaieté et d’humour dans les intérieurs contemporains.

Le succès des classiques

Aujourd’hui, certains classiques ont le vent en poupe. Un luminaire, aussi parfait soit-il, avant de devenir une icône de design, doit passer l’épreuve du temps, éventuellement se faire oublier pendant un moment. Le modèle Royal, créé par Arne Jacobsen pour l’hôtel Royal SAS à Copenhague et réédité par Santa & Cole, se distingue par sa simplicité intemporelle et une grande pureté. Une tige en acier poli est surmontée d’un abat-jour cylindrique habillé de lin. Deux nouvelles teintes font leur apparition. Toujours neutres, elles déclinent des nuances de beige plus chaudes et plus intimes. La lampe Flower Pot de Verner Panton (Branex Design), dessinée en 1968, est un clin d’£il à la période joyeuse et insouciante des années Flower Power. Le concept est basique, il s’agit d’une coupe renversée en aluminium, coloré d’orange, de rouge, de blanc ou de turquoise. Coquette et indiscrète, elle nous emballe par sa générosité, ses rondeurs et son côté convivial.

Les raisons du succès de la lampe Tolomeo de Michele de Lucchi et Giancarlo Fassina, éditée en 1987 par Artemide ? Un abat-jour en aluminium qui allie admirablement la tradition et la modernité, ainsi que son côté ludique et mystérieux : grâce à son bras articulé en aluminium poli, elle se place dans toutes les positions. Primée à ses débuts, cette lampe de bureau a eu du mal à convaincre. On lui reprochait de ressembler à la lampe qui servait à éclairer… la machine à coudre de nos grand-mères. Il a suffi que quelques people, Karl Lagerfeld et Thierry Lhermitte, notamment, lui manifestent de l’intérêt, pour que tout le monde l’adopte. Aujourd’hui, la Tolomeo fait un malheur, il s’en vend 500 000 exemplaires chaque année, déclinés en version applique, clip, lampadaire ou suspension. Cette lampe a tous les atouts : fine et élégante, très fonctionnelle et dotée d’admirables proportions, elle se glisse avec bonheur dans tous les styles de déco. Dernière bonne nouvelle ? Pour être à la pointe de la tendance, la Tolomeo prend des couleurs et est proposée en rouge, en orange, en jaune, en vert, en turquoise et en bleu.

Jozeph Forakis, lui, a dessiné le lampadaire Havana pour Foscarini en 1994. Cette colonne légèrement ovoïde séduit par ses proportions classiques à la géométrie très douce. Elancée, élégante, sa silhouette ressemble à un totem et la lumière douce qu’elle diffuse procure beaucoup de sérénité. Ce grand best-seller vient d’être décliné dans une version extérieure, sous forme de lampadaire ou de suspension, en polyéthylène blanc ou crème. Idéal pour éclairer de vastes espaces, dessiner des perspectives dans la verdure ou souligner des profondeurs de champ.

Du côté des jeunes créateurs

Curieusement, les designers de luminaires aux idées les plus pointues viennent d’horizons très différents, parfois bien éloignés de l’univers de l’éclairage. C’est peut-être pour cela que leurs créations sont si originales, si fortement impliquées dans la décoration et dessinent dans l’espace des géométries étonnantes. A l’instar du mobilier actuel, ils se veulent aussi nomades, ludiques, polyvalents et multifonctions. Elisabeth Hertzfeld, formée aux Arts Déco à Paris, a longtemps exercé ses talents sur les scènes des théâtres à Berlin, en se consacrant à la scénographie. De retour à Paris, elle change d’univers, mais pas de philosophie. La construction dans l’espace l’obsède, mais, cette fois-ci, dans des endroits privés. Elle pense tout d’abord à imaginer du mobilier et des objets à coller soi-même, en faisant appel à des colles très performantes, disponibles sur le marché, mais méconnues du public. L’idée évolue rapidement vers un concept de luminaire. La Remake-Light ressemble à un  » lego  » de lumière, monochrome ou multicolore. Les modules ont les mêmes dimensions – 24 x 17 cm – et se déclinent en orange, en rose, en rouge, en blanc, en gris et en noir. Chaque module est équipé d’une prise pivotante et d’une ampoule de 40 W. Les prises permettent de brancher les modules les uns aux autres, horizontalement ou verticalement. Ces  » blocs à bâtir  » se montent et se démontent très rapidement et ne produisent pas de chaleur. Conçue comme une lampe à poser, la Remake-Light peut former aussi une cloison de séparation ou une étagère lumineuse.  » J’ai voulu libérer la déco et la rapprocher d’un geste de jeu, explique la jeune femme. L’utilisateur est sollicité pour créer son objet et dessiner des lignes dans l’espace.  » Ce luminaire innovant a décroché le prix du meilleur objet design au Salon Maison & Objet à Paris, en 2003. Confortée par ce succès, Elisabeth Hertzfeld va aujourd’hui plus loin, en imaginant des formes inouïes. Voici sa version murale, appelée Remake-Light Magnet. Elle peut composer différents tableaux au mur, souligner des architectures ou servir de signalétique. Nomade, polyvalente et multifonctionnelle, la Remake-Light s’inscrit parfaitement dans la tendance et la recherche d’un environnement unique et personnel, évoluant rapidement selon nos besoins et nos humeurs.

