Présents cette semaine à Courtrai pour la 24e Biennale Interieur, de grands labels comme Fritz Hansen, Flos ou Artek ont peut-être un peu la tête en Grande-Bretagne, où ils se sont récemment engagés dans une bataille juridique qui, malgré les apparences, nous concerne de près. Au centre de leur action, les tergiversations autour de l’Enterprise and Regulatory Reform Act 2013, censé aligner le Royaume-Uni sur ses voisins européens, en prolongeant drastiquement la durée des droits d’auteur sur certains produits manufacturés, auxquels on reconnaîtrait désormais une dimension artistique. Objectif avoué : enrayer le déferlement de contrefaçons légales de classiques du design et pousser les concepteurs à l’innovation. Du moins d’après les défenseurs du texte – parmi lesquels on retrouve, outre ces éditeurs de haut vol, le fondateur d’Habitat, Sir Terence Conran, ou encore le studio londonien Barber & Osgerby. Car en face, les opposants au projet de loi estiment qu’à l’heure de l’open source, il est absurde d’ainsi brider la créativité et que vingt-cinq ans de monopole suffisent largement à rentabiliser une pièce, si emblématique soit-elle. Et chaque partie d’accuser l’autre de trahir le progrès pour de vulgaires raisons pécuniaires : d’un côté, les marques cherchant à défendre un rutilant  » back-catalogue  » qui leur assure de copieuses royalties ; de l’autre, les mercantis pillant sans scrupule un héritage qui mérite mieux que des ersatz fabriqués au rabais. Qui a tort, qui a raison, aux juges à perruque de trancher la question.

Mais sommes-nous finalement vraiment concernés par ce débat qui a lieu outre-Manche ? Bien entendu, et ce très concrètement puisque les sites de ventes britanniques sont responsables de l’afflux massif de mobilier copié dans toute l’Europe et que la Belgique n’y échappe pas. Ensuite, parce que ces épineuses discussions nous font réfléchir sur notre manière de mettre en balance le prix, l’éthique et la qualité ; avec en filigrane, notre obsession pour les chefs-d’oeuvre modernistes du siècle dernier et ses conséquences sur l’attention que l’on accorde, ou non, à la jeune création. Aveuglés par l’aura des icônes signées Eames, Jacobsen ou Le Corbusier, on en viendrait presque à oublier que l’éclosion des grands noms de demain dépend autant du soutien des pouvoirs politiques que de la curiosité du public.

Par Mathieu Nguyen

Enrayer le déferlement de contrefaçons légales de classiques du design et pousser les concepteurs à l’innovation.

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