L’artiste

Eleanor Antin est née en 1935 à New York. Elle vit et travaille en Californie du Sud depuis la fin des années 60. Ce n’est certainement pas un hasard si cette figure de la scène libertaire et conceptuelle de la Côte ouest a choisi de poser ses valises sur la terre mythique de l’industrie cinématographique. Tout le travail vidéo et photographique de cette artiste pluridisciplinaire tourne en effet autour de la mise en scène et emprunte les codes narratifs de la fiction. Elle s’est très tôt intéressée au travestissement et à la charge de l’identité via une série d’autoportraits réalisés sous les traits de personnages fictifs. Cindy Sherman, qui a signé les autoportraits les plus célèbres de l’art contemporain, revendique d’ailleurs l’héritage d’Eleanor Antin.

Du reste, son imagerie actuelle, dopée aux corps musclés et gorgée de citations historicistes évoquant tout à la fois la décadence de l’Empire romain et le genre pompier en vogue dans les salons de peinture parisiens au xixe siècle reflète le goût du kitsch et la vulgarité des nouveaux riches qu’elle étrille avec une cinglante ironie. A travers ces parodies de tableaux allégoriques se jouant de la chronologie et mixant avec humour et sagacité les codes de l’art classique aux canons de beauté des plages de Malibu, il faut effectivement lire un constat féroce et cynique du déclin de l’Empire américain et de la philosophie politique qui le sous-tend.

L’expo

C’est la troisième exposition que la galeriste bruxelloise Erna Hécey consacre à Eleanor Antin. La première, 100 boots, montrait une des plus célèbres £uvres de l’artiste. Soit une série de cartes postales réalisées entre 1971 et 1973 figurant 100 bottes prises en photo dans chaque Etat américain. Clin d’£il amer à la martialité US en pleine guerre du Vietnam. La deuxième, Empire of Signs rassemblait des autoportraits fictifs et des compositions photographiques volontairement kitsch conçues dans le style évoqué ci-dessus. Classical Frieze, troisième expo monographique de l’artiste à Bruxelles, poursuit dans cette veine historiciste. Eleanor Antin s’intéresse plus particulièrement au personnage d’Hélène de Troie dont elle revisite le mythe avec une audacieuse liberté. Judgment of Paris (after Rubens) et Casting Call peuvent ainsi être vus à la fois comme une citation décalée de l’art classique et une réinterprétation contemporaine du célèbre épisode du Jugement de Paris à l’heure où la téléréalité a fait entrer le mot  » éliminé  » dans le vocabulaire de l’amour. Usant sans limites de l’anachronisme pour souligner la persistance des mythes, Eleanor Antin multiplie les strates de lecture et les références. On pourra, selon son horizon d’attente, voir dans ces £uvres une relecture du féminisme ( Helen’s Vengeance), une attaque en règle du tourisme crétin, à la Martin Parr ( The Tourists). Ou encore la critique pleine d’humour du sentiment impérialiste d’une certaine Amérique à partir d’une citation directe du plus pompier de tous les tableaux, La Décadence des Romains de Thomas Couture ( Plaisir d’Amour, after Couture).

Eleanor Antin :Classical Frieze. Galerie Erna Hécey, 1c, rue des Fabriques, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 9 janvier prochain. Tél. : 02 502 00 24. www.ernahecey.com

Chaque mois, Le Vif/Weekend vous propose un décryptage d’exposition. Parce que l’art contemporain est souvent taxé d’hermétisme, nous vous donnons les clés de lecture pour passer les portes des galeries et apprécier le meilleur de l’art vivant.

Baudouin Galler

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