Catherine Grandidier vient de la pub. Son job de directrice artistique l’oblige, pendant quinze ans, à se projeter vers le futur, imaginer de nouveaux besoins et des concepts inédits. Un jour, elle décide un retour aux sources. En récupérant des objets usuels et existants, elle leur insuffle une nouvelle vie sous forme de commodes, tables, chaises. Ses recherches, de plus en plus ciblées, la mènent vers l’objet lumineux. Le hobby devient un métier à part entière.  » L’approche picturale et sculpturale est devenue mon fil conducteur, explique Catherine Grandidier. Je recherche le mouvement, les sensations en  » 3D « . L’architecture, l’environnement urbain et la photographie sont mes principales sources d’inspiration.  » Les matériaux sont souvent empruntés à l’industrie et détournés de leur fonction pour créer une lumière diffractée, multipliée et amplifiée. La première £uvre de Catherine Grandidier, éditée en série, est un croisement entre une applique lumineuse surdimensionnée (82 x 82 cm) et un tableau. Il s’agit d’un panneau de bois enduit à la main (stucco), rythmé par des ailettes (ou caches) en pâte à papier. Baptisée Lumières cachées , cette création est équipée de 9 ampoules de 10 watts et, contrairement aux apparences, a un véritable pouvoir éclairant. La même idée est déclinée sur d’autres supports, par exemple aluminium peint à l’époxy, avec d’autres décors et couleurs. Des photographies, juxtaposées à la queue leu leu, mises en scène dans des tableaux, traduisent le mouvement de la lumière. La suspension Holo, le dernier opus de Catherine Grandidier, réalisée en collaboration avec Edouard Boulmier, est un grand cylindre entouré d’une multitude de petits papiers flottants. Une bande de matière diffractante additionnée crée une troisième dimension supplémentaire. Bien plus que des objets à éclairer, tous ces luminaires génèrent de nouveaux paysages, créent des ambiances poétiques, suscitent la surprise, l’émotion et l’interrogation.

Formée dans une école publique de mode, Laurence Brabant a longtemps travaillé dans le célèbre bureau de style de Li Edelkoort. Puis elle a eu envie de découvrir la face B de la création : la réalisation et la fabrication. Par goût, elle décide d’explorer le verre. Ses carafes, pichets et verres à eau, conçus comme des  » expériences liquides et colorées  » renouent avec les codes du luxe et séduisent grand nombre d’esthètes. Le même esprit caractérise sa collection de luminaires. Dans son travail, Laurence Brabant tente de retrouver l’image archétypale du lustre à travers différentes époques. Le somptueux lustre Véronèse évoque un gigantesque bijou sautoir. Les pierres de couleur en verre de Murano se terminent par deux  » gouttes  » éclairantes. Inspiré indéniablement de l’univers de la mode, Véronèse exploite le concept des grigris et des breloques. On peut les accumuler, multiplier et superposer pour composer une véritable parure, brillant de mille feux, pour mettre en valeur une table, un coin du salon ou une entrée. Tout aussi original, Orphéo le Magnifique dessine dans l’espace des arabesques contemporaines avec un tube de néon rouge. Ce lustre  » invisible  » dispense, une fois allumé, une lumière éclatante et féerique. Séduit, Jean Paul Gaultier en a passé commande pour ses boutiques en Asie du Sud-Est. Plus  » modeste « , la lampe à poser Luce la Sereine, a la simplicité d’un objet dessiné à main levée, avec un tube de néon bleu. Allumée, elle baigne l’ambiance de l’éclat d’un dégradé bleu turquoise.

Architecte d’intérieur, Fabrice Berrux conçoit des luminaires dont la fonction est double. Ils doivent être à la fois décoratifs et diffuser une belle lumière. Selon le créateur, un lampadaire est le plus souvent éteint. Il est donc nécessaire qu’il dégage, même au repos, une présence et une allure certaines. Ses créations s’inscrivent dans deux familles. Les Corps lumineux sont de grandes colonnes (entre 165 et 190 cm) aux silhouettes souples et exubérantes, inspirées des amphores. La structure métallique est habillée d’un tissu plissé enrichi en Lycra, déhoussable et lavable, décliné en trois coloris : vert, jaune et orange. Les Ecrans lumineux, eux, ressemblent à des paravents, larges de 30, 60 ou 90 cm. Lorsqu’ils sont éteints, leurs formes géométriques parfaites donnent l’impression d’un élément massif en plâtre ou en béton. Originaux et impressionnants, ces objets de décoration diffusent une lumière à la fois puissante, douce et très diffuse.

La même philosophie anime Octavio Amado. Pour ce designer argentin, installé à Paris, le rôle des luminaires dans la décoration n’est pas négligeable. Ils doivent bien entendu éclairer, de façon douce ou puissante, mais avant tout ils  » habillent l’ambiance « . D’où une grande importance accordée à la recherche formelle et l’utilisation des matières nouvelles, génératrices d’émotions, tels par exemple, des papiers rares et exclusifs ou encore des matières plastiques à l’aspect du cuir. Dans les modèles Mano Tonnerre, la silhouette stricte et monumentale est rendue légère et aérienne par le pliage fin et l’aspect raffiné du papier. Les structures métalliques des lampes Smoothy sont  » habillées  » avec des peaux souples et démontables, réalisées avec des techniques issues de la confection vestimentaire, telles les coutures apparentes, les boutons pressions ou les zips. Se rapprochant de la mode, les luminaires d’Octavio Amado empruntent les codes couleur du prêt-à-porter. Les rouges, les oranges et les roses réchauffent agréablement les décors minimalistes ou se fondent avec bonheur dans les ambiances plus baroques.

Barbara Witkowska

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